L’ASE accusée à tort de familialisme (573)
Planète Juridique - admin, 2/07/2014
Le rapport d’information sur la protection de l’enfance rendu public le 25 mai dernier par les deux sénatrices Michelle Meunier (PS) et Muguette Dini (UMP), même si ce n’est pas son seul intérêt, interpelle une nouvelle fois les services de l’aide sociale à l’enfance sur l’idéologie familialiste – sous-entendu le souci de ménager à tous crains les rapports familiaux en évitant leur rupture - qui les animerait. (1) Et les élues d’avancer que l’intérêt de l’enfant devrait être désormais « la » référence : « Il faut que l’intérêt supérieur de l’enfant soit replacé au cœur du dispositif de protection de l’enfance ».
Tout cela semble aller de soi, mais mérite cependant qu’on s’arrête un instant tant sur les prémices du raisonnement que sur l’orientation avancée.
D’abord sur le constat.
Il est faux de rendre les services sociaux responsables d’une orientation qui les dépasse et est le fruit de l’histoire pour devenir l’injonction avancée par la loi.
Jusqu’à la fin du XIX° siècle l’enjeu pour les services sociaux était, dans un premier temps, de prendre en compte les enfants abandonnés par leurs parents – ce fut la mission première de l’Assistance publique de Saint Vincent de Paul. Ensuite, devant des parents présents, mais mauvais ou défaillants, le souci a été de faciliter la rupture des liens d’autorité parentale à travers la déchéance d’autorité parentale – loi de 1889 – qualifiée depuis le retrait d’autorité parentale. En 1900 pour une population de 26 millions d’habitants on dénombrait 150 000 pupilles de l’Etat accueillis par les services sociaux.
Au XX° siècle l’enjeu à travers les dispositions législatives adoptées fut de prévenir l’abandon, de soutenir ou étayer en tant que faire se peut l’exercice de l’autorité parentale, bref de travailler sur le lien parents-enfants. Avec succès. Ces dernières années on peut relever seulement 2200 pupilles pour 64 millions d’habitants (40 000 en 1060, 20 000 en 1984).
Ainsi quand on accuse les services sociaux ou la justice on oublie l’orientation dégagée par le parlement et donc par le pays. Il faut rendre à Caesar ce qui lui appartient. Ce qui ne veut pas dire que ces institutions n’aient pas été zélées dans l’exécution de l’orientation donnée. Parfois à l’excès. Admettons -le mais faut-il pour autant renverser la table?
En d’autres termes, les services sociaux modernes ont été formés au travail sur le lien parent-enfant et non pas sur sa rupture.
Evoquer l’intérêt supérieur de l’enfant est bien évidemment d’une grande valeur symbolique mais ouvre sur de nouvelles difficultés. Quel est l’intérêt en général et en particulier d’un enfant dans ses liens avec ses parents. J’ai déjà eu l’occasion de démontrer ici que l’intérêt de l’enfant, sanctifié par l'article 3 de la convention des Nations Unies sur les droits de l'enfant, est une véritable arlésienne. Par cette référence on entend afficher une philosophie d’action, mais il est impossible a priori d’en définir le contenu. Ce l'est aujourd'hui comme cela le sera jusqu'à la fin des temps et dans tous les pays. Ne paniquons donc pas. Tout au plus peut-on s’accorder sur une série de questions qu’il convient d’aborder, un peu comme un pilote d’avion se doit de suivre une « check list « avant d’envisage de décoller.
Au fond, tout est ici fortement subjectif. L’intérêt de l’enfant peut être de rompre avec ses géniteurs et de voir consacrée son affiliation affective avec ceux qui l’ont accueilli ou l’accueillent, mais rien n’est moins sûr. Pour chaque enfant, y compris dans la même fratrie, il faudra faire du sur-mesure ; du cas par cas.
En vérité, tellement les situations peuvent être diverses, il faut sortir le plus souvent de l’affrontement stérile entre le biologique et l'affectif .
Pour des situations simples où l'un pourra l'emporter aisément sur l'autre, dans nombre de cas cas il faudra ménager l’un et l’autre, le biologique comme l’affectif. En sécurisant l’enfant à travers la reconnaissance des responsabilités de celui qui l’élève sans être son géniteur, il faudra éviter de rompre le lien d’avec son père ou sa mère biologique qui ne peut pas l’élever au quotidien, mais représente beaucoup pour lui.
La boite à outils juridique contient les outils qui permettent de bâtir la réponse sur-mesure : par exemple, l’adoption simple qui ne supprime par la filiation d’origine, ou la délégation totale ou partielle d’autorité parentale décidée par le juge aux affaires familiales, ou encore le statut de tiers digne de confiance donné par le juge des enfants
D’une manière récurrente la justice et les services sociaux sont accusés de ne pas savoir rompre les liens parents biologiques–enfants pour permettre à l’enfant de s’inscrire dans une nouvelle famille. C’est un raisonnement simpliste que d’imaginer pouvoir effacer l’histoire d’un enfant pour l’inscrire simplement dans sa nouvelle famille vierge de tout passé.
Attention donc à ne pas succomber comme y inclinent les sénatrices à ce piège régulièrement tendu. Et ne soyons pas dupes : derrière l’analyse développée par le rapport sénatorial il y a souvent l’attente – légitime - de toutes ces personnes soucieuses d’adopter l’enfant blond, en bonne santé, de moins de 3 ans qu’elles n’ont pas pu avoir naturellement. On remettrait en place une machine à couper le lien. L’aide sociale à l’enfance verrait être sciée la branche sur laquelle elle est assise. Dans 20 ans avec la même sincérité les mêmes ou d’autres nous avanceraient que l’aide sociale à l’enfant avec l’aide de la justice est une institution captatrice d’enfants, une machine à fabriquer des orphelins souvent voués à le rester faute de candidats à l’adoption – tous les enfants adoptables ne sont pas blonds, en bonne santé et de moins d e trois ans - au préjudice des familles les plus précaires du pays.
J’invite les politiques à une approche politique du sujet par de-là les réactions émotionnelles.
(1) ASH 27 juin 2014 p. 5