Bonnemaison : En attendant l’appel du Parquet…
Actualités du droit - Gilles Devers, 27/06/2014
Il est bien difficile de parler d’un procès d’assises sans y avoir assisté, mais s’agissant de l’affaire Bonnemaison, on dispose de suffisamment d’informations pour prendre position sur des points essentiels.
Ce procès a été intense, riche, et a « fait bouger les lignes », dit-on. Je le crois bien volontiers pour une affaire qui se joue sur deux semaines d’audience, et qui repose avant tout sur les témoignages humains. La personnalité du Docteur Bonnemaison a marqué. Quelle sanction méritait-il alors ? Le procureur avait requis 5 ans, et n’était pas contre un sursis total… Cela donne une idée, mais se prononcer sur une peine serait indécent. En revanche, l’acquittement est inacceptable, car la loi pénale a été violée.
Les faits sont bien connus : le médecin a agi seul, sans aucune concertation, sans aviser ni l’équipe ni la famille, en recourant à des produits étrangers aux soins palliatifs, sans rien noter dans le dossier, et en déclarant une mort naturelle. Le médecin a fait fi de la loi, de la déontologique et des bonnes pratiques. Il a parlé d’une loi inadaptée, reconnaissant ainsi que pour ce motif, il n’a pas respecté la loi. Dont acte.
Le simple fait de violer la loi Leonetti ne conduit pas aux assises, car cette loi n’est pas assortie de sanction pénale. En revanche, ces dispositions législatives permettent de qualifier la pratique du médecin, en complément de l’analyse du dossier et des expertises.
Les faits étant établis, tout se joue sur l’intention.
Si le médecin a choisi de précipiter la mort, alors que rien ne le justifiait, il s’agit meurtre avec préméditation, l’assassinat. Ça parait violent, mais c’est la seule qualification légale possible.
Si le médecin, se trompant lourdement, pose le diagnostic erroné d’une fin de vie souffrante, et choisit un traitement inadapté mais qu’il croit juste, ce peut être l’homicide involontaire, c’est-à-dire un comportement de mauvais professionnel, commettant des fautes sérieuses – sur le diagnostic et la méthode – mais n’étant pas animé par l’intention de tuer.
La cour aurait retenu le thème de la « bonne foi » du médecin… notion assez curieuse dans un tel domaine. Cela nous placerait plutôt dans l’hypothèse du mauvais comportement professionnel, sans intention de tuer, mais il fallait alors requalifier les faits, et condamner pour homicide involontaire. Le fait que de telles fautes, causant la mort de 7 personnes, ne soit pas sanctionnée revient à ruiner toute idée de procès pénal en matière médicale. C’est pour cela qu’il faut souhaiter un appel du Parquet.
L’attitude solitaire et planquée de ce médecin, qui choisissait en dehors de toute procédure d’abréger la vie de patient en fonction de ses critères personnels, n’est pas une erreur mais une faute. Je reste prudent pour ne pas avoir assisté au procès, mais la balance relève plus de l’intention de tuer, et donc de l’assassinat par empoisonnement, que de la faute de diagnostic et de méthode. D’ailleurs, le procureur n’avait pas renoncé à la qualification criminelle.
Je souhaite donc vivement que le Parquet fasse appel, et il dispose d’un délai de 10 jours pour cela. Si les faits commis par le Docteur Bonnemaison ne sont pas sanctionnés pénalement, tout peut arriver demain dans tous les services hospitaliers.
Une dernière chose. A peine le verdict rendu, s’est imposée l’idée qu’il fallait changer la loi. J’y suis opposé, et je rappelle que l’alternative n’est pas le suicide assisté, qui relève d’une tout autre logique, et pour la loi devra effectivement évoluer. Donc faire changer la loi sur la fin de vie, c’est aller soit vers une esbroufe législative qui redira ce que la loi dit déjà, soit changer de cap, et aller vers l’euthanasie active des plus vulnérables. Qui décide ? Quels critères ? Quel contrôle ? Là, il faut assumer, et j’attends les textes pour en débattre.