Malouines : L’Argentine attaque les entreprises
Actualités du droit - Gilles Devers, 5/06/2012
Aux Malouines, flotte le drapeau british, comme si c’était une évidence. Mais ces iles, vérification faite sur une carte, me semblent tout de même davantage dans la sphère d’influence argentine.
En droit international, les Iles Malvinas, abusivement rebaptisées Falkland, sont sur la liste des territoires non autonomes de l'ONU. Ce qui signifie que pour la communauté des Etats du monde, la question de la souveraineté n’est pas tranchée et que les British, en droit, sont juste administrateurs.
Les Malvinas,c’est un archipel à 500 km des rivages argentins. Deux grandes iles et une kyrielle d’ilots. Seules les deux grandes iles sont habitées, autour de 3 000 personnes, toutes british. Un référendum d’autodétermination est refusé par principe par les deux parties : les Britanniques s’estiment chez eux et ne veulent pas entendre parler de ce référendum, et l’Argentine sait que le référendum serait une blague car sur ces îles quasi désertiques – les 3 000 habitants se partagent la surface d l’Irlande – tous sont arrivés en direct du Royaume Uni, et qu’on y compte en permanence plus de 1 000 soldats de sa Si Gracieuse Majesté.
L’Argentine a pour argument l’histoire, la colonisation dès les années 1830, le contrôle sur toute la zone qui doit être Sud–Américaine (et ici argentine) et le classement des îles comme territoire non-autonome par l’ONU.
Le dossier n’a jamais avancé car le Royaume-Uni ne veut entendre parler de rien, connaissant aussi bien les contraintes du droit international que ce qu’apporte cette présence stratégique : un point de vue imprenable sur ce secteur de grand passage, une zone d'exploitation maritime inespérée, les richesses de la mer et du sous-sol, et l’accès à l’Antarctique. Tout çà pour pas un rond.
En 1982, les Argentins avaient fait parler la poudre, débarquant leurs troupes sur les îles pour y planter leur drapeau. Les Britanniques avaient répliqués par une attaque grand format, et les Argentins avaient dû reprendre la mer, après de lourdes pertes humaines. Une humiliation pour l’armée, qui fut aussi le signe de la déconfiture des généraux au pouvoir. La guerre perdue conduisit à l’arrivée de la démocratie.
Trente plus tard, rien n’a bougé, sauf que les drôles de Britanniques du Grand Sud Américain ont blindé leurs positions. L’ONU n’a rien changé de ses analyses et encourage à la négociation pour sortir de ce conflit de souveraineté. Rien ne bouge.
C'est dans ce contexte que l’Argentine reprend l’initiative, et de manière très astucieuse.
Hier, la présidence argentine a déclarées clandestines les activités de cinq compagnies pétrolières autour des Malouines : « Ces activités s’avèrent illégitimes et clandestines car elles sont menées dans une zone sous souveraineté de la République Argentine et hors de ce que stipulent ses lois et règlements ».
Formellement, c’est le secrétaire argentin à l’Energie, Daniel Cameron, qui a signé les résolutions, publiées au Bulletin Officiel, déclarant illégales et clandestines les activités des compagnies Desire Petroleum, Falkland Oil and Gas, Rockhopper Exploration, Borders and Southern Petroleum et Argos Resources.
« Ces compagnies ne disposent d'aucune autorisation délivrée par les autorités compétentes du gouvernement argentin conformément aux dispositions de la loi 17.319 sur les hydrocarbures.La déclaration de clandestinité ouvre la voie au lancement immédiat de poursuites au civil et au pénal contre ces entreprises, y compris pour avoir commis des délits en violant la législation douanière et fiscale », a ajouté le ministère argentin des affaires étrangères.
Cette initiative est très sérieuse, et devrait faire réfléchir tous les responsables politiques confrontés au mépris du droit international. Le droit est énoncé, incontestable, mais les Etats dominants s’en moquent, sachant à quel point il est difficile d’agir en droit international contre eux. Pas impossible, mais très difficile.
Tout autre est la situation des entreprises, sans immunité, ni revendication de souveraineté, et d’autant plus fragile que le moteur de leur action n’est pas la défense d’un droit fondamental, mais seulement les bonnes affaires.
Dans les territoires non-autonomes, l’exploitation ne peut se faire que dans l’intérêt des populations, et quid de cet intérêt quand l’entreprise ignore ?
Les entreprises sont ensuite enserrées dans tout le droit économique : douane, fiscalité, certificat d’origine. S’ajoute la concurrence déloyale car faire des affaires en violant le droit est une circonstance établissant la concurrence déloyale. Aussi, elles peuvent être attaquées en justice de toute part – par les gouvernements, les entreprises concurrentes, les syndicats, les groupes militants – et de tout côté – civil, pénal, douanier.
Ce contentieux démarre. Il sera moins spectaculaire que l’attaque militaire de 1982, mais il sera plus efficace car l’Argentine connait beaucoup de pays amis pouvant assurer les mesures d’exécution. L’Union Européenne va trouver prise dans la vague, car via le colonisateur britannique, elle devient partie prenante de la violation du droit de l’ONU. La jurisprudence qui va en résulter en intéressera beaucoup de peuples, parfois bien loin des Malvinas.
Heureusement qu'il y a le blog, car on est toujours les derniers informés !