L’Europe va-t-elle se noyer dans le juridisme ?
Actualités du droit - Gilles Devers, 13/08/2012
L’Europe aurait besoin d’options politiques franches pour que la construction européenne soit comprises des Européens, mais par facilité, le staff politique préfère le juridisme. La décision du Conseil constitutionnel du 9 août (n° 2012-653) en est un triste exemple, instituant une règle d’or... en caoutchouc, avec contrôle local de la qualité.
C’est un peu technique, mais vous allez voir que c’est éclairant sur les travers de la construction européenne.
Le traité de stabilité de mars 2012
Le 2 mars 2012 à Bruxelles, les représentants des Etats de la zone euro, donc pas la Grande-Bretagne, ont signé le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) au sein de l'Union économique et monétaire.
Dans l’ordre juridique, un traité est inférieur à la Constitution, et si le traité comporte des dispositions contraires à la constitution, il faut soit y renoncer, soit modifier la Constitution. Hollande avait donc saisi le Conseil pour avoir un avis préalable (Constitution, Art. 54).
Sur le papier, le traité est beau un camion européen : règle d’or, ie déficit structurel à 0,5 % du PIB, contre 3% dans le traité de Maastricht, sous peine de sanctions et nécessité pour un État en déficit excessif de fournir un plan de réformes structurelles soumis à approbation du Conseil européen. Avec çà, ça va filer droit, et les marchés vont arrêter de tracasser la zone euro.
Que dit le Conseil constitutionnel ?
Le Conseil constitutionnel nous explique qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter car tout cela est élastique.
Je vous livre ce magnifique considérant 19.
« 19. Considérant que les stipulations du paragraphe 2 de l'article 3 comportent une alternative selon laquelle les États contractants s'engagent à ce que les règles énoncées au paragraphe 1 de l'article 3 prennent effet dans leur droit national, soit « au moyen de dispositions contraignantes et permanentes, de préférence constitutionnelles », soit au moyen de dispositions « dont le plein respect et la stricte observance tout au long des processus budgétaires nationaux sont garantis de quelque autre façon ».
Donc, deux solutions :
- Soit la France inclut le dispositif TSCG dans la Constitution, et là la sanction sera automatique ;
- Soit la France s’engage à respecter le dispositif TSCG « de quelque autre façon ».
Elle est pas belle la vie ?
Prenons les excès de vitesse :
- Soit on les limitations sont prévues par la loi, et les PV tombent ;
- Soit on s’engage à respecter les limitations « de quelque autre façon ».
Pas de contrainte, mais un petit chouïa quand-même…
On va donc choisir le « de quelque autre façon », et on aurait pu en rester là,... c’est-à-dire considérer le TSCG comme un traité de plus, répondant au mécanisme du contentieux courant (On verra ce que dira la Cour constitutionnelle allemande). Mais là, le Conseil constitutionnel nous offre un splendide salto arrière pour dire que « de quelque autre façon », çà peut aussi être une loi organique.
Mais qu’est-ce qu’une loi organique ?
Les lois organiques (Constitution, art. 46) sont en quelque sorte les décrets d’application de la Constitution, et les lois ordinaires sont votées dans le respect de la Constitution et des lois organiques. Vous trouverez ci-dessous le texte de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, qui comprend uniquement des dispositions techniques encadrant la procédure, mais pas de règles de fond, pour respecter la souveraineté de la loi.
C’est du trapèze juridique. Le Conseil explique que le gouvernement est libre, car il peut utiliser le « de quelque autre façon », mais il dit qu’introduire le TSCG dans une loi organique, ça serait sympa.
On dégage la contrainte de la Constitution… mais pour faire un peu sérieux, on la colle dans une loi organique. Une astuce qui permet à Hollande de faire voter un texte sans s’embrouiller avec une révision de la Constitution…
Et qu’en pensera la CJUE ?
Le Conseil constitutionnel fait le coq en disant que c’est lui qui vérifie la conformité des lois de finances et pas la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE). Bref, ça restera une affaire nationale.
Certes, mais en revanche, la CJUE est compétente pour apprécier les procédés de mise en œuvre des traités européens, dont le TSCG, et je ne suis pas sûr que cette tambouille franchouillarde lui suffise.
En effet, il faut choisir : le but proclamé de la règle d’or était d’instituer l’orthodoxie des budgets sans déficit, contre la thèse de ceux qui veulent de réserver un peu de financement public par l’emprunt pour soutenir l’économie. Le TSCG, c’était clairement la volonté de passer d’un système à l’autre, car les Etats n’ont pas été sérieux avec l’endettement public.
Aussi, je serais très intéressé de savoir ce que serait la réponse de la CJUE face à cette règle d’or en caoutchouc.
Deux remarques au passage...
1/ Le TSCG, en mars 2012, c’était la déclaration d’une discipline budgétaire de fer pour calmer les marchés fâchés avec ces Etats vivent au dessus de leurs moyens en empruntant à tout va. Donc, qu’en dira la finance ?
2/ L’Europe des Etats ne peut se faire sans l’implication des peuples, dans l’esprit de la démocratie. Or, la réalité est une politique européenne qui devient illisible, se planquant derrière le juridisme pour ne pas assumer… Ca, ce n’est pas bon.