Qui a adopté les œuvres orphelines au Royaume-Uni ?
:: S.I.Lex :: - calimaq, 1/05/2015
En novembre de l’année dernière, j’avais écrit un billet à propos du système ambitieux que le Royaume-Uni a mis en place pour régler le problème posé par les oeuvres orphelines (à savoir celles dont on ne peut identifier ou localiser les titulaires de droits afin de leur demander une autorisation préalable à l’usage). L’Angleterre s’est appuyée sur une directive européenne de 2012, qui a introduit une nouvelle exception au droit d’auteur pour traiter la question, mais la loi nationale est allée au-delà de ce que ce texte prévoyait, en mettant en place un dispositif à la portée plus large et plus simple d’utilisation.
La solution anglaise s’appuie sur un Orphan Works Register, permettant de soumettre en ligne des demandes de licence de réutilisation d’oeuvres pour lesquelles des recherches de titulaires de droits sont restées infructueuses. Il fonctionne depuis 6 mois à présent et le site « The 1709 Blog », spécialisé dans les questions de droit d’auteur au pays d’Albion, s’est plongé dans ce registre pour établir un premier bilan de son fonctionnement.
Il faut savoir au préalable que le vote de cette loi sur les oeuvres orphelines ne s’est pas effectué sans un débat houleux, notamment à cause des protestations des photographes professionnels. Une grande campagne, intitulée « Stop43« , avait eu lieu une première fois en 2010 pour dénoncer une tentative de « confiscation de la propriété » par le gouvernement anglais et elle s’est ravivée l’an dernier lors de l’établissement du registre.
Le système anglais présente plusieurs particularités, notamment par rapport à la manière dont la France a transposé de son côté en février dernier la directive européenne sur les oeuvres orphelines à la fin de l’année dernière. Tout d’abord, il est certes ouvert aux bibliothèques, archives et musées, comme la directive le prévoit, mais aussi à tous les autres types d’acteurs, y compris les sociétés pour des usages commerciaux des oeuvres. Par ailleurs, il prévoit un système simple de déclaration en ligne des recherches préalables, avec une redevance modeste pour les usages non-commerciaux (20 livres de frais d’ouverture de dossier et 0,10 livres sterling par oeuvre). Enfin, et c’est sans doute la différence essentielle, la solution anglaise est applicable à tous les types d’oeuvres, y compris les photographies et autres images fixes, contrairement à la directive européenne qui les exclut explicitement.
Il est donc intéressant de se demander 6 mois après son entrée en vigueur si ce système a fonctionné et si les craintes que les photographes professionnels exprimaient à son encontre étaient justifiées. Voici ce qu’en dit « The 1709 Blog » (je traduis) :
A ce jour, un total de 263 oeuvres ont fait l’objet d’une demande de licence et 220 licences ont été accordées. La grande majorité des demandes (215) ont porté sur des images fixes, parmi lesquelles on compte 202 photographies et le reste concernant des peintures. La seconde catégorie d’oeuvres les plus demandées sont des oeuvres écrites, avec 34 demandes et 19 licences accordées. 14 enregistrement sonores ont fait l’objet de demandes, mais aucune licence n’a été encore accordée pour cette catégorie. Loin derrière, on trouve les pièces de théâtres et chorégraphies (une demande actuellement sans réponse), les partitions musicales (une licence accordée) et les images animées (pas de demande).
Ces chiffres sont très instructifs. Ils montrent, comme on pouvait s’y attendre, que c’est bien dans le domaine de l’image et en particulier de la photo qu’un mécanisme de résolution du problème des oeuvres orphelines s’avère le plus utile. Mais contrairement à ce que redoutait Stop43, ce registre n’aboutit pas non plus à un « pillage » de masse de la propriété des créateurs. 263 demandes en l’espace de 6 mois représentent seulement une quarantaine de dossiers par mois, ce qui demeure modeste à l’échelle d’un pays comme l’Angleterre. On voit donc bien que la nouvelle exception au droit d’auteur reste bien utilisée comme une solution ponctuelle pour lever des blocages à l’usage et pas comme un moyen détourné de renverser les principes du droit d’auteur.
Par ailleurs, The 1709 Blog remarque que l’institution qui a déposé le plus grand nombre de demandes est le Musée de l’Ordre de Saint-Jean, en lien la commémoration du centenaire de la Première Guerre mondiale, pour laquelle une exposition de photographies anciennes avait été organisée. Les demandes de réutilisation commerciale sont beaucoup plus rares, sans doute parce que les redevances exigées par le registre sont assez élevées.
On relève aussi qu’aucune demande n’a été déposée en ce qui concerne les films (ce qui peut paraître à première vue assez surprenant) et qu’en ce qui concerne la musique, les licences ont l’air plus difficile à attribuer pour le registre, qui n’a pour l’instant octroyé aucune licence (pour quelle raison ?).
Ces premiers résultats sont intéressants à rapprocher des choix du législateur français. Tout d’abord, il est évident que la décision de suivre strictement la directive et d’exclure les photographies et images fixes constitue une importante erreur, puisque que c’est dans ce domaine que le problème des oeuvres orphelines se pose avec le plus d’acuité. C’est une lacune que SavoirsCom1 avait pointée lors de la discussion du texte de loi, sans obtenir toutefois hélas gain de cause.
Par ailleurs, on voit que même avec un système simple comme celui mis en place en Angleterre, les demandes de réutilisation restent relativement peu nombreuses. Cela tient sans doute au fait que même si les redevances exigées pour les usages non commerciaux sont faibles, il reste à la charge des demandeurs d’effectuer des « recherches diligentes » approfondies pour essayer d’identifier et de retrouver les titulaires de droits. Or la loi française ajoute de son côté une difficulté supplémentaire, dans la mesure où elle laisse planer une incertitude pour les réutilisateurs, puisqu’en cas de réapparition des titulaires de droits, elle réserve à ces derniers la possibilité d’exiger le versement d’une redevance, y compris pour les usages non-commerciaux, sans fixer de tarif préétabli. Il y a donc fort à parier que le dispositif français sera moins utilisé encore que le registre anglais.
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D’ailleurs, alors que la loi transposant la directive sur les oeuvres orphelines a bien été promulguée en février dernier, ce n’est pas le cas des décrets d’application du texte, qui sont indispensables pour que le dispositif puisse fonctionner, puisqu’ils mentionnent la liste des sources à consulter lors des recherches diligentes. Tant que ces décrets ne seront pas parus, les oeuvres orphelines resteront « gelées » en France, alors que le dégel a d’ores et déjà commencé de l’autre côté de la Manche…
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