Etats d'âme - 4
Justice au Singulier - philippe.bilger, 1/08/2018
La parole, la liberté d’expression, le silence, l’écoute, le doute, la contradiction, l’affirmation et l’hésitation, la généralité et les nuances : autant de phases et d’étapes pour l’intelligence et le caractère qui sont trop souvent considérées isolément comme si elles ne faisaient pas partie d’un processus qui par exemple impose le silence, l’écoute puis la contradiction, enfin la parole.
Ce n’est pas seulement propre à l’univers judiciaire où le barreau enjoint trop volontiers à la magistrature d’être attentive au doute au point d’ailleurs, si elle suivait cette pente, de devenir inapte à tout jugement. Comme si l’obligation intellectuelle du doute et l’honnêteté qu’elle postule étaient aux antipodes du devoir de trancher. Alors que ce dernier ne prend son sens et n’est assuré d’une validité que précédé par une démarche d’interrogation et de scrupule.
Ce que j’évoque est encore plus pertinent sur les plans politique et médiatique. On ne se tait pas, on n’écoute pas, on ne laisse pas parler, on anticipe la prochaine réponse en préparant sa prochaine question de sorte que dans le dialogue, chacun fait bande à part, feignant de s’intéresser à l’autre quand il ne songe qu’à soi.
Cette autarcie qui enferme chacun dans le pur désir d’un monologue que la convention contraint à déguiser en échange est sans doute la cause la plus profonde de la médiocrité, voire de la pauvreté des multiples séquences qui prétendent éclairer le citoyen quand au fond elles l’égarent ou l’étouffent par surabondance.
Il suffirait de tenter l’expérience : quelqu’un parle, on l’écoute, on se tait, on le questionne, il s’exprime, il ne convainc pas, on doute, il accepte les nuances et formule son opinion.
Je ne vois pas pourquoi une telle richesse, avec une sophistication aussi affinée, ne pourrait pas irriguer la quotidienneté politique et médiatique, les débats intellectuels. Pour que les décrets d’autorité, l’arrogance de l’ignorance et de la partialité, des joutes vulgaires et une forme grossière soient relégués au bénéfice d’une démocratie du verbe où on saura se taire pour mieux parler, écouter pour être plus convaincant, douter pour mieux affirmer, s’affirmer.