Depuis Beyrouth : Nasrallah à propos du Yemen
Actualités du droit - Gilles Devers, 28/03/2015
Peut-être n’êtes vous pas à Beyrouth, et peut-être n’avez-vous pas lu L’Orient-Le Jour aujourd’hui. Ce qui se passe au Yémen est d’une importance considérable, et nous aurons à y revenir. Mais à Beyrouth, l’évènement est le discours du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah. Voici l’article publié par L’Orient-Le Jour.
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Nasrallah déclare la guerre à l’Arabie... mais temporise sur le plan interne
C'est un véritable réquisitoire que le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a dressé hier contre l'Arabie saoudite à la suite de l'opération menée par Riyad, à la tête d'une coalition arabe, contre les houthis au Yémen. Hassan Nasrallah, qui s'exprimait hier soir dans le cadre d'une allocution télévisée retransmise par la chaîne de son parti, al-Manar, a présenté son intervention comme étant un « droit de réponse », à la suite des diverses positions de soutien à l'offensive arabe prises au plan local, notamment par l'ancien Premier ministre Saad Hariri. « Comme il est du droit de chacun d'exprimer sa position avec son propre style, qui constitue pour nous une provocation, nous avons aussi le droit de répondre, avec le style que nous jugeons opportun. Nul n'a le droit de nous ôter ce droit », a-t-il indiqué.
C'est par le biais du dossier libanais – auquel il n'a consacré que quelques minutes durant sa longue intervention – que le secrétaire général du parti a commencé son allocution.
D'emblée, Hassan Nasrallah a mis en exergue sa volonté de ne pas rompre la trêve établie par le dialogue avec le courant du Futur au plan interne, en dépit des événements. « Nous souhaitons que ces développements dans le Golfe ne créent pas de nouvelles tensions au Liban. Le gouvernement doit prendre cela en considération pour que nous ne subissions aucun impact et pour que la situation générale ne soit pas affectée. Nous avons choisi d'opter pour le dialogue dans l'intérêt du pays, et nous avons favorisé le dialogue entre toutes les forces politiques. L'objectif était d'empêcher l'effondrement du pays et de décrisper les tensions sectaires », a-t-il indiqué.
« Aucune considération pour le TSL »
Mais selon le secrétaire général, le maintien du dialogue s'est fait « malgré la présence de forces politiques, ainsi que de personnalités au sein ou à l'extérieur du courant du Futur, qui œuvraient pour torpiller ce dialogue et qui s'y opposaient, parmi lesquelles celles qui ont témoigné devant le Tribunal spécial pour le Liban », en allusion au témoignage ces derniers jours de l'ancien Premier ministre Fouad Siniora à La Haye, auquel il n'a cependant fait aucune allusion explicite. « Nous n'y prêtons aucune importance. En dépit de ce qui est dit, nous poursuivrons le dialogue et supporterons toutes les provocations. J'appelle le public de la résistance à ne pas répondre et à ne prêter aucune attention à ces voix qui cherchent le retour aux provocations confessionnelles et sectaires, parce qu'elles n'existent que dans un contexte de discorde. Or nous ne voulons pas qu'elles réalisent leurs objectifs. Il faut tenir bon », a-t-il souligné.
« Nous avons déjà pris position depuis des années de manière claire, ferme et définitive à ce sujet. Certains Libanais ont suivi les longs témoignages et entendu beaucoup de baratin, sans noter la présence de propos ayant une valeur juridique quelconque. Nous ne commenterons pas tout ce qui se dit au tribunal. (...) Lorsque nous rejetons quelque chose dans son intégralité, nous ne le commentons pas. Notre position était claire dès le départ concernant tout ce qui a trait à cette instance », a poursuivi Hassan Nasrallah.
