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Le fils d’une patiente décédée à l’ex docteur Bonnemaison: « J’aurais voulu que vous m’en parliez »

Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 12/06/2014

C'est ça la différence entre un colloque sur la fin de vie et un procès criminel : la confrontation nue, saisissante, entre un médecin assis dans le box des accusés et le fils de l'une des patientes qu'il est accusé … Continuer la lecture

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C'est ça la différence entre un colloque sur la fin de vie et un procès criminel : la confrontation nue, saisissante, entre un médecin assis dans le box des accusés et le fils de l'une des patientes qu'il est accusé d'avoir empoisonnée pour hâter sa mort. Et soudain, c'est tout une atmosphère qui change et se fait pesante. Jeudi 12 juin, la cour d'assises des Pyrénées-Atlantiques à Pau examinait le premier des sept décès attribués à l'ancien docteur Nicolas Bonnemaison.

Elle s'appelait Françoise Iramuno, elle avait fait une grave chute. Transportée au service des urgences de l'hôpital de Bayonne le 5 avril 2011, l'octogénaire était arrivée dans un coma profond, victime d'une hémorragie cérébrale. Le neurochirurgien qui l'avait examinée avait estimé qu'une intervention était impossible et avait prévenu son fils unique, Pierre, que sa mère était en fin de vie. Un deuxième médecin avait confirmé le diagnostic et Françoise Iramuno avait été hospitalisée provisoirement dans le service du docteur Bonnemaison.

Le 6 avril, lors de la passation des consignes sur le suivi des patients entre l'équipe du matin et celle de l'après-midi, le médecin s'était étonné que la vieille dame soit encore en vie. A l'infirmier qui lui expliquait que son état était stationnaire, Nicolas Bonnemaison avait répondu en plaisantant qu'il était prêt à parier du chocolat que le soir, elle ne serait plus là.

Dans l'après-midi, la jeune aide-soignante – c'était son premier poste, elle sortait de l'école — s'était rendue au chevet de la patiente. "Elle était comateuse, mais ça allait. Elle avait le faciès détendu, elle ne semblait pas douloureuse", raconte-t-elle à la barre. Peu de temps après cette visite, alors qu'elle se trouvait avec une infirmière dans la salle de garde, elles avaient vu le docteur Bonnemaison ouvrir la pharmacie du service. "On a l'entendu casser une ampoule, il est allé dans la chambre de Madame Iramuno puis il est reparti", raconte l'infirmière entendue elle aussi comme témoin.

Quelques minutes plus tard, le scope donne l'alerte d'un dérèglement brutal du rythme cardiaque. Les deux femmes se précipitent dans la chambre et constatent que Françoise Iramuno est en train de mourir. L'infirmière aperçoit alors le docteur Bonnemaison dans le couloir. "Je lui ai dit qu'elle était morte. Et que cette dégradation rapide ne me semblait pas naturelle. Il m'a répondu: 'Elle a dû ressaigner'' et il nous a dit qu'il allait prévenir son fils du décès." D'une voix dure, elle ajoute: "Pour moi, il n'y a eu aucun accompagnement. Le docteur Bonnemaison a pris la décision seul. A aucun moment, il n'a demandé à l'équipe de soins palliatifs d'intervenir. C'est contradictoire avec une prise en charge de fin de vie."

Les deux femmes ont évoqué la situation avec quelques collègues mais elles n'ont pas alerté leur hiérarchie tout de suite. "Pourquoi?" leur demande le président Michel Le Maître. "Parce que je suis infirmière et qu'il est médecin. J'avais juste un soupçon, pas de preuve. La communication avec lui n'était plus possible. On a décidé avec les collègues d'être vigilants." 

Le président se tourne vers l'accusé. "Quelles sont les informations qui vous ont déterminé à procéder à une injection d'Hypnovel sur la patiente?". Nicolas Bonnemaison se lance dans un long exposé sur tous les signes cliniques qui permettent d'évaluer l'aggravation de l'état d'un patient en fin de vie.

Le président le coupe. "A quel moment avez-vous effectué ces tests?

- Dans la matinée.

- Tout seul?

- Oui.

- Et pourquoi cette sédation dans l'après-midi?

- Parce qu'il y avait un risque de souffrance psychique.

- Vous dites risque. Vous pratiquez le principe de précaution?"

Le président insiste: "Ce qui m'interpelle, M. Bonnemaison, c'est qu'à 14H45, la patiente semble stable. A 15H aussi. Et vous décidez brusquement d'une sédation. Et tout s'accélère."

Il revient à la jeune aide-soignante. "Quand vous entrez dans la chambre, vous constatez que la patiente est agitée. Que faites-vous ?

- Je lui tiens la main.

- Jusqu'à la fin ?

- Oui.

- Et le docteur Bonnemaison n'est pas là ?

- Non. "

Le président appelle à la barre Pierre Iramuno. Il est le seul des proches des patients décédés à s'être constitué partie civile pendant l'instruction (la famille d'une autre patiente a annoncé sa constitution à l'ouverture du procès). C'est un solide gaillard de 61 ans, qui parle d'une voix calme. Il confirme avoir dit au neurochirurgien qui avait examiné sa mère qu'il ne voulait pas d'acharnement thérapeutique.

- Dans votre esprit, que signifie l'arrêt de l'acharnement thérapeutique ? lui demande le président.

- C'est ne pas pratiquer d'actes chirurgicaux ou médicaux inutiles.

- Vous a-t-on parlé d'injections ?

- Non. Jamais. Personne.

Il raconte surtout une autre expérience. Et ces mots font un effet terrible. "J'ai déjà vécu cette situation de fin de vie. Mon père était dialysé. Son état s'était terriblement aggravé et le médecin qui le soignait nous avait convoqués, avec ma mère. Il nous a parlé, nous a expliqué que mon père était en grande souffrance et il nous a demandé si nous étions d'accord pour arrêter la dialyse. Nous avons dit "oui", il nous a fait signer une décharge. C'était en 1994."

- Qu'attendez-vous de ce procès ? demande le président

- Je ne sais pas. Comprendre, peut-être.

Michel Le Maître lui rappelle les explications données la veille par le docteur Bonnemaison qui disait vouloir "protéger" les familles en ne leur faisant pas porter la responsabilité de la décision de sédation.

- J'aurais aimé avoir un échange avec lui.

- Que répondez-vous à cela, M. Bonnemaison?

Nicolas Bonnemaison se penche vers le micro. Les deux hommes se font face.

- Je suis bouleversé. Je considérais de mon devoir de vous protéger...

- Tout ce que vous pouvez me dire, c'est bien. Mais ça n'explique pas. Ce que j'aurais voulu, c'est que vous m'en parliez et qu'on décide ensemble. Ce que vous avez fait, je l'aurais compris, si vous me l'aviez expliqué."

 

 

 

 


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