Magistrat, un métier extraordinaire
Paroles de juge - , 8/12/2012
Par Michel Huyette
Dans son édition du 6 décembre 2012 le journal Le Monde publie un article concernant la baisse du nombre
des candidats au concours d'entrée à l'Ecole Nationale de la Magistrature (ENM - son site). Selon son auteur, le nombre de candidaits aurait baissé de 63
% en quinze ans pour passer de 4130 en 1998 à 2800 en 2004 puis à seulement 1513 en 2011.
Plusieurs explications sont proposées parmi lesquelles la difficulté du concours puisque c'est l'un des
plus ardus de la fonction publique avec celui de l'ENA (Ecole Nationale d'Administration), ce qui fait que les étudiants en droits s'orientent plutôt vers des professions moins difficiles
d'accès, ensuite la recherche par les étudiants masculins de métiers favorisant le travail en équipe et le leadership, enfin l'insuffisante rémunération.
Le concours d'accès est effectivement difficile. Mais il reste accessible à tout étudiant qui travaille
régulièrement pendant toutes ses années de faculté, et qui, et c'est souvent là que certains décrochent, est disposé et surtout capable, dans la dernière ligne droite avant le concours, de
s'investir complètement dans la préparation, ce qui exclut de nombreuses activités de loisirs pendant quelques mois. Mais une période d'efforts intenses avec à la clé un travail exceptionnel
pendant plusieurs dizaines d'années, cela peut valoir le coup.
Il y a sans doute aussi une insuffisante connaissance du métier de magistrat (du siège ou du parquet). Si
le grand public entend de temps en temps parler d'un magistrat chargé d'un dossier commenté par les medias, le travail quotidien d'un magistrat est rarement montré ou explicité. Cela d'autant
plus que l'essentiel du travail se passe en dehors de l'audience, dans l'étude d'un dossier et la rédaction d'une décision ou d'un acte de procédure. Le magistrat étudie l'affaire, seul ou en
délibéré avec d'autres magistrats selon la nature de l'affaire et celle de la juridiction saisie. Au ministère public, les magistrats étudient les plaintes dans leur bureau, échangent avec les
enquêteurs, rédigent des réquisitoires. Pour eux aussi l'audience n'est qu'une partie de leur activité. L'essentiel du travail est réalisé loin des regards du public. D'où, sans doute, de
nombreuses fausses idées sur l'activité des magistrats.
Le débat autour de la rémunération des magistrats est délicat. Cette rémunération va d'environ 2500 euros
en début de carrière à 6000 euros après 25 années d'ancienneté, pour monter jusque 8000 euros et plus pour les postes en haut de la hiérarchie.
Certains soulignent la relativement faible rémunération, surtout en début de carrière, au regard de la
longueur des études, du niveau du concours d'entrée, et des responsabilités exercées. De telles remarques sont compréhensibles, surtout pour ce qui concerne les rémnérations en début de carrière
alors que dès sa prise de fonction le nouveau magistrat exerce pleinement toutes ses responsabilités et rend des décisions qui, pour les justiciables, sont aussi importantes, si ce n'est plus,
que celles de la cour de cassation.
D'autres font remarquer que par comparaison avec le salaire médian des français (cf. ici), et plus encore le salaire moyen des salariés, les magistrats n'ont pas à se
plaindre, d'autant plus qu'ils bénéficient d'une sécurité de l'emploi qui a sa propre valeur.
Certains, enfin, font valoir non sans quelques raisons que ce n'est pas forcément une mauvaise chose que
ceux qui sont plus attirés par l'argent que par l'intérêt pour un métier, le sens du service public, et l'état d'esprit qui doit en découler, préfèrent aller voir ailleurs.
Il n'empêche que le métier de magistrat est un métier exceptionnel.
Etre magistrat c'est tous les jours intervenir dans la vie de ses concitoyens, pour régler les conflits
qui les opposent, et cela dans tous les domaines : civil, social, familial, rural, pénal etc.
C'est apporter des solutions à des conflits parfois vifs et par voie de conséquence réduire les tensions, c'est rétablir des équilibres quand l'un s'est positionné au détriment de l'autre,
c'est mettre fin à toutes sortes d'injustices dans tous les domaines de la vie, c'est veiller au respect des droits de chacun, c'est protéger les uns contre les agressions des autres, c'est
accompagner et aider des personnes en difficulté, c'est analyser et faire évoluer le droit dans un environnement social, juridique et humain en constante évolution.
