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Les amis qu'on a, les amis qu'on n'aura pas...

Justice au Singulier - philippe.bilger, 7/12/2019

Mais il n'y a rien dans l'amitié qui déchire, blesse, magnifie et comble autant que la passion amoureuse.

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J'adore analyser ce qui tient aux sentiments humains, à l'amour, à l'amitié et à tant d'autres états d'âme qui composent un paysage intellectuel et psychologique impressionnant, émouvant ou enthousiasmant.

Il me plairait de quitter cette opposition récurrente et facile que dans beaucoup de dîners et d'échanges on développe entre l'amour et l'amitié, paradoxalement généralement au bénéfice de la seconde qui serait plus fiable, plus fidèle, plus constante que le premier avec sa subjectivité prête à toutes les fluctuations du désir et de l'humeur.

Plus le temps passe, plus je suis intrigué par le caractère polymorphe de l'amitié, la pluralité des amitiés réelles, possibles ou impossibles.

Par les amis qu'on a, par les amis qu'on n'aura pas alors qu'on les aurait souhaités.

Même dans la première catégorie, il est évident qu'aucune complicité ne ressemble à l'autre et que par exemple il y a des amitiés qui vous projettent sous une bienveillance tutélaire et d'autres qui vous assignent quasiment une mission délicieusement paternelle. Les premières vous placent dans une dépendance consentie et les secondes vous conduisent à dispenser une subtile ou ostensible influence. Il y a les amis qu'on écoute et ceux qui vous écoutent. Ceux dont on n'attend rien et ceux dont on espère tout. Les amis de tous les jours et les amis des moments solennels. Les amis présents quoique absents, les amis absents quoique présents.

Parce que c'était lui, parce que c'était moi. Montaigne et La Boétie, cette double identité renvoyant à une unité parfaite.

Parce que c'était lui, parce que c'était moi. Cette évidence qui manifeste les différences des personnalités explique aussi pourquoi il y a des amis qu'on n'aura pas, ceux précisément dont on aurait le plus besoin parce que soudain ils sont apparus et qu'ils vous semblent d'un coup irremplaçables et nécessaires. On voudrait les voir mais on ne les voit pas. Ils sont effarouchés quand on s'approche. Trop près d'eux, ils s'éloignent. Lointains, ils l'acceptent et ne s'étonnent jamais du temps qui passe et du gouffre que la vie place entre un désir d'amitié et sa piètre incarnation. Les amis qu'on n'aura pas sont ceux dont on ne comprend pas les évolutions et le comportement. Ce sont ceux qu'on désespère de retenir, qui ont peur de l'excès et de l'enthousiasme du sentiment. Ce sont ceux qui n'acceptent de se distiller qu'au compte gouttes. Ils ne se conçoivent que rares. Ils rendent des services du bout du coeur. Trop purs pour donner des preuves, trop sûrs d'eux pour se soucier véritablement de l'autre.

J'en connais quelques-uns de ce registre, de cet acabit. Ils vous affirment sans la moindre hostilité que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes et que les élans de l'amitié sont presque aussi ridicules que les démonstrations de l'amour. Les amis qu'on n'aura pas demeurent à l'horizon de notre existence et un jour ils lassent parce que nos attentes en ont assez de se heurter chez eux à une porte close.

Parce que c'était lui, parce que c'était moi, on ne pouvait pas s'entendre. J'étais là et il était ailleurs.

Les amis qu'on a, les amis qu'on n'aura pas.

Mais aussi les amis égaillés, perdus au fil du temps.

Mais aussi les amis égarés puis retrouvés avec une intensité et une fraîcheur aussi vives qu'à l'aurore de la relation.

Mais il n'y a rien dans l'amitié qui déchire, blesse, magnifie et comble autant que la passion amoureuse.


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