Le dérangeant procès du docteur Hazout
Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 10/02/2014
On n'imaginait pas, en rejoignant la cour d'assises de Paris qui juge depuis mardi 4 février l'ex-gynécologue André Hazout, à quel point ce procès serait dérangeant.
Au départ, les choses semblaient simples : au banc des accusés, un médecin réputé aujourd'hui radié de son ordre, comparaissant sous l'accusation de viols et d'agressions sexuelles, avec la circonstance aggravante d'avoir abusé de son autorité. Au banc des parties civiles, plusieurs de ses anciennes patientes, qui ont toutes en commun d'avoir été confrontées à de douloureux problèmes d'infertilité, venues demander à la justice de les reconnaître victimes d'abus sexuels en état de particulière "vulnérabilité".
Quatre jours d'une audience prévue pour durer trois semaines ont suffi à ouvrir des abîmes. Il y a d'abord cette porte que l'on pousse sur ce lieu intime entre tous qu'est le cabinet du gynécologue. Dans ce cabinet huppé du 17e arrondissement de Paris, où le docteur Hazout recevait ses patientes, les sept plaignantes d'aujourd'hui sont venues déposer un jour leur désir d'être mère et leur angoisse de ne jamais y parvenir.
Leurs récits se succèdent et se ressemblent. Elles disent le long parcours d'échecs et de grossesses avortées qui les mène à ce premier rendez-vous chez le docteur Hazout et leur foi absolue dans ce "magicien" qui avait permis à des milliers d'autres femmes de vaincre leur infertilité. Elles ont gardé intactes la mémoire de ses phrases après un nouvel examen, un premier résultat d'analyses, l'évaluation d'un nouveau traitement – "on va y arriver", "ça va marcher", "on va le faire, ce bébé" – qui leur rendait l'espoir.
Et voilà qu'apparaît sur les écrans de la cour d'assises disposés face à la cour et au public, la "scène de crime". Le cabinet du docteur Hazout, avec sa table d'examen gynécologique, ses étriers, sa lumière trop blanche, son rouleau de drap de papier, sa cabine de déshabillage, ses écrans d'échographie, ses ustensiles, son lavabo. Posé dans un coin du bureau et saisi en gros plan par l'appareil photo d'un enquêteur, il y aussi ce badge – "Trust me, I'm a doctor!" – souvenir potache rapporté d'un congrès médical auquel le dossier d'accusation confère soudain une lourde charge symbolique.
A la barre, les plaignantes racontent une à une ces scènes qui constituent les charges retenues contre le docteur André Hazout. Le "madame, vous", qui devient soudain le "Marie-Cécile", "Ingrid" ou "Yvona", "tu". Les bras qui enserrent la patiente à la fin de la consultation, le baiser appuyé qui cherche les lèvres, la caresse sous le pull. Et pour quatre d'entre elles, ce moment où, alors qu'elles se trouvent nues sur la table d'examen, jambes écartées, les pieds posés dans les étriers, le docteur Hazout leur impose un rapport sexuel, se rhabille prestement, se lave les mains, signe l'ordonnance et leur présente la facture de ses honoraires.
Mais leurs longues dépositions disent aussi autre chose qui va au-delà du seul enjeu pénal et contribuent à rendre ce procès dérangeant. Elles entraînent la cour dans ce huis clos singulier entre des femmes confrontées au lancinant désir de maternité et le médecin auquel elles prêtent le pouvoir de le combler.
De ces rendez-vous, le mari, le compagnon est le plus souvent absent, parce qu'il est "très occupé", selon les mots de plusieurs plaignantes. C'est le gynécologue qui encourage, félicite, console, rassure ces femmes qui, à des degrés divers, expriment toutes l'insupportable échec que représente pour elles leur infertilité. "Je me sentais inutile. Mon corps ne fonctionnait pas bien. Et tout le monde, mon mari, mes parents, attendaient de moi que je fasse un enfant", raconte Yvona. Le docteur Hazout lui fait des compliments et "les compliments me faisaient du bien parce que j'ai toujours douté de moi. Quand il m'a prise dans ses bras très tendrement, je me suis dit que j'étais privilégiée, que j'avais peut-être plus de chances que les autres." Comme Yvona, Marie-Blanche se sentait "moche, stérile, avec un corps douloureux", quand elle est venue consulter le docteur Hazout. Elle aussi exprime l'ambivalence de la relation qui se noue avec ce médecin sous le regard duquel elle se sent "redevenir femme".
