Variations autour de la copie privée avec le CSPLA
Paralipomènes - Michèle Battisti, 8/04/2013
Peut-on parler de copie privée dans le cloud ? Un avis du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) soulignait les divergences et les enjeux.
Bref article paru dans Documentaliste-Sciences de l’information, 2013/1
La copie privée, exception au droit d’auteur, s’applique-t-elle au cloud computing, espace de stockage proposé à l’internaute ? Dans son rapport, le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) distingue trois services :
- Le casier personnel. L’industrie audiovisuelle relève que l’internaute utilise les moyens de reproduction du prestataire pour copier l’œuvre. Le copiste n’étant pas l’utilisateur, ce n’est pas une copie privée (voir ci-dessous en gris). Ce sont donc des conditions contractuelles qui définiront les usages autorisés, d’autant que ce casier offre souvent une faculté de partage hors du cercle de famille. Pour d’autres membres du CSPLA qui s’appuient sur le principe de neutralité technologique qui retient l’effet pour l’utilisateur, quelle que soit la technique utilisée, le stockage par l’internaute de l’œuvre qu’il possède dans un casier qui lui est réservé relève de l’exception pour copie privée, redevable d’une simple compensation financière.
- La synchronisation. Pour ce service qui permet à l’internaute de disposer de sa bibliothèque à tout moment et en tout lieu, l’œuvre achetée est copiée immédiatement ou en différé dans le nuage. Pour les producteurs audiovisuels, les copies successives relèvent de nouvelles formes d’exploitation de l’œuvre dans des conditions définies par contrat. Pour les autres membres du CSPLA, il s’agit d’une copie privée, d’autant plus que l’œuvre, achetée, est obtenue licitement, critère exigé pour revendiquer cette exception.
- Scan et match. Ce service identifie l’œuvre envoyée dans le cloud par l’internaute et la substitue, le cas échéant, à une œuvre de meilleure qualité. Si l’œuvre existe dans une qualité similaire, il n’y a pas de copie mais une mise à disposition d’un fichier et on retrouve le cas du casier personnel. S’il y a substitution, l’internaute récupère un fichier de meilleure qualité. Dans ce registre de mutualisation et de partage, il y a consensus au sein du CSPLA pour affirmer qu’on n’est plus dans le champ de l’exception pour copie privée.
Enjeux
Pour l’internaute, la copie dans le cloud implique-t-elle une redevance ou des droits à payer pour chaque usage [1] ? La copie privée, exception dans l’environnement analogique car impossible à contrôler, devrait-elle disparaître ? Les procédures permettant aux professionnels de se faire rembourser la redevance pour copie privée (encadré) étant complexes, ne pourrait-on pas les en exonérer ? Dans ce cas, ce sont des contrats qui définiront pour eux les usages autorisés des œuvres.
Des divergences existent entre un secteur musical qui adopte une approche duale (des droits pour le prestataire, une redevance pour l’utilisateur) et un secteur audiovisuel pour qui tout est contrat, tout comme l’édition, absente au CSPLA, mais adepte des protections techniques.
Le nuage étant sans frontières, comment envisager une harmonisation mondiale alors que les usages privés sont sans compensation dans certains pays ? Enfin, si au sein du CSPLA, le partage d’œuvres à des fins non commerciales échappe à l’exception de copie privée, ses membres sont loin d’imaginer une contribution créative ou une licence globale pour couvrir ces usages.●
Le contexte juridique
La loi. Sont des copies privées, « les copies ou reproductions réalisées à partir d’une source licite et strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective ».
Jurisprudence. Pour la Cour de cassation, la copie est privée lorsque le copiste est l’utilisateur de la copie (Arrêt Rannou Graphie, 7 mars 1984). Toute copie faite par un tiers implique que celui-ci verse des droits (pour les photocopies au Centre français d’exploitation du droit de copie).
Rémunération pour copie privée. Appliquée aux supports vierges, le calcul doit tenir compte de l’existence de documents personnels et, comme l’impose la justice européenne (arrêt Padawan), exclure les usages professionnels. Sont aussi exclues les sources illicites, comme l’indique désormais la loi du 20 décembre 2011 relative à la rémunération pour copie privée, mais aussi les œuvres munies de protection techniques bloquant ou limitant leurs copies.
Ill. « Can you own a digital purchase ? » Jeminus. CC by
Note
[1] Les droits requis pour le prestataire et sa responsabilité, abordés par le CSPLA, ne le sont dans cet article.