Au procès Agnelet, la défense funambule de Me François Saint-Pierre
Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 11/04/2014
Il tourne et retourne dans le prétoire, mains dans le dos, tête baissée, en remuant les lèvres, répétant pour lui seul les mots que, dans quelques minutes, il va jeter à la cour et aux jurés. L'avocat général Philippe Petitprez, vient de requérir contre son client, Maurice Agnelet, vingt ans de réclusion criminelle pour l'assassinat d'Agnès Le Roux. Dans la salle d'audience, jeudi 10 avril, un silence épais cueille les mots du président: "La parole est à la défense".
Me François Saint-Pierre dévisage un à un ceux qui, depuis quatre semaines, partagent les heures étouffantes du procès de Maurice Agnelet. Ni l'éclat des dorures du vieux Parlement de Rennes, ni la lumière chaude qui baigne la salle de la cour d'assises en ce début d'après-midi, n'ont effacé la noirceur et la violence des derniers moments. Et c'est là, dans cette fournaise d'émotions, qu'il vient les chercher.
A ces hommes et à ces femmes, magistrats professionnels et citoyens jurés, Me Saint-Pierre dit d'abord que lui aussi ne sort pas indemne de ce procès. "Je connais Maurice Agnelet depuis 1988. Je l'ai défendu à tous ses procès. Mais ici, j'ai encore appris. J'ai subi de nouvelles émotions. J'ai éprouvé de nouveaux doutes sur l"homme que je défends. Lundi matin, quand le président a lu le procès-verbal de Guillaume Agnelet, j'ai vacillé. Je ne m'y attendais pas du tout. J'ai vécu les deux premiers procès aux côtés de Guillaume et Thomas. Nous avons partagé le soulagement de l'acquittement à Nice, puis l'immense déception de la condamnation à Aix-en-Provence. J'ai un coeur, j'ai une conscience. Alors oui, quand j'ai entendu Guillaume expliquer qu'il avait été le confident de son père et de sa mère, j'ai douté, c'est vrai. Je le connais depuis longtemps. Comprenez mon désarroi, à ce moment-là", leur lance-t-il.
Me Saint-Pierre s'approche alors au plus près des braises, face à cette scène de crime que, selon Guillaume, sa mère Anne Litas, lui aurait raconté. "Je ne peux pas imaginer que cette femme charge son fils d'un tel fardeau pour la vie", dit-il. Puis il l'affronte, cette scène, image après image, pour mieux la combattre. Maurice Agnelet tirant une balle dans la tête d'Agnès Le Roux - "une balle, pardon, mais ça fait saigner" - abandonnant le corps dénudé dans un sous-bois, roulant jusqu'à une gare de la frontière italienne "où à l'époque, il y a plus de gardes que de clandestins" pour se débarrasser de la voiture dans un parking, avec les clés sur le contact. "C'est prendre beaucoup de risques, tout de même!" observe-t-il. Il n'imagine pas non plus celui qu'il défend commettre un meurtre de sang froid, "parce qu'il est lâche, parce qu'il biaise, parce qu'il est fourbe."
Mais il y a Guillaume, la douleur et la détermination de Guillaume, qui pèsent si lourd dans la conscience de la cour et des jurés. Et de l'autre côté, il y a Thomas, le fragile et silencieux Thomas, assis au premier rang du public. L'avocat funambule avance sur ce fil tendu au-dessus d'un précipice: défendre le père accusé, respecter l'aîné qui l'accuse, protéger le cadet qui le soutient. "Guillaume, dit-il, a en lui une colère inextinguible et on le comprend. Cet homme, Maurice Agnelet, a fait vivre le martyr à ses fils en les embarquant dans cette affaire. Ils ont choisi leur chemin. Thomas défendra toujours son père, c'est sa fierté. Guillaume, lui, a choisi de rompre. Ce que dit Guillaume est bien évidemment sincère, mais cela ne peut valoir preuve criminelle".
Le plus gros obstacle de la défense reste à franchir. Me Saint-Pierre s'approche du box et, de la main, désigne Maurice Agnelet. "Dans ce dossier, nous n'avons pas de scène de crime, nous n'avons pas de preuve criminelle, mais nous avons Maurice Agnelet !" Dans les mots durs avec lesquels il s'adresse à lui, perce la colère de l'avocat qui a vu son client abandonner dès le deuxième jour d'audience le personnage du vieux monsieur fatigué qu'il lui avait assigné, pour émerger "comme un diable de sa boîte, alignant les blagues de mauvais goût, provoquant une tension permanente".
La voix de Me Saint-Pierre enfle et gronde. Collé au box, il apostrophe Maurice Agnelet: "Pourquoi êtes-vous incapable de parler aux gens? Pourquoi n'avez-vous pas adressé vos excuses à Jean-Charles Le Roux [le frère d'Agnès], que vous avez baladé? Et quand Guillaume est venu, pourquoi n'avez-vous pas été capable de lui dire que vous l'aimiez ? Cet homme est prisonnier de ses fantômes. Il est son pire ennemi. Il attire les soupçons comme l'aimant, le fer. Mais est-ce que son rire, sa haine, sont une preuve criminelle? "
Revenu face à la cour et aux jurés, Me Saint-Pierre retrouve alors le registre qui lui est familier. "Parlons raison, maintenant !" Il évoque cette condamnation à 20 ans de réclusion criminelle prononcée par la cour d'appel des Bouches-du-Rhône, qu'il n'a "jamais acceptée" et explique le long combat mené jusqu'à la Cour européenne des droits de l'homme qui a condamné la France pour "procès inéquitable."
"Dans toutes les erreurs judiciaires, les juges qui ont condamné étaient absolument convaincus de la culpabilité. Mais il manquait la preuve. C'est cela qui distingue un accusé d'un coupable", souligne-t-il. Dans ce dossier, affirme Me Saint-Pierre, "tout n'est qu'hypothèses. Mais une addition d'hypothèses, c'est toujours des hypothèses. S'il manque la preuve, vous devez acquitter Maurice Agnelet".
Verdict vendredi 11 avril.