François Hollande a-t-il été grossier ?
Justice au singulier - philippe.bilger, 17/05/2012
Plus personne ne songe à reprocher au président de la République sa mollesse.
En réalité, le changement de perception a commencé avec le débat du 2 mai entre les deux candidats dont François Hollande est sorti clairement vainqueur, en tout cas libéré de l'accusation d'être un personnage sans ressort ni aspérités. La suite a démontré à quel point cette vision de notre nouveau président était la bonne. Avec une simplicité au quotidien à laquelle il tient et qui sera difficile à sauvegarder compte tenu des contraintes de sa charge, avec un sourire et une amabilité qui manifestent qu'en effet il n'a pas à se forcer pour se sentir bien au milieu de ses concitoyens, il a cultivé en même temps la réserve présidentielle dans ce qu'elle peut avoir de plus frustrant pour ceux, proches, conseillers, affidés, qui attendent, espèrent des signaux du Pouvoir. Il a su garder le secret jusqu'au dernier moment, jusqu'à l'instant où il avait décidé de le lever, sur le nom de son Premier ministre et des ministres auxquels il songeait. Il n'a tenu aucun compte de la joute ridicule sur la condamnation réhabilitée de Jean-Marc Ayrault. Cette part d'autorité et de sadisme nécessaire est indissociable de l'exercice de la puissance qui vous a été dévolue par le suffrage universel. Cette personnalité que d'aucuns s'étaient permis de qualifier de falote parce qu'elle n'était pas vulgaire, d'effacée parce qu'elle n'existait pas ostensiblement a révélé en quelques jours qu'elle s'efforcerait de réussir une synthèse difficile entre l'amour de la France et des Français et son ancrage socialiste, qu'elle tenterait de concilier l'esprit partisan avec une présidence pour tous. Le projet, l'idéologie avec une pratique de l'Etat généreuse et ouverte.
A peine l'UMP s'était-elle consolée de sa méprise sur le tempérament prétendument faible de François Hollande qu'elle enfourchait un nouveau cheval de bataille qui se rapportait aux modalités selon elle critiquables de l'investiture (Le Monde, nouvelobs.com).
Pourtant, la réserve élégante de Ségolène Royal et la sage abstention de leurs enfants avaient déjà distingué la solennité d'aujourd'hui de la "foire" de 2007 où était visible, éclatant, tout ce qui allait dégrader les cinq années suivantes.
Le président de la République, en cette occasion qui mêlait son destin personnel à celui de la France, a prononcé un remarquable discours à la fois militant et humaniste, inspiré par la volonté de rassemblement puisqu'à l'évidence au bout de ce quinquennat notre pays a besoin de retrouver ses marques, la paix, la fraternité. Il a trop longtemps souffert de plaies et de tensions sur lesquelles Nicolas Sarkozy se plaisait à jeter du gros sel au lieu d'avoir l'ambition de les rendre infiniment moins sensibles. François Hollande, qui a beaucoup réfléchi sur le pire et le moins mauvais en matière de gouvernance, semble au contraire n'être obsédé que par l'unité et et la civilité d'une nation qui est trop belle pour ne pas être traitée avec ménagement et délicatesse.
Trouvant à chacun des présidents l'ayant précédé une qualité fondamentale dans leur service de la France, il s'est contenté - scandale absolu pour l'UMP et même pour Henri Guaino !- de former des voeux à l'égard de Nicolas Sarkozy sans créditer ce dernier de la moindre avancée pour le pays.
A dire vrai, cette courtoisie républicaine minimale m'a semblé bien suffisante et j'ai aimé que pour une fois on sorte du rituel affecté, de la convention mécanique et de l'hypocrisie en tirant des conclusions nettes et péremptoires d'un affrontement sans merci et d'une estime pour le moins réduite du nouveau président envers l'ancien. Il n'en demeure pas moins que Nicolas Sarkozy aurait été sans doute plus ulcéré - il n'a rien montré !- si François Hollande s'était laissé aller à seulement vanter son énergie durant cinq ans.
Le président de la République, alors que sur le perron de l'Elysée l'épouse et la compagne s'embrassaient, aurait commis un grave impair par rapport aux usages, après avoir salué Nicolas Sarkozy, en ne le raccompagnant pas jusqu'à sa voiture ou au moins en ne demeurant pas présent et attentif jusqu'à la sortie de celle-ci de la cour. De fait, François Hollande a immédiatement tourné les talons.
Il n'était peut-être pas nécessaire, surtout après l'allocution sans complaisance, de rajouter cette pincée au mieux de désinvolture, au pire d'humiliation. Je n'ose penser que notre président de la République si fin, si urbain se soit livré par hasard à ce minimalisme. Il l'a voulu, il a pris le risque des polémiques certes dérisoires qui ont suivi. Elles n'ont pas dû beaucoup l'affecter puisqu'elles émanaient de gens que le quinquennat passé n'avait pas mis au premier plan de la lutte pour la courtoisie, le respect, la tenue et une République irréprochable. Si François Hollande, comme je le crois, a résolument négligé Nicolas Sarkozy, la poignée de main finale donnée, force est alors d'évaluer à sa juste mesure l'hostilité que le premier éprouvait à l'encontre du second.
On pourrait continuer à gloser mais maintenant que le gouvernement de Jean-Marc Ayrault est constitué et qu'il comporte tout de même la bagatelle de trente-quatre ministres, avec une parité parfaitement respectée, les choses sérieuses vont commencer.
Ce ne sont pas les citoyens qui proposent au président les ministres mais le Premier ministre. Comme citoyen passionné de politique, j'aurais rêvé d'autres noms, parfois, et souhaité peut-être moins de banale créativité pour l'énoncé de certaines missions dans le domaine scolaire ou industriel.
Il y a les incontournables : Laurent Fabius, Pierre Moscovici, Michel Sapin, Jean-Yves Le Drian, Manuel Valls. Ce dernier me réjouit tout particulièrement comme ministre de l'Intérieur. Je suis persuadé que d'Evry à la nation, la logique, la fermeté, la rectitude, une rigueur intelligente, un soutien lucide seront au coeur de l'action de Manuel Valls. Il y a beaucoup à faire : pour changer les choses, combattre vraiment l'insécurité et favoriser l'exemplarité et l'efficacité de la police.
Christiane Taubira est ministre de la Justice. Ce poste prestigieux échoit à une personnalité aimable, courtoise, de grand talent, une femme de gauche dont les principes et les convictions ne laisseront pas place au moindre doute. Son humanisme généreux s'opposera sans doute à la démocratie musclée de Manuel Valls.
André Vallini n'occupera aucun poste dans ce gouvernement. Christiane Taubira aurait sans doute souhaité, par préférence, une autre fonction alors qu'André Vallini compétent, respecté et riche d'idées n'aspirait qu'à celle-ci. J'espère que le Président ne l'oubliera pas et que l'ouverture socialiste ira un jour jusqu'aux vallinistes !
Sous la simplicité perce déjà un sacré chef de l'Etat !