Présidentielle : « C'est l'Arabie qui bloque »
C'est aussi par le dossier libanais, et plus précisément par la question de la présidentielle, que le secrétaire général du Hezbollah a initié son attaque contre l'Arabie saoudite. « Nous sommes victimes d'une nouvelle campagne concernant la question du blocage de l'élection présidentielle, a-t-il indiqué. Le vide présidentiel est très nuisible au Liban et la tenue de l'élection est nécessaire. L'accusation portée à l'Iran et au Hezbollah de torpiller l'échéance n'est pas vraie. En toute sincérité, je me contenterai de dire que l'Iran ne s'ingère pas, ne s'est jamais ingérée et ne s'ingérera jamais dans la présidentielle au Liban et n'oppose de veto à aucune candidature ou personnalité libanaise. Certains aiment rejeter la responsabilité sur les autres. Ce que les Libanais savent en revanche très bien (...), c'est qu'un État bien déterminé oppose son veto au candidat le plus fort, le candidat naturel et logique qui peut réaliser l'équilibre et la stabilité au Liban, et qui représente une présence chrétienne importante au plan national. Il s'agit de l'Arabie saoudite, et plus précisément de son ministre des Affaires étrangères, Saoud el-Fayçal. »
Selon Hassan Nasrallah, « même le courant du Futur, ou plutôt son chef, n'oppose aucun veto dans les discussions internes ou du point de vue de ses convictions personnelles. Cependant, le problème au Liban, c'est qu'il y a un État qui a opposé un veto à un candidat à la présidence. Puisque vous savez que c'est l'Arabie qui torpille l'élection, pourquoi accusez-vous donc l'Iran, qui n'a aucun lien, ni de près ni de loin, avec ce dossier ? » « Allez faire en sorte d'abord que la décision soit entre vos mains, sans prendre en considération les veto posés çà et là. C'est alors que l'élection pourra connaître une fin heureuse », a-t-il ajouté.
« Quelle fermeté en Palestine ? »
Une fois ces deux dossiers liés au Liban liquidés, le secrétaire général du Hezbollah s'est attaqué au plat de résistance de son allocution, l'opération « Tempête de la fermeté » initiée par Riyad contre le Yémen. « Mais que s'est-il donc passé pour qu'une tempête de fermeté se lève au niveau du régime saoudien et de ses alliés, ou pour voir une quelconque fermeté arabe, alors que nous guettons depuis si longtemps ne serait-ce qu'une légère brise de fermeté s'agissant de la Palestine ? » a-t-il dit, moqueur.
« Tout ce que notre région a connu durant des décennies comme guerres et oppression n'a jamais suscité une intervention militaire saoudienne, et voilà que cela se produit aujourd'hui, a noté Hassan Nasrallah. Si le but est de sauver le peuple yéménite, pourquoi n'avez-vous pas bougé pour le peuple palestinien, et, au contraire, avez-vous comploté contre lui (...) et l'avez-vous vendu aux Israéliens et aux Américains? (...) Vous dites par ailleurs que la nouvelle donne au Yémen vous menace ainsi que la sécurité du Golfe et de l'Arabie : n'avez-vous jamais ressenti la menace d'Israël, qui possède l'une des armées les plus puissantes du monde (...) ? Cela constitue un nouvel acte de foi de la part des Arabes, en l'occurrence qu'Israël n'a jamais été une menace nécessitant une quelconque tempête de fermeté. »
« Vous poussez la région dans les bras de Téhéran... »
Le secrétaire général du Hezbollah s'est ensuite attaqué aux trois raisons principales invoquées par l'Arabie et les pays arabes pour mener la coalition contre les houthis – la « volonté de rétablir le pouvoir légal », la « menace que constituerait la rébellion houthie pour les pays du Golfe », et la théorie selon laquelle « le Yémen serait désormais sous occupation iranienne » –, infirmant ces trois arguments. Mais c'est sur le troisième qu'il s'est le plus longuement attardé, dirigeant, à l'occasion, une pluie de flèches sur le royaume saoudien. « Où est la preuve que le Yémen est sous occupation iranienne ? » s'est-il demandé.
« Le problème se trouve au niveau de la mentalité du régime saoudien et ses alliés : il s'agit de la non-reconnaissance de l'existence des peuples. C'est parce que ce sont des rois et des seigneurs bien lotis qui sont au pouvoir, et qui considèrent les gens comme leurs sujets. Pour eux, les gens n'ont aucune volonté ou cause indépendante. (...) C'est la politique étrangère saoudienne qui mène la région à être ouverte à l'Iran. Votre problème n'est pas l'Iran : c'est votre accumulation d'échecs depuis 20 ans, en raison de votre esprit, qui réfléchit d'une manière fausse. Ces politiques ont ouvert la région à l'Iran, quand bien même l'Iran n'a pas fait beaucoup d'efforts. C'est vous qui poussez les peuples de la région dans les bras de l'Iran », a-t-il ajouté à l'adresse des dirigeants saoudiens.
