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Les Vraies Voix : une bienheureuse ascèse ?

Justice au Singulier - philippe.bilger, 3/04/2020

Quand on pourra revenir à l'air libre, si Sud Radio continue à me faire confiance, je n'aurais pas la nostalgie de cette période d'enfermement. Mais elle n'aura pas été un enfer, seulement une inoubliable expérience. Dont il serait aberrant d'oublier, de négliger, dans la vraie vie, toutes les leçons.

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Les Vraies Voix de 17 à 19 heures, chaque jour, sur Sud Radio. Une émission animée par Christophe Bordet.

Qu'on se rassure. Je n'ai pas l'intention une fois de plus, aussi sincère que je sois, de vanter cette excellente radio qui progresse considérablement et cette émission à laquelle je participe du lundi au vendredi. Je voudrais seulement - j'ai bien conscience que l'interrogation formulée par mon titre ne sera peut-être pas partagée par tous - montrer pourquoi je vis le confinement presque comme une chance médiatique.

Sans tomber dans un sadisme qui me ferait oublier que beaucoup sont obligés de l'assumer "à la dure" quand, grâce à la technique impeccable de Sud Radio, je peux l'appréhender telle une aubaine.

Ce qui est décisif dans le changement imposé par la distance tient au fait que l'absence de proximité physique entre les chroniqueurs, entre ceux-ci et leurs invités, laisse place à une parole nue, forcément débarrassée de toute scorie, voulue drôle ou délibérément audacieuse voire provocatrice, à un propos qui ne doit reposer que sur sa propre pertinence ou qualité intellectuelle. Je m'incrimine tout spécialement, moi qui m'abandonne trop volontiers, dans les temps ordinaires, au délice du contre-emploi et au glissement dans des territoires grivois et très légers, à mon grand dam. Même si je ne sous-estime pas les ravages d'une gravité permanente et l'ennui qui en résulte.

J'apprécie que le confinement et l'essentiel qu'il impose permettent à chacun de démontrer réellement ce qu'il vaut sur les plans du verbe, de l'analyse et de l'écoute. Nous sommes en rase campagne médiatique et les faux-semblants de l'ironie facile ou des plaisanteries douteuses sont forcément à rejeter.

Je mesure aussi à quel point l'intervention de l'autre, quel que soit son rôle dans l'émission, chroniqueur ou invité, devient un moment capital, l'expression d'une conviction qu'on ne doit pas interrompre, tout simplement à cause du respect auquel a droit une opinion avant qu'elle ait achevé son argumentation. Ces instants qui mettent en évidence une pensée parce que le silence des autres l'honore avant peut-être de la contredire me touchent infiniment. Au point que ma faculté d'écoute est parfois si ostensible que je voudrais lui assigner une finalité pédagogique. Pour que tous comprennent qu'on a moins besoin d'eux que de ce qui surgit de l'autre.

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Cette réserve n'est pas une frilosité mais d'abord une attente, voire une impatience maîtrisée de ce futur vite survenu où on abordera le questionnement. Il n'est pas une mince affaire contrairement à ce que croient certains plus préoccupés de leur être que de la curiosité pour l'inconnu à advenir.

J'ai eu trop l'habitude de l'interrogation dans mon existence judiciaire et dans d'autres activités médiatiques où j'ai cultivé avec bonheur la volupté de l'effacement, pour ne pas attacher une importance toute particulière à la question, à sa qualité et à son apport pour tous.

Elle ne doit pas paraphraser ce qui vient d'être dit, parfois en mieux, ni ne servir qu'à faire connaître son point de vue ; son objectif est de contraindre l'autre, par une curiosité de bon aloi, à aller plus profondément en lui-même pour s'éclairer, et nous éclairer donc, davantage. Rien ne m'insupporte plus que les échanges immobiles, les interrogations qui se cultivent, les questions qui nous font piétiner, les phrases toutes faites. Dans une émission, la règle d'or est d'avancer. Cela impose que ceux qui accueillent se considèrent comme moins importants que ceux qui viennent.

Le confinement et la bienheureuse ascèse dont je le crédite sur le plan médiatique, en tout cas pour moi débarrassé de l'impalpable timidité créée par la relation directe avec l'autre, font surgir, sous l'égide de mon ami Christophe Bordet devenu, quoi qu'il en ait, plus régulateur qu'animateur - le premier rôle plus riche, à mon sens, que le second -, une structure d'émission qui me comble. Probablement parce qu'elle correspond aux tendances profondes de mon tempérament. Celle d'une liberté ordonnée. Une liberté qui se donne tous les droits mais qui attend son tour. A la fois sûre d'elle mais modeste.

J'ai toujours été écartelé, presque voluptueusement, entre le "maître" que j'ai pu être, autorité comprise, et la personnalité disciplinée qui s'enorgueillit de son obéissance. C'est un grand bonheur que cette attente de la minute où la parole vous sera donnée, où elle aura toute latitude pour s'exprimer et, plus tard, être éventuellement contredite, avec la seule frustration que, ne voulant pas être trop long parce qu'on n'est pas seul, on n'aura pas forcément l'avantage de répliquer. Mais c'est la vie !

Quand on pourra revenir à l'air libre, si Sud Radio continue à me faire confiance, je n'aurai pas la nostalgie de cette période d'enfermement. Mais elle n'aura pas été un enfer, seulement une inoubliable expérience.

Dont il serait aberrant d'oublier, de négliger, dans la vraie vie, toutes les leçons.


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