L'espoir Goldman, le désespoir Berlusconi
Justice au singulier - philippe.bilger, 5/08/2013
Il y a des rapprochements qui s'imposent, aussi incongrus qu'ils puissent apparaître au premier abord.
Je traînais depuis quelques jours à l'idée d'écrire un billet sur Silvio Berlusconi, le désespoir de la démocratie, quand, comme chaque année, le Journal du Dimanche a publié sa liste - élaborée par ses soins - des personnalités préférées des Français et que Jean-Jacques Goldman a été classé premier, honneur à la suite duquel il a déclaré que "sa gratitude était infinie".
Dans ce clin d'oeil du destin, avec cette actualité qui confrontait l'un avec, pour la première fois, une condamnation définitive par la justice italienne et un séisme dans le monde politique de son pays, et l'autre, avec l'aura incontestable d'une reconnaissance populaire et médiatique, je n'ai pu m'empêcher de percevoir les ombres et les lumières de la démocratie si on veut bien accepter de comparer celle du suffrage universel et de l'élection avec celle informelle, officieuse, quotidienne de l'assentiment ou du rejet par des sondages discutables mais éclairants (Le Monde, Libération).
Silvio Berlusconi, excessif, vulgaire, vieux beau, richissime, cynique, intelligent, prêt à tous les arrangements, aux compromissions les plus troubles et aux pressions les plus ostensibles, plaisant à beaucoup de ses concitoyens par ses défauts même, Berlusconi jamais vraiment coulé mais resurgissant toujours, comme renforcé par les péripéties choquantes de son existence privée et publique, Berlusconi défiant les sarcasmes et se moquant longtemps de magistrats contre lesquels il se fabriquait le secours de lois sur mesure, Berlusconi défait mais repartant à l'assaut avec l'argent, le bagout et l'enflure d'un comportement jamais à court de promesses et d'illusions, Berlusconi ou le désespoir de la démocratie.
Celle-ci, "le pire des régimes après tous les autres", a les yeux bandés face à certaines personnalités. Elle les promeut, les maintient quand elle devrait les abattre, elle les sauve du désastre alors qu'elle devrait les engloutir, elle leur donne sans cesse une ultime chance contre les évidences de la médiocrité et de l'indécence. La démocratie est trop bonne fille pour ses mauvais garçons.
Jean-Jacques Goldman, j'ai trop souvent manifesté mon admiration pour le chanteur, le compositeur et mon estime pour l'homme, je l'ai trop dit et trop écrit pour qu'il soit nécessaire d'insister sur l'absolue différence entre l'histrion politique italien et ses ressources contrastées et l'artiste français tellement discret et réservé que ce doit être une surprise, pour quelques-uns, d'avoir une preuve aussi éclatante de son existence et de son influence.
Jean-Jacques Goldman qui compose pour les autres, qui se dévoue sans compter pour les Restos du coeur, Goldman vivant loin de Paris et si plausible dans son effacement constant que même les médias les moins honorables le laissent à peu près tranquille, Goldman, son épouse qui continue à travailler, ses enfants dont il s'occupe, l'exemple d'une carrière et d'un destin qui ont su demeurer fidèles aux promesses du jeune homme et aux engagements de l'homme mûr, Goldman amplifiant sa réputation par son absence même avec le génie involontaire de ces caractères tellement marquants et durablement inscrits dans l'espace public et médiatique qu'ils résistent à tout et d'abord à l'anonymat total qu'ils souhaiteraient, Goldman comme une preuve de la délicatesse de cette démocratie artisanale, la justification de la croyance en la vertu, la lucidité du nombre, Goldman ou la démonstration que le clinquant n'est pas la voie, la voix obligatoires et qu'il y a des miracles que la modernité même la plus sotte n'est jamais parvenue à séduire, à convaincre, à dégrader.
L'espoir Goldman, le désespoir Berlusconi.
Qu'on me pardonne ces égarements hors des sentiers battus pour trouver un peu d'air.