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Pour les Bleus malgré tout !

Justice au Singulier - philippe.bilger, 14/06/2018

On a compris que je serai pour les Bleus malgré tout. Mais, de grâce, qu'on nous laisse seul à seul avec le foot.

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Ce samedi 16 juin, au lieu de revenir à 12h30 de Périgueux où le 15 au soir j'aurai le bonheur de dialoguer avec le Barreau de cette belle ville, j'ai décidé de repartir à 6h30 pour être présent devant mon poste de télévision à midi pour le premier match de l'équipe de France contre l'Australie. C'est dire que je ne crache pas sur le football et les joueurs talentueux et parfois sympathiques qui, je l'espère, honoreront notre pays.

Il n'empêche que je trouve que trop c'est trop. Ne sont-ce pas en effet "des millionnaires qui courent après un ballon ?" (France 2)

Mais pas seulement.

Tout de même on nous rebat les oreilles depuis des semaines avec 1998 comme s'il y avait eu non seulement une victoire contre le Brésil en finale de la Coupe du monde mais quasiment un tremblement national, une apothéose de la diversité alors que la suite a démontré que cette immense effervescence, cette folle espérance d'une réconciliation entre les pauvres et les riches, les inclus et les exclus, les black, les blancs et les beurs, les amoureux de la France et les épris seulement du sport étaient du vent, de l'illusion.

En 98 j'ai aimé regarder les matchs, j'ai eu peur parfois, contre le Paraguay et l'Italie notamment, j'ai jubilé devant les buts marqués, j'ai été surpris, mais heureux, par la nette et surprenante défaite du Brésil. Je ne me suis pas désolidarisé de ce consensus dès lors qu'il s'attachait à l'essentiel qui était le sport, la volonté de l'emporter, la fierté de conquérir un trophée et une France qui durant quelques jours n'avait pas été totalement ridicule en prenant ses footballeurs pour des héros. Même si je renâclais un peu : je ne les appréciais pas tous à la même aune.

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Mais parasitant l'événement, j'ai détesté sa périphérie hypertrophiée, la mousse, le verbiage, la fausse joie, le mécanisme exalté jouant à se faire passer pour un lien fort et démocratique.

Alors comment pourrais-je ne pas être agacé par ce délire nostalgique, ce radotage médiatique qui nous inondent depuis quelque temps ?

Tout n'est pas ridicule de surabondance et d'enflure par rapport à l'état du monde. Il y a de beaux moments qu'on peut relier directement ou indirectement à 98 et à l'équipe de France actuelle.

Le génie d'entraîneur de Zinedine Zidane, son intelligence pour avoir su quitter sa mission au sommet de son art et au comble de la réussite.

Le magnifique couple qu'il forme avec son épouse sur une couverture de
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qui enfin nous dispense d'une promotion politique.

Le match France 98-sélection FIFA 98 qui s'est terminé par la victoire de la première avec de l'émotion pour des talents et des techniques alourdis mais encore remarquables.

Mais dans l'environnement, que d'insupportables bavardages et congratulations ! La France serait devenue la première puissance mondiale sur le plan économique qu'il n'y aurait pas eu plus de lyrisme cocardier et excité.

Le documentaire sur "98, les secrets d'une victoire" où, au milieu d'un interminable blabla et avec des commentaires insipides, on a tout de même pu revoir des buts. Comme ils ont un complexe, à force de théoriser sur le foot ils ne sont pas loin de nous le rendre aussi rébarbatif qu'une science inexacte !

Et ils sont partis pour la Russie.

Comme d'habitude, on les voit déjà trop beaux. Comme si une grande équipe sur le papier allait l'être sur le terrain. Comme si la fraîcheur et le délice de l'espérance avaient déjà la saveur de la réussite. Cette manie française qui révèle au fond une angoisse : se dépêcher de gagner avant par crainte de ne plus pouvoir le faire après !

Il y a cette anticipation permanente - on vend la peau de tous nos adversaires trop vite - et à la fin, si le résultat n'est pas à la hauteur, on exagère le désastre. On n'a jamais une relation saine avec le sport et nos enthousiasmes comme nos désespoirs manquent de lucidité.

Pourtant nous avons nos chances pour aller le plus loin possible. Modestement, empiriquement, sans nous pousser du col. Avec élan mais sans arrogance, en ne méprisant pas notre premier adversaire teigneux, robuste qui, heureusement pour lui, n'est pas favori : il est donc libre et décontracté.

Bien sûr je couperai le son pour pouvoir goûter exclusivement le langage des images, la survenue des buts et, peut-être, notre victoire. Un match après l'autre. J'ai peur de ne pas pouvoir tous les regarder en direct mais je ferai le maximum pour être un citoyen exemplaire, solidaire mais pas chauvin. Je m'énerverai devant les arabesques inutiles de Pogba et les courses folles mais mal terminées de Dembélé. Je tremblerai pour et avec Lloris. Je dépenserai de l'énergie comme "beauf" quand onze compatriotes en dépenseront pour de vrai.

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Dans un débat avec Maxime Marchon de So Foot sur Radio Classique, j'ai admis me caricaturer moi-même en me traitant de "beauf absolu". Alors que je n'éprouve aucune honte, sur le plan purement sportif j'insiste, à me passionner pour le football et ce n'est pas seulement la nostalgie de ma jeunesse qui me fixe devant l'écran. C'est que les matchs sont une métaphore de nos vies quand elles aiment la lutte et la conquête. On est eux comme ils pourraient être nous. Les intellectuels n'ont aucune raison de s'excuser quand la fascination les saisit.

Mais encore faut-il que l'univers du sport, largement entendu, y mette du sien.

Pour un Hugo Lloris ou un Kylian Mbappé (pour l'instant : un miracle sur tous les registres), que de joueurs ne comptant que sur leurs pieds ! Pour une présidente de classe de la LNF, que de dirigeants et de hiérarques bas de gamme ! Pour un Hervé Mathoux ou un Lionel Rosso, que d'affligeants commentateurs et analystes pontifiant et massacrant le français avec en prime, lors des mi-temps, le calamiteux et rigolard Paganelli questionnant, si on peut dire, des joueurs ayant déjà les pieds ailleurs ! Pour des politiques authentiquement passionnés, que de faussaires et de démagogues !

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Je n'ai pas la moindre condescendance pour ce monde. Parce que je le respecte, je regrette qu'il se soit trop enfermé dans la piètre opinion qu'on a de sa relation au monde, au verbe et à la culture. J'attends de lui qu'il ne rende pas absurde la dilection qu'on continue d'avoir pour lui.

Mais il y a aussi le terrain, la confrontation, les occasions, les arrêts, les buts manqués, les buts marqués, les nuits agitées parce qu'à la dernière minute on perd, les miracles, les penaltys, l'adrénaline du spectateur engagé.

Je vais tenter d'oublier 1958, l'allure de cette équipe menée par Kopa avec Just Fontaine, exceptionnel buteur. A chaque réalisation, les joueurs ne s'empilaient pas les uns sur les autres et ne perdaient pas ainsi toute concentration.

On a compris que je serai pour les Bleus malgré tout.

Mais, de grâce, qu'on nous laisse seul à seul avec le foot.


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