Hervé Temime auteur de vue
Justice au singulier - philippe.bilger, 16/11/2012
Une seconde, j'ai hésité. Maître Temime ou non ?
La première branche de cette alternative aurait été évidente, normale, presque nécessaire tant Hervé Temime, dans son livre "La défense dans la peau" (Stock), exprime sa passion de défendre, célèbre l'honneur d'être avocat et magnifie l'exigence de justice.
Pourtant j'ai choisi, pour ce texte de 160 pages dense, enflammé, enthousiaste et convaincant, de privilégier l'auteur, le citoyen Temime.
Parce que la grande force de cet ouvrage qui a l'élégance de ne pas se pousser du col pour laisser le lecteur, au fil des pages, découvrir sa richesse, tient au fait qu'Hervé Temime, traitant du barreau, de sa vocation enracinée très tôt, de sa pratique, de ses admirations, de son existence entre cabinet, procès et plaidoiries, décrit et explore si bien cet univers, en révèle si lucidement les enjeux humains qu'il parvient à s'adresser à tous. Le particulier professionnel se sublime en analyse politique, en universel humain. Le profane est fasciné parce que cette justice, c'aurait pu être lui, ce sera lui peut-être demain.
Rien de pire, en effet, que ces avocats ne cherchant à attirer, peu ou prou, qu'une clientèle ciblée. De spécialistes. Hervé Temime à l'évidence se défie comme de la peste de ce danger qui guette beaucoup d'essais et de relations judiciaires.
Très peu d'anecdotes mais signifiantes, une verve, une chaleur, une alacrité, une fraternité qui le montrent familier avec tout ce que la justice a de meilleur, sensible à plusieurs des personnalités les plus remarquables pour le talent de l'audience et l'art de la parole. Avec le courage en plus. Et, surtout, l'éthique : rien ne me plaît plus que cette obsession au coeur de sa conception de l'avocat au service des autres, les faibles, les humiliés.
S'il n'abuse pas des portraits - encore une facilité dont il se garde ! -, la certitude, sans ostentation, de ce qu'il vaut, avec les doutes, l'inquiétude et l'humanité qui s'accordent à cette affirmation intelligente de soi, lui permet de faire preuve d'une empathie profonde non seulement pour ceux qu'il a accepté de soutenir mais, au-delà, pour les grandeurs et les petitesses, les médiocrités d'un monde qu'il connaît mieux que personne. Il ne s'abandonne pas à ce confort vulgaire de se "payer", comme d'autres, un peu mécaniquement la magistrature car il est trop conscient et lucide pour penser qu'il suffit d'être avocat pour être exceptionnel - certains se trouvant indépassables dans tous les cas!
Ce livre, pour ceux qui ont eu la chance d'entendre parler, plaider, dialoguer Me Temime, est un éclatant prolongement de son être, de son caractère et de son oralité. Il est tout entier présent, en esprit et dans la forme, car il n'y a pas l'ombre d'un hiatus entre l'avocat et l'auteur, entre l'homme et ce qu'il a élaboré et transmis. Le style ne s'en ressent pas qui est direct, simple, efficace, empli parfois d'une émotion qui n'est suscitée que par la mémoire pudique de ses jeunes années et par l'enchantement souvent douloureux mais irrésistible d'une passion de défendre autour de laquelle son existence a trouvé sa cohérence, son dessein et son destin.
Pour démontrer à quel point cet ouvrage est à la fois atypique et pleinement réussi, je voudrais faire part d'une réserve paradoxale.
Hervé Temime termine par un beau chapitre sur la lignée, ces avocats consacrés d'hier dont il n'est pas indigne, ces avocats estimés d'aujourd'hui dont il est proche. Je n'ai pas envie de le chicaner sur telle ou telle de ses dilections. Pour la plupart, je les partage, notamment pour ce qui concerne Me Henri Leclerc et Me Jean-Louis Pelletier.
Là n'est pas l'essentiel.
Au moment où il parle avec reconnaissance des autres, j'ose dire que lui, le seul sujet qui nous importe, nous manque. Sa voix vraie, authentique, âpre et séduisante en même temps, sans complaisance mais sans grossièreté, s'est adoucie. Il y a comme une inévitable accalmie dans ces pages si généreuses pour d'autres. Nous nous sentons orphelins de quelqu'un qui nous a quittés. Parce que les chapitres d'avant, c'était lui, seulement lui, et que c'était bon. On le punirait volontiers pour sa délicatesse d'esprit et de coeur qui le fait se détourner de lui-même pour vanter ses maîtres. Peu de livres vous font autant désirer que l'auteur, l'homme, l'avocat ne s'absentent pas, même par élégance, de leur trajectoire. Ils sont si passionnants, si éclatants et si complexes qu'on n'est pas rassasié d'eux et qu'on aurait volontiers différé de nous pencher sur d'autres. Quel éloge de souligner qu'Hervé Temime a manqué d'égoïsme !
La défense dans la peau : Hervé Temime, s'il convenait de le comparer, serait un Thierry Lévy à la fulgurance moins roide, un Dupond-Moretti à la puissance moins ostensible.
Un auteur de vue.