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Une société du gros mot et de la pensée étique

Justice au Singulier - philippe.bilger, 25/09/2018

Une société du gros mot et de la pensée étique ? Une société qui trahit son langage se suicide.

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Je sais que c'est un voeu pieux.

Mais ces derniers jours ont poussé au paroxysme une tendance qui gangrène depuis longtemps les univers politique et médiatique au point que le citoyen est obligé de se demander dans quelle société on vit véritablement.

Une société du gros mot et de la pensée étique ?

Je le crois car contrairement à ce qu'on laisse entendre, il y a une influence directe et perverse de la forme sur le fond. La forme, en se dégradant, offre le prétexte de ne pas discuter le fond.

Quand un Jean-Michel Aphatie se permet de déclarer que le livre de Zemmour est une merde, il se révèle ou très limité s'il l'a lu, ou menteur s'il ne l'a pas lu. Dans tous les cas, il est grossier.

Cette phrase ne manifeste que l'infirmité d'un esprit incapable de proférer autre chose que ce propos nauséabond face à un adversaire détesté et jalousé à la fois.

Ce n'est pas fatal. Antoine Perraud fait une critique dévastatrice et à mon sens injuste du Destin français, le comparant à La France juive de Drumont, mais il s'agit d'une approche dure qui, aussi violente qu'elle soit, ne se réfugie pas derrière l'insulte pour se faciliter les choses et s'assurer le confort d'une contradiction rendue impossible (Mediapart).

Yann Moix attaque scandaleusement la police en recommençant à la traiter de barbare pour Calais alors qu'il s'était platement excusé il y a quelques mois, n'ayant pas la moindre preuve de ses allégations offensantes (BFMTV, Sud Radio).

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Mais il me semble que sa dérive tient, toujours par paresse et volonté de provocation, dans son usage délibéré et nauséabond de "couilles... chie dans leur froc..." non pour appuyer son argumentation mais au contraire pour s'en dispenser.

Pourtant la problématique abordée n'était pas dérisoire qui aurait pu chercher à expliquer pourquoi des fonctionnaires de police n'osaient plus entrer dans certaines cités. Par peur peut-être, parce que face à des incidents et à des confrontations inévitables ils seraient présumés coupables et évidemment faiblement soutenus par leur hiérarchie et le pouvoir politique ? Pour que ce débat ait du sens, encore fallait-il que son intérêt ne soit pas effacé par la fausse audace des mots et l'indécence des expressions.

Elles ne surviennent pas par hasard. D'abord il s'agit de plaire "sous la ceinture" à des téléspectateurs qu'on imagine friands de cette vulgarité - ce qui est absurde - et surtout elles visent à détourner de l'essentiel qui appellerait des nuances, des précautions et des observations que l'insulte permet d'exclure.

Si on peut élargir la réflexion, à la suite d'une émission sur CNews où Charlotte d'Ornellas a été confrontée à Rokhaya Diallo, celle-ci a pratiquement validé le fait que la première soit traitée de "pute" sur Twitter. Je sais que Twitter si on n'y prend garde est un cloaque mais on aurait pu au moins espérer que toutes les personnalités ayant une visibilité politique et médiatique ne le laissent pas prospérer.

Il y a en effet un devoir d'exemplarité de ceux qui ont l'honneur d'être vus et écoutés par beaucoup. Mais il est évidemment beaucoup plus réjouissant, démagogique et "porteur" de s'en prendre honteusement à quelqu'un plutôt que de pourfendre ses idées. D'autant plus qu'une certaine doxa médiatique tend à déséquilibrer l'équité des échanges sur les plateaux de télévision ou à la radio même si heureusement il y a des exceptions.

Cette exemplarité du langage dans l'espace public devrait imposer sa loi plus qu'à tout autre à celui qui préside, à ceux qui nous gouvernent. Le premier rarement, pour adopter un registre qu'il croit populaire, s'abandonne à des familiarités, presque des vulgarités qui diffusent, émanant d'un homme qui a de la tenue en général, un climat propice à un mimétisme de mauvais aloi.

De bas en haut, du médiatique au politique, de haut en bas, du pouvoir aux habitués des plateaux médiatiques, la qualité de la langue française mériterait d'être perçue telle une obsession bienfaisante. Je ne prétends pas imposer une inquisition qui, vigilante sur tout - les liaisons, la construction des phrases, les accords avec les auxiliaires être ou avoir, etc. - mettrait les journalistes à la torture mais est-ce trop désirer que d'avoir un monde qui refuse l'abjection du mot, l'indélicatesse du verbe et la tentation de l'offense ?

Qu'on ne vienne pas prétendre que seule compte la qualité de la pensée puisque tout démontre qu'elle s'appauvrit à proportion d'une expression qui se flatte de sa médiocrité. La grossièreté de la forme autorise l'inanité du fond. Elle salit comme si la cause est entendue. Alors que précisément elle ne l'est pas et au moins devrait être débattue. L'insulte est l'opium des imbéciles.

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Récemment on a formulé l'idée surréaliste d'interdire Eric Zemmour de médias. Sans lui et la liberté et l'intelligence qui sont les siennes, les médias seraient orphelins, bien davantage que si quelques-uns de ses contempteurs venaient à nous priver de leur présence !

J'ai commencé mon billet par "voeu pieux".

Pourquoi ne pas inventer des mesures internes, des exclusions temporaires ou définitives, des blâmes, un CSA qui serait enfin vigilant, afin de ne plus tolérer, de la part de ceux qui ont l'honneur de s'adresser à la société, le déshonneur d'une parole dévoyée ?

Une société qui trahit son langage se suicide.


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