Sarkozy : la démocratie énervée
Justice au singulier - philippe.bilger, 23/06/2013
Je m'attends à recevoir des tombereaux d'insultes ou, pire, de la commisération, de la condescendance parce qu'à nouveau je m'assigne, trois ans avant la primaire UMP de 2016, de sonner modestement le tocsin.
Ce délai, au fond, est si court et le risque du retour de Nicolas Sarkozy déjà si proche.
Pour mesurer la précipitation avec laquelle passe le temps, il me suffit de percevoir le cours de ma propre vie pour sentir comme la réalité, la certitude du bonheur sont sans cesse altérées par la menace de la finitude. Le destin, sous toutes ses formes, avance à bride abattue.
On éprouve les détestations, les angoisses de ses compétences. Pour la plupart des citoyens, le champ économique et financier les préoccupe, le champ de leur vie quotidienne les concerne. Pour ma part, ayant été magistrat durant près de quarante ans, tout naturellement l'état de droit m'est apparu comme le critère dominant à partir duquel j'ai évalué le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Et la République irréprochable promise en 2007 m'est demeurée en travers de l'esprit jusqu'en 2012, tant la malheureuse, avec sa pureté virtuelle, a été honteusement dégradée.
D'où mon obsession, je l'admets peut-être lassante, pour me mobiliser afin d'éviter aux naïfs, aux superficiels, aux réalistes à courte vue, aux cyniques à tous crins, aux républicains relatifs, l'amertume de ma propre expérience qui s'est condamnée, faute d'avoir fait le bon choix en 2007, à se battre contre de possibles retrouvailles de Nicolas Sarkozy en 2017 moins avec la France qu'avec l'image narcissique de soi.
Je ne peux pas oublier, comme mon péché originel en politique puisque j'ai tout permis, les premiers jours honteux, la suite illisible, erratique, arrogante, vulgaire, dominatrice, active, agitée, épuisante, étouffante, efficace, irréfléchie, instinctive, méprisante, surabondante, acceptable, catastrophique, si peu accordée à la Justice, médiocrement républicaine dans ses profondeurs et le terme tellement démagogique.
Qu'on ne s'y trompe pas : ce serait pareil en 2017. On peut changer de politique mais on ne quitte pas sa personnalité, surtout quand elle s'estime nécessaire et hors de prix. La démocratie énervée d'hier sera celle de demain si on laisse faire.
Qu'on ne vienne pas soutenir qu'il y a loin de la coupe aux lèvres, de la défaite de la droite en 2012 à la revanche de Nicolas Sarkozy, qu'on ne nous apaise pas en nous rappelant l'adage mitterrandien du temps au temps. Ce qui est vrai pour le pouvoir et sa conquête - savoir ménager les étapes et composer avec le rythme des jours - ne l'est pas évidemment pour le tâcheron vigilant que doit être tout citoyen pour peu qu'il partage ma vision. Si c'est le cas, il n'y a pas une seconde à perdre. Aucune dénonciation n'est inutile, aucune dérision superflue, aucune réplique vaine. L'antisarkozysme conséquent n'a plus droit au repos.
Puisqu'évidemment la promesse de Nicolas Sarkozy de quitter la scène politique a été, comme chacun de ses engagements, le signe éclatant qu'il accomplirait l'inverse, tant le besoin de se croire indispensable l'emporte chez lui sur l'honnêteté la plus élémentaire.
Son attitude depuis un an, sans paradoxe, manifeste qu'il a encore moins l'allure d'un chef d'Etat même battu que durant ses cinq ans d'exercice du pouvoir. Son inaptitude à demeurer dans l'ombre, sa conciliation pour l'instant réussie entre sa passion de l'argent et sa vanité partisane, son faux effacement mais ses vraies manoeuvres, son désir éperdu de laisser la droite dans l'état lamentable où il l'a laissée pour n'avoir à craindre aucun rival révèlent de manière éclatante qu'il n'a rien appris de son rejet mais qu'il n'est inspiré que par l'émergence de sa propre personne en se parant de la conscience d'un devoir dont tout le monde le dispense. Singer De Gaulle sans la substance.
