Langues régionales : A quoi sert le pouvoir politique ?
Actualités du droit - Gilles Devers, 27/03/2013
La non-ratification de la Charte européenne des langues régionales, un feuilleton de 20 ans, montre un pouvoir politique trouillard, qui tremble devant la reconnaissance de la moindre minorité dans le pays, et se paralyse devant les avis juridiques du Conseil d’Etat. Mais comment peut-on diriger une démocratie quand on fait si peu confiance au peuple ?
La charte
Le texte en question est la « Charte européenne des langues régionales ou minoritaires », adoptée dans le cadre de l’excellent Conseil de l'Europe le 5 novembre 1992. L’idée est limpide : les langues régionales ou minoritaires, qui ont eu un rôle historique dans la création des Etats européens, risquent de disparaitre si elles ne sont ni enseignées, ni pratiquées. Il s’agit de protéger des expressions minoritaires qui risquent d’être laminées par les poids des langues dominantes.
24 Etats ont ratifié la Charte, dont la Grande-Bretagne, Les Pays-Bas, l’Allemagne, l’Espagne, l’Autriche, la Suède, la Norvège, le Danemark, la Finlande, la Hongrie…
Chirac
En juin 1996, Chirac, jeune président de la République, porté par le bon air marin de Quimper, s’était enthousiasmé pour ce texte : « J'ai toujours été favorable au maintien et au développement des langues régionales qui sont l'expression de cultures. J'invite les autres européens, hispanophones, lusophones et autres, à s'associer pour défendre avec énergie nos langues contre le risque d'uniformisation culturelle due aux nouveaux réseaux d'information. Chaque culture est précieuse. Elle s'exprime à travers une langue. C'est pourquoi ces langues doivent être considérées comme précieuses ».
Très bien ! Donc, le parlement va ratifier la Charte. Pour préparer ce vote, le gouvernement consulte le Conseil d’Etat, qui répond par un avis du 24 septembre 1996 (n° 259.461).
Là, on tombe sur un os. Le Conseil d’Etat met en exergue l’article 2 de la Constitution selon lequel « la langue de la République est le français ». La Charte prévoit pour ces langues des enseignements optionnels et leur usage dans les médias : no problem. En revanche, le Conseil d’Etat s’étrangle devant les articles 9 et 10 qui reconnaissent « un droit à l'utilisation de langues régionales ou minoritaires dans les rapports avec la justice et les autorités administratives ». Bien sûr, ce droit est fait de tempéraments, et les pays qui le pratiquent ont survécu...
Mais pour le Conseil d’Etat, c’est l’abomination la plus absolue, qui entraîne illico presto vers la ruine de la République. Faites sonner la garde : l’unité du pays est en danger. Aussi, la réponse est tranchée : les articles 9 et 10 sont contraires à la Constitution, et donc bye bye la ratification.
Sarko
Chirac est passé à d’autres promesses, et on arrive à Sarko, qui lui aussi adore les langues régionales et patin couffin. Donc, c’est la « rupture » : on va modifier la Constitution. Très bien.
Mais, grosse surprise devant la réforme (loi n° 2008-724 du 23 juillet 2008). On n’a pas touché à l’article 2,… et on a simplement ajouté un petit truc décoratif, après la porte à droite au fond du couloir, à savoir un article 75-1, aux termes duquel : « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ». Comme rupture, ça se pose là...
A l’occasion d’une affaire portant l’enseignement des langues régionales (Code de l’Education, art. L. 312-10), un joyeux collègue a posé une QPC, soutenant que ce texte mollasson était contraire au splendide article 75-1 de la Constitution.
Rien du tout mon chéri, lui a répondu le Conseil constitutionnel (n° 2011-130 QPC du 20 mai 2011), et ce pour la simple est bonne raison que cet article 75-1 de la Constitution ne peut être invoqué dans un litige, car c’est du vent. C’est une déclaration sans force juridique, dont on ne peut rien faire.
Hollande
Mais tout ça, c’était du petit bois pour allumer le feu ! Avec le chef de guerre Hollande, le changement c’est maintenant, alors on va la ratifier vite fait bien fait la Charte, et pour se faire, on va d’abord voter une réforme nette et propre de la Constitution. C’est l’engagement n° 56, et le président normal ne rigole pas avec les engagements du candidat normal, ça se vérifie tous les jours, et c'est normal.
Bien sûr, avant de réformer la Constitution, le gouvernement prend l’avis du Conseil d’Etat,… qui s’est prononcé ce 5 mars 2013. Alors, qu’a répondu le Conseil d’Etat ? Exactement ce qu’il avait répondu le 24 septembre 1996 : si on déroge à la langue française, on met la patrie en danger, en zigouillant le principe de l’unicité du peuple. Il est bien évident que le Conseil d’Etat n’allait pas se déjuger, et la réformette de 2008 ne risquait pas de l’encourager.
La procédure imposait de consulter le Conseil d’Etat, mais la réponse était attendue,… et ce n’est qu’un avis juridique.
Et, là…
Je laisse Jean-Jacques Urvoas, le grand pote breton de Hollande raconter à la presse : « Mardi soir, j’ai reçu un courrier de François Hollande. Il m’informait que compte tenu de l’avis négatif du Conseil d’État, le projet de loi constitutionnelle permettant la ratification de la charte des langues régionales avait été enlevé ».
Modifier la Constitution visait justement à dépasser les blocages du Conseil Constitutionnel ou du Conseil d'État… « C’est bien pour cela que je veux changer la Constitution, sinon, on tourne en rond ».
Au prochain…
On attend donc le prochain candidat. Il fera une belle déclaration en Bretagne, expliquera la voix tremblante son feu pour la culture des terroirs, rédigera un bel engagement de campagne… et une fois élu, il demandera au Conseil d’Etat ce qu’il doit faire.
Question de démocrate : Plutôt que voter pour un président cosmétique et des députés petits pois, pourquoi ne pas élire les membres du Conseil d’Etat ? Vu où nous en sommes, ce serait plus franc pour la France, non ?
En zone dangereuse