Un accord sur le nucléaire iranien ? Et après ?
Actualités du droit - Gilles Devers, 1/04/2015
L’Iran est les six grandes puissances – États-Unis, Grande-Bretagne, France, Russie, Chine et Allemagne – vont-elles trouver un accord ? Et lequel ? Impossible de se prononcer ce soir, et j’imagine bien la complexité d’un tel type d’accord… Aussi, en imaginant même que tout figure dans l’accord rendu public, il faudrait bien du temps pour en analyse le contenu et les effets. Dans le même temps, les Etats auront besoin de discours simples pour se faire comprendre de leur opinion publique. Alors, accord ou pas, et lequel, nous verrons, mais il faut relever ce mardi soir des signes positifs de part et d’autre, et même Fafa-le-dormeur semble avoir renoncé à ses diatribes quasi-guerrières.
Ce qui conduit à penser que l’accord est en bonne voie, c’est que la question nucléaire n’est qu’une partie d’un tout, et ce tout prend consistance : les Etats-Unis sont en train de prendre leur distance avec l’Arabie Saoudite, et aussi, même si c’est dans une moindre mesure, avec l’Israël de Netanyahou.
Faire ce constat, c’est dire que l’Iran, au cœur de toutes les difficultés, a joué très fort, à tel point que toutes les grandes puissances considèrent que la stabilité de la région suppose de réinscrire l’Iran dans le jeu. Un accord sur le nucléaire civil, c’est le renoncement au nucléaire militaire. S’il n’y a pas d’accord, l’Iran pourra agir comme il lui semble juste pour la défense de ses intérêts.
En attendant, il se passe beaucoup de choses, et importantes, alors tenons-nous informés.
A ce titre, je vous signale cette intéressante interview de Frédéric Encel, au Figaro. On n’est pas obligé d’être d’accord sur tout, mais dans le grand bouleversement diplomatique en cour, les opinions raisonnables, dans leur diversité sont précieuses.
Docteur en géopolitique de l'Université Paris-VIII habilité à diriger des recherches, Frédéric Encel est professeur à la Paris School of Business et maître de conférences HDR à Sciences Po Paris. Il est l'auteur d'Atlas géopolitique d'Israël (Autrement, 2013), et a publié Géopolitique du printemps arabe aux éditions PUF en octobre 2014.
Téhéran et les six grandes puissances (États-Unis, Grande-Bretagne, France, Russie, Chine et Allemagne) sont en passe de conclure un accord sur le dossier du nucléaire iranien. Que cela vous inspire-t-il ? Quelles pourraient être les conséquences géopolitiques de cet accord?
Il pourrait s'agir tout à la fois de l'illustration, de la cause et de la conséquence d'un rapprochement profond entre États-Unis et Iran et, plus encore peut-être, d'un grand renversement d'alliance au détriment de l'Arabie saoudite, alliée à Washington depuis 1945.
Déjà après le 11 Septembre des néoconservateurs avaient recommandé à George W Bush de modifier cette alliance, arguant que Riyad n'était plus une solution mais un problème! Ils n'avaient guère été entendus. Mais aujourd'hui, plus autonomes sur le plan énergétique et convaincus de la faiblesse interne autant que de la duplicité saoudiennes, les Américains pourraient privilégier l'Iran. Après tout, beaucoup font le constat d'un intéressant rapport géostratégique, démographique et technologique de Téhéran par rapport à leur vieille alliée bédouine...
Benyamin Nétanyahou critique violemment ces négociations: «Cet accord permettrait à l'Iran de conquérir le Moyen-Orient». Rappelons qu'il s'agit de nucléaire civil et non militaire. La réaction d'Israël n'est-elle pas exagérée?
«Nucléaire civil», c'est vous qui le dites! S'il en est vraiment ainsi et qu'un accord est trouvé entre les 5+1 et la République islamique empêchant concrètement celle-ci de se doter de la bombe, alors oui, nous pourrons dire que Nétanyahou «surjoue» le danger, sans doute aux fins d'obtenir des garanties de livraisons d'avions américains F35. Une démarche parfaitement compréhensible d'un point de vue géopolitique, du reste. Mais s'il s'avère qu'aucun accord n'est trouvé et que Téhéran cherche à toute force à se nucléariser sur le plan militaire, alors Israël aura eu raison et on s'acheminera à grands pas vers la guerre.
Face à l'extrémisme sunnite de l'État islamique (EI) au Moyen-Orient, l'Iran chiite peut-il être un élément stabilisateur?
