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Nicolas Sarkozy ou l'insoutenable frustration de la limite

Justice au singulier - philippe.bilger, 15/10/2014

Celles-ci, pour lui, sont insupportables qui édictent des limites alors que l'action imposerait le droit à une expansion et à une énergie précisément illimitées.

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Il est temps, avant même la conclusion de toutes les procédures dans lesquelles Nicolas Sarkozy est cité ou impliqué, de tenter une analyse sur le rapport de celui-ci à l'état de droit et plus généralement sur sa conception de la politique face aux principes démocratiques.

Il me semble que cette démarche est aujourd'hui possible car le nombre d'affaires concernant peu ou prou l'ancien président est arrêté et vraisemblablement n'est plus destiné à évoluer. De sorte qu'une vision globale nous est offerte sur un parcours commençant juste avant 2007 pour se poursuivre, sous divers registres, jusqu'à la fin de cette année.

Sa particularité tient au fait qu'elle se rapporte, en effet, aussi bien au candidat de 2007, au président de 2007 à 2012 qu'au compétiteur battu et, enfin, au revenant probablement le 20 novembre élu à la tête de l'UMP malgré le conflit d'intérêt qui risquera de résulter, pour lui, de sa présidence avec son implication judiciaire difficilement évitable dans Bygmalion.

Une telle approche est d'autant plus opportune qu'une forme de sagesse se manifeste de la part de l'opinion publique si on en croit un récent sondage écartant l'idée d'un acharnement des juges à l'encontre de Nicolas Sarkozy. Cette évidence que la justice ne crée pas les faits et n'invente pas les soupçons dont elle est saisie paraît enfin admise.

Mon propos vise, sans devoir attendre l'issue judiciaire des procédures reliées d'une manière ou d'une autre à Nicolas Sarkozy, à identifier une constante susceptible de bien faire comprendre pourquoi le candidat, l'ancien président et le postulant récent se trouvent en permanence dans une configuration trouble, limite, risquée et soupçonnable.

Cette zone entre ce que serait l'enrichissement personnel et la culpabilité pénale est de large amplitude et révèle surtout la distance délibérée que Nicolas Sarkozy, où qu'il soit et dans quelque fonction qu'il occupe, se plaît à prendre avec les usages et les règles. Celles-ci, pour lui, sont insupportables qui édictent des limites alors que l'action imposerait le droit à une expansion et à une énergie précisément illimitées.

En effet, pour l'enrichissement personnel, une perception bienveillante pourrait l'exclure de ce grief en dépit de sa passion affichée pour l'argent et de sa volonté de continuer à en gagner avec des conférences même s'il était élu président de l'UMP.

Cependant, il n'aurait pas été non plus choquant de s'attacher aux travaux accomplis dans son appartement à Neuilly il y a des années et dont les doutes sur leur paiement ont été effacés par le procureur Courroye à Nanterre, futur grand ami complaisant du président.

Il ne serait pas davantage grossier de se pencher sur le Sarkothon et la prise en charge indue par l'UMP de son amende personnelle - la justice vient d'en être saisie - à la suite de la décision du Conseil constitutionnel invalidant les comptes de sa campagne 2012.

Si j'exclus cependant la certitude de l'enrichissement personnel pour ces opérations qui ne montrent pas un Sarkozy prodigue de son argent mais prêt à faire dépenser celui des autres, c'est qu'elles touchent, même de très peu, la chose publique et sont de la sorte purgées d'un appétit indiscutablement égoïste.

Pour tous les autres processus ayant conduit à une saisine de la justice, et encore une fois sans préjuger, je suis frappé de l'existence d'un dénominateur commun. Pour l'affaire Pérol, pour Karachi, pour les présomptions de financement libyen de sa campagne de 2007, pour l'arbitrage Tapie, pour les écoutes de l'Elysée, pour Bygmalion, pour les écoutes l'ayant mis en cause avec Gilbert Azibert, pour la vente des hélicoptères au Kazakhstan avec rétrocommissions et pressions sur le Sénat belge, c'est, à chaque fois, de la part de Nicolas Sarkozy, la même obsession, une frénésie identique, une indifférence semblable.

Celles de s'écarter des chemins balisés du droit, de la lenteur des précautions déontologiques, de la sérénité qui prend son temps, de la patience qui ne bouscule pas les obstacles légitimes et nécessaires pour placer à toute force au premier plan l'opératoire, l'efficacité et l'esprit d'entreprise. Entreprendre ne signifie réellement quelque chose dans son esprit que si le chemin pour faire se rejoindre le projet et sa concrétisation est débarrassé des aléas de la loi, des prudences des juristes et des délais de la bonne gouvernance, de la morale exemplaire. D'où sa détestation constante de ces empêcheurs d'administrer, d'agir et de guerroyer en rond, des magistrats, des diplomates, des inspecteurs des finances, de ceux qui savent et prétendent vous interdire de foncer dans le brouillard, de ceux qui réfléchissent et osent vous conseiller d'user de la pensée avant l'action, et pas après. De ceux qui contredisent la poésie fulgurante des foucades par la rationalité froide. De ceux qui murmurent à l'oreille des pouvoirs d'être mesurés et de ne pas jouer sans cesse à saute-démocratie !

Ce qui se décèle dans cette attitude trop systématique pour ne pas résulter de la psychologie et du tempérament d'une personnalité singulière est infiniment éclairant. C'est un mépris de ce qui, sur sa route, sa pratique présidentielle et son acharnement à revenir, prétendait empêcher, retarder et purifier. Avec une telle conception, l'éthique publique est une perte de temps, les consultations et commissions des exigences superfétatoires et les grincheux de l'état de droit des mous et des frileux.

Si on admet le poids fatal de Nicolas Sarkozy, de ses grandeurs et de ses faiblesses sur l'émergence de ces multiples séquences à l'issue judiciaire incertaine, qui ont rythmé quasiment sept années de la vie française, ce ne serait en aucun cas adoucir la charge et faire l'économie, le moment venu, de la justice si celle-ci s'avère nécessaire et si les preuves l'exigent.

Tout de même, acceptant le constat que Nicolas Sarkozy n'est pas convaincu d'enrichissement personnel et que les transgressions pénales qui lui sont imputées ou le seront révèlent moins peut-être une immoralité intime que la désinvolture de l'homme de pouvoir à l'égard de ce qui lie et ligote, j'éprouve une forme de compréhension qui n'est pas de l'indulgence.

Si je tenais à tout prix à favoriser une synthèse, pourquoi ne proposerais-je pas pour demain la réconciliation, sur Nicolas Sarkozy, de ceux qui croient à sa présomption judiciaire d'innocence et de ceux qui invoquent sa présomption humaine de culpabilité ?


(Ce texte a été publié quasiment tel quel dans Figaro Vox le 15 octobre)


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