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L'incompétence ministérielle, une obligation ou un risque ?

Justice au singulier - philippe.bilger, 8/04/2014

Ceux qui ont fui le vote, par indifférence paresseuse ou par rejet délibéré, vont-ils, la prochaine fois, se ruer aux urnes ? Non, sauf si la compétence ministérielle devenait ou redevenait un honneur et un service.

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La composition de ce nouveau - il faut le dire vite - gouvernement me reste sur l'esprit.

De qui se moque-t-on ?

Ainsi le président de la République aurait entendu le message des Français en changeant seulement de Premier ministre et, bien sûr, en ne déviant pas d'un pouce de sa politique ? Si on peut comprendre sa volonté de ne pas abandonner déjà sa ligne social-démocrate, en revanche comment considérer cette équipe composée des mêmes ministres, ou quasiment, les seules arrivées de Ségolène Royal et de François Rebsamen ne bouleversant tout de même pas la donne (Le Monde, Le Figaro, LCI) ?

La première, d'ailleurs, a été incapable d'expliquer au Grand Jury pourquoi ce groupe quasiment reconduit créerait un choc, serait de combat plus que le précédent. On espère, par cette illusion de métamorphose, persuader le pays de la réalité d'une prise de conscience et, donc, d'une efficacité enfin conquise. Le pari est loin d'être gagné.

Il suffit pour s'en convaincre d'appréhender le jeu politicien dans sa caricature et les compromis ordinaires dans leur vulgarité, qui ont été, l'un et les autres, à la source de ce bouleversement plus médiatique que profond.

Ce n'est pas d'aujourd'hui que la compétence d'un ministre, son terrain d'élection constituent, sans paradoxe, plus un handicap qu'une chance. Le procédé est tellement systématique sous n'importe quel pouvoir qu'il nous oblige à nous interroger sur la désinvolture avec laquelle on nomme, on remplace, on déplace, on promeut les ministres. Au petit bonheur, au grand opportunisme, à la petite fortune, à l'immense et déplorable tractation.

Comment, à partir d'une telle méthode qui défie le bon sens et la cohérence, espérer que le citoyen puisse avoir d'emblée une confiance forte en ceux qui vont, sous l'autorité d'un Premier ministre, administrer la France ? Comment, en tout cas, s'imaginer qu'elle durera plus de quelques jours ?

J'entends bien qu'on cherche sans doute à nous démontrer par ce ridicule et superficiel maelstrom au sein d'un espace resserré - avant les secrétaires d'Etat qui, j'en suis sûr, vont compenser - que les hommes et femmes politiques seraient naturellement omniscients avec une culture à la fois générale et spécialisée qui les garantirait contre tout faux pas, toute ignorance fatale.

On nous répète assez qu'ils disposent d'une administration dont au demeurant on déplore souvent l'emprise sur les ministres et les cabinets.

Je ne conteste pas qu'en amont, les expériences municipales, départementales ou
régionales, avec leur pragmatisme et le fait qu'elles contraignent à prendre en charge une infinité de problèmes et de matières, peuvent représenter un prélude non négligeable à l'honneur ministériel.

Mais il me semble toutefois que la coupe est pleine de ces absurdités et de ces déplacements sans queue ni tête, dans une structure homogène, de personnalités présentes hier et égarées aujourd'hui. Même Ségolène Royal qui ne manque pas d'aplomb et connaît l'art de dissimuler ses ignorances en les déguisant en tactique était pathétique sur l'écologie et dans ses réponses aux questions qu'on lui posait, qui n'avaient que le tort d'être précises. Condamnée à sortir des généralités, elle entrait de plain-pied dans l'embarras d'avoir été distinguée par un retour attendu mais d'être démunie faute de compétence véritable, en dépit de ses références à la région Poitou-Charentes dont elle nous rebat les oreilles chaque fois que le national la déstabilise.

François Rebsamen aurait été un remarquable ministre de l'Intérieur mais ce fut Bernard Cazeneuve qui obtint le poste. Il ne va sans doute pas démériter mais comment refuser ce constat qu'il aurait été meilleur et plus efficient ailleurs et que Rebsamen, en remplaçant Michel Sapin, va se battre pour réduire le nombre de chômeurs mais que place Beauvau il était le technicien qu'il fallait ?

Il est triste de déplorer que la composition du gouvernement de la France dépende aussi prosaïquement de paramètres, de partialités, de refus et d'adhésions qui n'ont rigoureusement rien à voir avec la qualité intrinsèque des ministres et la charge qui devrait leur être intellectuellement et empiriquement confiée.

Est-il, sur un autre plan, normal que le Premier ministre fasse le forcing auprès de Christiane Taubira, pour la maintenir, parce qu'il a besoin d'une caution de gauche pure alors qu'il sait pourtant que son bilan est médiocre ? Elle exige de rester garde des Sceaux parce qu'elle tient à présenter le moment venu son catastrophique projet de réforme pénale. Derrière ces politesses internes et ces coulisses de mauvais aloi, qui s'est soucié de l'une des leçons au moins des élections municipales ? Si la gauche pure et dure s'est beaucoup abstenue, l'éclatante victoire de la droite classique et la conquête de plusieurs mairies par le FN transmettaient un message de fermeté et de rigueur, de désir de sécurité et de justice. N'y a-t-il pas, avec une Christiane Taubira étonnée elle-même d'être encore judiciairement désirée, ce qui montre qu'elle est plus lucide que ses apparents soutiens politiques, une manière de traiter avec indifférence, presque avec mépris le peuple français ? Vulgairement dit : cause toujours, tu ne m'intéresses pas !

Le couple Montebourg-Sapin n'est-il pas improbable ? On aura beau me convaincre de sa sincérité, le dithyrambe du premier sur la manière de Valls, après le premier Conseil des ministres, contre celle d'Ayrault, sent trop la connivence tactique - entre le Premier ministre, Benoît Hamon et lui - pour donner même un léger souffle d'air pur à la politique.

Il serait aisé de poursuivre cette analyse qui confirme que la connaissance et la
compétence reconnues pour un ministre, puisqu'il fera l'objet lors des évolutions gouvernementales de mouvements sans rapport avec eux, seront plus à sa charge qu'à son crédit. Comme si la maîtrise d'un savoir était une honte et que la technocratie
représentait un tel repoussoir qu'on oubliait qu'elle était souvent la caricature d'une excellence réelle et éclairée.

Je devine les expérimentés, les sages, les blasés murmurant déjà que tout cela n'a aucune importance, que c'est dérisoire, que les hommes ne comptent pas et que seul le fond est capital. Peut-être mais il me semble tout de même qu'il y avait mieux à faire que d'offrir au désir de renouveau, après les municipales, cette pitoyable plongée dans ce que la politique a de pire : rien d'authentique, tout pour la façade. Des manoeuvres non pas pour aboutir au meilleur gouvernement possible mais à celui qui satisfera le plus les coteries et les clans.

On a presque envie de raviver le souvenir de Charles de Gaulle pour qui ce pouvoir fractionné et ce politicien sans mesure étaient le pire de la République.

Ceux qui ont fui le vote, par indifférence paresseuse ou par rejet délibéré, vont-ils, la prochaine fois, se ruer aux urnes ?

Non, sauf si la compétence ministérielle devenait ou redevenait un honneur et un service, une exigence forte pour le Premier ministre et le président.


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