Stabilisateur, je ne sais pas - pas aux yeux des États sunnites naturellement - mais du moins instigateur d'un nouveau rapport de force. Jusqu'aux années 2000, celui-ci, au Machrek (à l'est du Nil) était écrasant en faveur des sunnites, si l'on veut bien parler à gros traits en termes de blocs confessionnels. Mais avec la chute de Saddam Hussein en Irak, la montée en force du Hezbollah libanais, la résistance d'Assad depuis le début du printemps arabe de 2011, et les poussées chiites à Bahreïn et surtout au Yémen, l'équilibre se modifie au profit des chiites. Cela dit, méfions-nous des entités figées; il existe de multiples «camps» sunnites et idem pour les chiites, même si en effet l'évolution actuelle est celle du creusement d'un fossé entre ces deux groupes de populations aux interprétations divergentes quant à la descendance politique du Prophète.
La droite israélienne se trompe-t-elle d'ennemi?
Pour ce qui concerne les dirigeants israéliens - et pas seulement la droite - je pense qu'ils craignent un effondrement complet des États et groupes sunnites du Machrek au profit d'un régime iranien qui, doté a fortiori de l'arme atomique, deviendrait hégémonique. Mais sans la capacité de se doter de la bombe, au fond, Téhéran ne représente pas un tel danger pour l'État juif.
Que dire des ambiguïtés des Saoudiens qui se disent prêts à aider Israël à attaquer l'Iran et qui sont dans le même temps soupçonnés de financer le terrorisme?
Pire que des ambiguïtés, il s'agit d'un jeu clair et dangereux! Les régimes wahhabites d'Arabie et récemment du Qatar ont joué un rôle désastreux non seulement dans le monde arabo-musulman mais aussi en Europe à travers l'expansion de leur dogme fanatique via le financement, respectivement, de milliers de madrasas (écoles coraniques) ultrarigoristes et d'imams fanatiques. À présent que l'un des fruits toxiques du wahhabisme, Daech, menace de se retourner contre son créateur indirect, et celui-ci panique...
Les régimes wahhabites d'Arabie et récemment du Qatar ont joué un rôle désastreux non seulement dans le monde arabo-musulman mais aussi en Europe à travers l'expansion de leur dogme fanatique.
Quant à la montée en force de l'Iran, elle est cauchemardesque pour les Saoudiens à plusieurs titres: une république (même islamique) face à leur système tribalo-féodal, le monde perse face au monde arabe, la puissance chiite - donc renégate - face au cœur de la Sunna qu'il tente d'encercler, une grande puissance technologique et industrielle potentielle face à un pays exclusivement rentier, et accessoirement, un adversaire en termes de production pétrolière... Dans ce schéma général, en appeler à «l'ennemi sioniste» est une bouffonnerie qu'apprécieront sans doute leurs «frères» palestiniens...
Pour ce qui concerne les dirigeants israéliens - et pas seulement la droite - je pense qu'ils craignent un effondrement complet des États et groupes sunnites du Machrek au profit d'un régime iranien qui, doté a fortiori de l'arme atomique, deviendrait hégémonique. Mais sans la capacité de se doter de la bombe, au fond, Téhéran ne représente pas un tel danger pour l'État juif.
Que dire des ambiguïtés des Saoudiens qui se disent prêts à aider Israël à attaquer l'Iran et qui sont dans le même temps soupçonnés de financer le terrorisme?
Pire que des ambiguïtés, il s'agit d'un jeu clair et dangereux! Les régimes wahhabites d'Arabie et récemment du Qatar ont joué un rôle désastreux non seulement dans le monde arabo-musulman mais aussi en Europe à travers l'expansion de leur dogme fanatique via le financement, respectivement, de milliers de madrasas (écoles coraniques) ultrarigoristes et d'imams fanatiques. À présent que l'un des fruits toxiques du wahhabisme, Daech, menace de se retourner contre son créateur indirect, et celui-ci panique...
Quant à la montée en force de l'Iran, elle est cauchemardesque pour les Saoudiens à plusieurs titres: une république (même islamique) face à leur système tribalo-féodal, le monde perse face au monde arabe, la puissance chiite - donc renégate - face au cœur de la Sunna qu'il tente d'encercler, une grande puissance technologique et industrielle potentielle face à un pays exclusivement rentier, et accessoirement, un adversaire en termes de production pétrolière... Dans ce schéma général, en appeler à «l'ennemi sioniste» est une bouffonnerie qu'apprécieront sans doute leurs «frères» palestiniens...