Etre magistrat, c'est accueillir, c'est permettre aux personnes concernées de s'exprimer, c'est
écouter, s'interroger en permanence, douter souvent, tenter de comprendre toujours, essayer de faire la part des choses entre la sincérité, l'erreur et le mensonge. C'est découvrir chaque
jour toutes les facettes, parfois surprenantes, quelques fois stupéfiantes, de la nature humaine.
C'est aussi et surtout, pour les juges du siège, alors que chacun, particulier ou professionnel, vient
proposer une solution, prendre la décision finale.
Mais cela n'est pas tout. Etre magistrat offre d'autres avantages qui se surajoutent à ceux qui viennent
d'être mentionnés.
Les magistrats ont la possibilité au cours de leur carrière d'exercer dans plusieurs juridictions et donc
dans plusieurs régions de France (métropole et outremer). Même si cela génère parfois quelques difficultés, notamment pour les enfants ou quand les conjoints exercent une profession libérale,
cette possibilité de découvrir plusieurs fois de suite un nouvel environnement, de nouveaux collègues et interlocuteurs, de nouvelles pratiques, de nouvelles problématiques, apporte au magistrat
un enrichissement professionnel et personnel particulièrement bénéfique.
Le changement de région s'accompagne souvent d'un changement de fonction. Le juge des enfants devient
juge aux affaires familiales ou substitut du procureur. Le juge d'instruction devient juge civil. Le juge d'instance devient juge d'application des peines. Et les fonctions changent encore quand
le magistrat passe du tribunal de grande instance à la cour d'appel. Cela permet d'avoir une vision transversale des problématiques de justice, bien au-delà du domaine de compétence de la
première fonction exercée. C'est également un très fort enrichissement professionnel.
Le magistrat du siège n'a pas de hiérarchie fonctionnellement parlant. Même si dans toute juridiction il
y a besoin d'un président en charge de l'organisation et du contrôle du bon fonctionnement des services, au moment de traiter un dossier et de prendre une décision le juge du siège ne reçoit de
consignes de personnes et sa liberté est en pratique véritablement totale. Les quelques dossiers parisiens surmédiatisés ne doivent pas tromper. Il ne sont en rien le reflet de l'activité
quotidienne des 8500 magistrats français qui travaillent véritablement en toute indépendance.
En tous cas il n'existe pas beaucoup de professions dans lesquelles, dès l'entrée en fonction dans le premier poste, l'autonomie est aussi importante, même si elle est encadrée par la
collégialité quand le juge ne statue pas seul et, bien sûr, par l'exercice des voies de recours.
Moins connue mais très appréciable au quotidien, est la possibilité pour certains magistrats de
travailler chez eux. Comme cela a été indiqué plus haut, sauf pour les membres du ministère public et pour quelques fonctions spécialisées (juge des enfants, juge d'application des peines et juge
d'instruction notamment) qui imposent d'être au palais de justice, le travail est par dessus tout un travail d'étude de dossiers qui ne nécessite pas d'être en permanence au palais. C'est
pourquoi de nombreux magistrats travaillent une partie de leur temps chez eux.
Cela permet non seulement de travailler dans un environnement calme, de n'être dérangé par personne, et
donc d'être bien plus efficace, mais aussi et surtout de disposer de la possibilité d'organiser son temps en fonction des besoins familiaux. Pour les femmes, mais tout autant pour les hommes qui
n'ont pas comme objectif premier de consacrer l'essentiel de leur vie à leur activité professionnelle et de faire carrière en se faisant voir et remarquer, c'est un avantage d'une très grande
valeur que de pouvoir organiser sa semaine pour être en mesure d'accompagner un enfant dans une démarche importante, par exemple d'aller à un conseil de classe ou chez le médecin avec lui, ou
d'être présent en cas de besoin de son conjoint. Cette possibilité de travailler efficacement tout en restant très présent au sein de la famille a une immense valeur, qu'aucune contrepartie
monétaire ne pourra jamais égaler.
Etre magistrat ce n'est pas seulement une profession. C'est aussi un état d'esprit et un
engagement.
C'est un métier difficile, d'une part à cause du manque de moyens au sein de l'institution judiciaire,
manque qui empêche de produire des prestations de qualité maximale, d'autre part à cause de l'ampleur des responsabilités qui impose de s'interroger en permanence sur ce que l'on fait et sur ce
que l'on décide.
Mais tout ceci rend le métier de magistrat très exceptionnel.
Cela mérite quelques efforts avant et au moment de passer le concours d'entrée.
Pour ceux qui ont réussi, la récompense qui suit va bien au delà des espérances.