Et, autour de lui, le clan - je n'ose écrire : la bande organisée - se regroupe, se recompose, se congratule, comme si tout était déjà fait, comme si on allait tous les voir revenir, ces politiques, ces ministres, ces collaborateurs estimables et fidèles qui n'ont pas ouvert leur bouche ni leur morale pour émettre le moindre bémol durant cinq ans de transgressions banales ou éclatantes. Les Balkany sont aux anges, Courroye espère, Guaino n'aura plus à insulter la justice indépendante puisqu'elle n'existera plus et même Guéant reprend des couleurs.
Il est si sûr d'être attendu, si persuadé de gagner haut la main, haut la manipulation que c'en devient, pour un homme comme lui, presque écoeurant de facilité. D'ailleurs, chaque jour le convainc que les médias ont compris parce qu'ils anticipent si bien. Le Monde annonce "son retour" et France Inter consacre une longue séquence à sa vie quotidienne comme si, pour un président défait, c'était la norme. Les journalistes piaffent autant que lui : ils veulent le revoir autant qu'il les a détestés. Comme les magistrats, les diplomates, beaucoup de citoyens, les corps intermédiaires. L'adulation de soi, je l'admets, laisse peu de place au respect d'autrui.
Il est tellement déjà vainqueur d'un match qui pourtant n'a pas encore commencé qu'autour de lui on traite avec désinvolture ou avec une aimable indifférence les éventuels obstacles qui oseraient se dresser devant son irrésistible ressentiment, sa revanche programmée et certaine. Son épouse qu'il aime - il paraît qu'ils n'ont jamais été plus heureux si on écoute sa merveilleuse et élégante amie, Isabelle Balkany - ne souhaite pas qu'il revienne en politique mais qui prendrait ce tendre conseil pour autre chose que du vent ?
Camille Pascal qui continue à écrire ses discours pour les remises de décoration et qui s'en flatte déclare que la seule personne qui pourrait empêcher Nicolas Sarkozy de faire à nouveau "don de sa personne à la France" est Sarkozy lui-même.
Oubliée la défaite de 2012.
Oubliée la victoire de François Hollande.
Oubliée la Justice au quotidien qui traite enfin librement toutes les troubles affaires surgies du fond de son quinquennat. Pourtant, avant qu'un jour on le juge si cela survient, il n'est personne qui doute de la plausibilité de ces accusations. Il y a la présomption d'innocence certes mais sa personne, sa psychologie, son rapport à la République, son goût du lucre, son prurit de domination, son indifférence aux principes, tout nourrit ce qui lui est imputé. Etrange, d'ailleurs, comme la droite de Nicolas Sarkozy et de sa clientèle proche, en cette dernière année à la fois effrayée et nostalgique, a découvert les valeurs : elles ne sont recommandables que pour sa sauvegarde. L'innocence est invoquée à tout coup. Un tic même quand d'année en année elle s'est dégonflée.
Oublié, méprisé François Fillon. C'est "le pire des traîtres" et il a peur de dire en face ce qu'il assume médiatiquement. La primaire de 2016, avec une UMP sous la coupe de Copé, sera une partie de plaisir, un remake plus subtilement agencé que celui de la fraude pour la présidence de l'UMP. Celle-ci, d'ailleurs, est tellement obtuse dans sa majorité qu'elle fera ce qu'on murmurera, enjoindra à son aveuglement.
Oublié François Hollande. Il est "si nul". Les quatre années qui lui restent vont être un calvaire pour la France. Nicolas Sarkozy sera le sauveur. Presque aussi bien que de Gaulle. Il conviendrait que le président de la République fût plus attentif à ce risque et conscient du fait que son optimisme apparent ne nous préservera de rien s'il ne constitue pas sa social-démocratie comme une machine à réussir. Et pas seulement à calmer.
Seul Sarkozy lui-même, maître de sa destinée et de notre avenir radieux ou non.
Je ne caricature pas. Cela nous pend au nez, à l'esprit, au civisme.
Nicolas Sarkozy se vante, paraît-il, de n'être pas un homme à faire des réussites comme de Gaulle.
Dommage.
Pour la démocratie énervée d'hier. Et pour prévenir celle de demain.