« L'Iran, une force d'occupation ? »
Le secrétaire général du Hezbollah a ensuite abordé le cas de chaque pays arabe, pour montrer qu'il n'existe pas, comme le soutient Riyad, d'« occupation iranienne » de ces pays, et qu'une telle affirmation part d'un « défaut de mentalité », qui, chez les Saoudiens, n'accorderait, selon lui, aucune importance à la volonté des peuples.
Au Liban, l'Iran et la Syrie ont volé au secours du peuple en 1982, lors de l'invasion israélienne, selon lui, à l'heure où les pays arabes avaient délaissé Beyrouth. « L'Iran est venu du bout du monde » pour aider le peuple à résister « en dépit de la guerre qui lui était imposée », et lui a offert « l'expérience, l'argent, les armes et les techniques ». « Mais la résistance était libanaise. (...) Cependant, vous ne reconnaissez pas la volonté et continuez de qualifier cette résistance d'iranienne et d'inféodée à l'Iran, ce qui n'est pas le cas », a-t-il noté. « L'Iran est respecté au Liban. Il a pour lui un camp important et influent. Il a son pouvoir. C'est vrai. Mais il n'occupe pas le Liban, n'établit aucune hégémonie sur lui et ne lui impose pas ses options », a-t-il ajouté.
Hassan Nasrallah a ensuite abordé successivement le cas de la Palestine, de l'Irak, de la Syrie et du Yémen pour démontrer la même idée : l'Iran n'occupe pas ces pays, mais vient au contraire au secours de leur peuple, face aux velléités de domination de l'Arabie saoudite sur le monde arabe. Le secrétaire général du Hezbollah a cité, dans ce cadre, l'exemple de l'invasion américaine de l'Irak en 2003, qui était soutenue par Riyad, accusant l'Arabie d'être à l'origine des voitures piégées envoyées à destination du territoire irakien « et » vos services de renseignements et votre Bandar (ben Sultan) d'avoir créé Daech. Ou encore « les tentatives de renverser, avec tous les monstres du monde, la Syrie pour qu'elle devienne votre satellite ». « Et puis Saoud el-Fayçal raconte que la Syrie est occupée par l'Iran et le Hezbollah. Ce n'est que mensonges et falsifications. Le nombre d'Iraniens au Liban est très limité et ne dépasse pas 50 personnes. Ce qui est encore plus drôle, c'est de dire qu'elle est occupée par le Hezbollah. (...) Le Hezbollah peut-il occuper la Syrie ? (...) », a-t-il noté.
« Téhéran ne nous a jamais rien ordonné... »
Réaffirmant sa fidélité au guide spirituel iranien, l'ayatollah Ali Khameneï, le secrétaire général du Hezbollah a cependant indiqué : « Je jure que l'Iran ne nous a jamais rien demandé ou ordonné, ni sur le plan local ni au niveau régional. Nous sommes un directoire indépendant. Jamais l'Iran ne nous a traités comme l'allié traite ses amis dans le monde, et je ne souhaite pas parler du Liban maintenant. »
« L'Iran n'est pas l'Empire perse, ni l'État du chah Pahalvi, votre allié, ami et ancien maître. Il s'agit de l'État islamique. C'est pourquoi vous vous étonnez qu'il vienne en aide à la Syrie, l'Irak et le Yémen sans rien demander ou imposer. L'islam est plus important que tout autre considération perse, nationale, raciale, confessionnelle ou sectaire », a ajouté Hassan Nasrallah.
Il est enfin longuement revenu sur le cas yéménite, estimant qu'en définitive, « la véritable raison de cette guerre est l'échec de l'Arabie saoudite dans ce pays (...) et le sentiment, pour le royaume, que ce pays appartient désormais à son peuple ». « Ce qui est requis aujourd'hui, afin que les émirs al-Saoud rétablissent leur hégémonie sur le Yémen, c'est que le sang des officiers de l'armée saoudienne et des fils du peuple yéménite et d'autres peuples arabes soit versé. Tout cela uniquement parce que des rois et des émirs ont perdu leur domination sur le Yémen », a-t-il affirmé.
Proclamant « la victoire du peuple yéménite "et" la déroute du régime saoudien », Il a adressé, dans sa conclusion, une pointe au président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas : « Je suis ébahi par sa position. L'intérêt du peuple palestinien est-il de soutenir une guerre contre son peuple ou une agression contre un pays ? »
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