Yvona ne dit rien quand son gynécologue l'embrasse une première fois. Elle se laisse faire quand il vient la caresser alors qu'elle se rhabille dans la cabine. Elle tait surtout à son mari les rapports qu'elle subit à deux reprises sur la table d'examen. "Je me suis dit, c'est comme ça, c'est une chose en plus pour avoir un enfant. J'ai cédé à tout ce qu'il représentait, j'avais peur de perdre son attention. Il a vu que j'étais vulnérable", dit-elle.
La cour et les jurés auront à se prononcer sur cette qualification aggravante de "personne vulnérable", retenue à la fois par l'accusation et par les parties civiles et qui constitue l'un des autres enjeux importants de ce dossier. Elle pose le postulat de la toute-puissance de l'homme, du médecin, du sachant, et de la soumission de la femme, qui serait privée de son libre arbitre, dès lors qu'elle est envahie par un désir d'enfant.
Lorsqu'il l'embrasse sur les cuisses, Marie-Blanche se laisse faire. "Je ne lui ai opposé que mon silence". Au rendez-vous suivant, elle se présente avec son mari. "C'était ma façon de lui dire non, je pensais qu'il allait comprendre". Mais son mari ne l'accompagne pas à celui d'après et les assauts du docteur Hazout reprennent. "J'étais en plein traitement, je ne pouvais pas envisager d'arrêter les consultations". En même temps, dit-elle, "je savais que j'allais devoir y passer pour avoir mon bébé."
Lorsque Me Caroline Toby, qui assure la défense d'André Hazout avec Me Francis Szpiner, lui demande: "Vous savez que vous allez 'y passer' et vous ne demandez pas à votre mari ou à une amie de vous accompagner ?", elle répond avec une brûlante lucidité : "J'ai tellement honte. J'aurais dû le faire. Mais j'allais voir un médecin, pas un homme !"
Appelé à réagir à la barre après chacune de ces dépositions, l'accusé s'en tient toujours à la même ligne de défense. "Je reconnais avoir eu un comportement anormal dans la mesure où ces relations se sont produites dans le cadre de mes fonctions. Si embrasser sur les cuisses est une agression sexuelle, alors oui, j'ai fait une agression sexuelle. Mais je ne les ai ni forcées, ni contraintes, ni surprises [la définition pénale du viol]. A aucun moment, je n'ai senti de réticences", assure-t-il.
D'une voix plus dure, il ajoute : "Elles essaient d'exorciser une relation extra-conjugale. Elles revisitent tout. Elles me reprochent tout ce qui ne va pas bien dans leur vie, leur divorce, l'échec de la maternité." Il se montre encore plus tranchant à propos d'une autre partie civile, Marie-Cécile, qui a enclenché toute l'affaire en déposant plainte contre lui en 2005 : "Je suis convaincue que si elle avait réussi à être enceinte, je ne serais pas là et elle dirait même que je suis le bon Dieu."
Une vingtaine d'autres femmes sont attendues à la barre au fil des prochaines audiences. Certaines, comme Emmanuelle qui a subi des gestes déplacés de la part du docteur Hazout, ont délibérément choisi de ne pas se constituer partie civile mais ont souhaité témoigner pendant l'enquête "pour que ça s'arrête".
D'autres, plus nombreuses, ont déposé plainte mais se sont vu opposer la prescription des atteintes sexuelles qu'elles dénoncent. L'accumulation de ces témoignages sur les dérives du célèbre praticien, ses tentatives répétées de satisfaire ses désirs avec ses patientes, pèseront sans doute lourd pendant le délibéré. Mais comme dans toutes les audiences criminelles, et avec une acuité particulière dans ce dossier, la cour et les jurés devront s'interroger, au cas par cas, sur ce qui relève de la réprobation morale et ce qui entre dans le champ de la condamnation pénale.