Battisti : le roi est nu
Justice au singulier - philippe.bilger, 13/11/2012
Il ne faut jamais désespérer.
Il y a toujours un moment, une révolte, une lucidité, une libération qui ouvrent les portes à la vérité et mettent à bas les édifices du mensonge et de la mauvaise foi souvent construits avec le ciment politique, l'égarement intellectuel et la complaisance médiatique.
Pour la lumière sur Omar Raddad, Guy Hugnet, avec son livre remarquable et ayant réponse à tout, a remis la justice et ses légitimes évidences au centre du débat.
Pour les crimes des Prolétaires armés, dont Cesare Battisti, et l'histoire mouvementée et protégée de ce dernier, notamment en France et au Brésil, Karl Laske, qu'on ne peut soupçonner de partialité conservatrice, a enfin, avec son ouvrage "La mémoire du plomb", décidé de dessiller les esprits et de porter le fer cruel et décisif d'une investigation libre dans une cause gangrenée par les approximations et les manipulations.
Il a fallu attendre longtemps tant, en France, certains criminels bénéficient systématiquement d'une mansuétude qui fait chic quand ils ont su se lover au sein d'une mouvance politique, culturelle et médiatique. Cette passion aussi de notre pays pour les justiciers de chambre qui, sans aucune légitimité ni sérieux, se piquent d'éclairer avec leur ignorance la masse en lui démontrant qu'un assassinat n'est pas un assassinat et qu'il convient de relativiser. Qui dira le mal qu'ont fait, sans deviner quelle serait leur postérité vengeresse, Voltaire et Zola?
Karl Laske a regardé et il a vu que le roi était nu. Que Cesare Battisti n'était pas un homme dans le beau sens du terme.
Il y avait eu le livre de Guillaume Perrault, premier de cordée courageux, mais ce journaliste, écrivant au Figaro, avait évidemment tort d'avoir raison.
Je ne me fais aucune illusion. Comme pour mon précédent post par lequel je recommandais instamment le livre de Guy Hugnet, j'aurai pour ce billet les mêmes objections de commentateurs qui se garderont bien d'aller acheter, toutes affaires cessantes, l'ouvrage de Karl Laske parce qu'ils préféreront l'erreur et la méprise auxquelles ils sont habitués à une vérité dérangeante : devoir changer de conviction, même pour le vrai, c'est épuisant !
En même temps, pourquoi serait-il noble de promouvoir des romans et des essais souvent de manière hyperbolique en se refusant à rendre hommage à des textes qui font progresser l'esprit public, la démocratie puisqu'à mon sens vérité et justice lui sont consubstantielles ?
Je ne lirai pas ce texte et la divine surprise qu'il représente, en cette période où toutes les confusions sont reines, à la place de ceux qui feront la mauvaise tête et demeureront enfermés dans leurs préjugés.
Mais, tout de même, l'horreur, la cruauté et l'absurdité de ces crimes. La bêtise à tuer de ces Prolétaires armés. La folie à lier de ces malades. Le rôle déterminant de Battisti dans ces actions et leur inspiration en 1978 et 1979. Ses fuites, ses lâchetés, ses justifications puis ses protestations d'innocence. Cette vulgaire exploitation, par ses soins, d'un passé odieux. Cette manière de chercher des boucs émissaires : ses camarades d'alors, ses premiers avocats, la justice française qui lui avait pourtant fait confiance. Se détourner de soi pour éviter d'avoir à se condamner.
Mais, tout de même, le fait que la doctrine Mitterrand derrière laquelle lui-même et tous ses partisans inconditionnels se sont abrités n'a jamais bénéficié à Battisti puisqu'au printemps 1983 il en a été formellement exclu par Robert Badinter. C'est l'énorme, l'accablante révélation produite par Karl Laske qui publie le document relatif à cette décision.
Mais, tout de même et surtout, la ridicule et scandaleuse tragi-comédie autour de Battisti. Combien se sont brûlés les ailes en prétendant s'approcher de ce dévoiement, de cette personnalité guère estimable, de cet être qui fuyait la justice de son pays et que Lula, par pure politique, a accepté de maintenir au Brésil! Faut-il les citer, les mentionner, tous ces serviteurs de l'injustice, ces apôtres d'une mauvaise cause, ces personnalités gravitant dans les sphères où l'important n'est pas de se battre pour un enjeu qui en vaudrait la peine mais de s'accrocher à ce qui est paradoxal, incongru, choquant, qui surprend, qui est honteux et qui fait parler ! Battisti comme occupation d'un monde qui ne sait plus où donner de la générosité trafiquée. Fred Vargas, Yves Cochet, Bernard-Henri Lévy bien sûr, François Hollande malheureusement, DSK et tant d'autres qui, en France ou au Brésil, ont minimisé, porté secours et assistance à un homme qu'ils avaient imaginé, inventé. Une image italienne plutôt que le triste rejeton de l'histoire immémoriale et sanglante du crime politique. François Bayrou aussi, et c'est pratiquement la seule erreur de jugement que cet honnête homme a commise. Nicolas Sarkozy, malgré une réaction saine et convaincante après l'arrestation de Battisti au Brésil, s'est laissé doucement aller à une position inverse, sans doute guidé par son épouse et la soeur de celle-ci. Karl Laske décrit à la perfection ces coulisses, ces arrangements, ces services, tout cet entregent au détriment de la justice. Des trafics et des opportunités de privilégiés. Des puissants qui on ne sait pourquoi viennent au secours d'un criminel ; pour des crimes certes anciens mais qui gravés dans la mémoire collective indignent par leur sauvagerie aujourd'hui autant qu'hier.
L'affaire Battisti n'est pas une belle page de l'Histoire de France. En dehors de la décision de Robert Badinter.
On n'aurait pas eu une autre cause pour nous persuader que la France était un magnifique et généreux pays ?
Karl Laske, pourtant, à bien le lire, énonce cette intelligente injonction : regardez Battisti, le roi est nu.