Pas touche à Taddéï !
Justice au singulier - philippe.bilger, 24/01/2014
Décidément, ces deux-là ne se quittent plus !
Pour le pire et pour le meilleur.
D'abord un échange passionnant sur les débats télévisés, le pluralisme imposé par une conception exigeante de la liberté ou un journalisme d'exclusion.
Patrick Cohen refusait d'inviter la bande des sulfureux et des provocateurs dont Dieudonné traité de cerveau malade, Nabe, Soral et autres.
Il est une sorte de justicier à France Inter, ce qui est une forme de pléonasme. A l'évidence il en est fier car il est persuadé que toutes les bonnes fées sont de son côté : morale, vérité, justice, conformisme.
Apparemment il est décidé plus que jamais à les cultiver puisqu'il s'en est pris tout récemment à l'humoriste Olivier de Benoist dans la nouvelle émission de Ruquier : il faut reconnaître que son mouvement d'humeur, aussi tactique et intéressé qu'il puisse être, n'était pas dénué de fondement, tant une drôlerie notamment sur Merah était d'un goût détestable (lepoint.fr).
Dans cette joute si stimulante datant d'il y a quelques mois, Frédéric Taddéï, pour notre déplorable époque si prompte à trancher, à excommunier et à interdire avant même de voir, d'écouter et de lire, avait le mauvais rôle puisqu'il estimait n'avoir pas à se comporter comme un censeur préventif mais à permettre à toutes les paroles de s'exprimer, quitte à recourir à la loi pénale si certaines déshonoraient son émission, ce qui n'est jamais arrivé. Laisser penser et vivre est devenu une tare.
J'avais pris évidemment son parti dans cette affaire, tant un espace d'ouverture d'esprit et de dialogue non filtré dès l'origine me semblait une aventure, une chance, un défi à protéger.
Cette belle querelle apaisée, on pouvait penser que le sort les séparerait.
Il n'en a rien été puisque Dieudonné, par une riposte absolument et honteusement disproportionnée, a fait en sorte que ses attaques à l'encontre de Patrick Cohen donnent à la France, à son président, au ministre de l'Intérieur et malheureusement au Conseil d'Etat, l'occasion de s'illustrer sur le plan de l'étouffement administratif.
A mon retour de Tunisie, quand tout là-bas me conduisait à me concentrer sur une espérance naissante quoique fragile, dont certains Tunisiens revenus de France dans leur pays soulignent le caractère incertain (Le Monde), j'apprends avec stupéfaction qu'on a évoqué la possible suppression de l'émission de Frédéric Taddéï parce que celui-ci avait à nouveau invité Marc-Edouard Nabe (Le Figaro). Une surenchère dans la bienséance, un dommage collatéral de la frénésie inspirée par Dieudonné ?
Ainsi, quand un processus de sauvegarde de l'honneur d'homme et de journaliste de Patrick Cohen était mis en branle, on songeait sérieusement à pourfendre et à abolir la seule incarnation démocratique et pluraliste à la télévision : "Ce soir (ou jamais !)", avec Frédéric Taddéï.
Si ce dernier, en définitive, convie souvent le même noyau d'intervenants, force est de reconnaître qu'ils n'appartiennent pas à la catégorie de ceux que la radio et la télévision s'arrachent. Rien que pour cela, il convient de le saluer.
Je suis d'autant plus à l'aise pour juger scandaleuse cette menace de suppression que j'ai perdu toutes mes illusions sur Nabe longuement interviewé, il y a quelques mois, par l'excellent et regretté Médias et si tristement adepte de ces provocations tellement mécaniques et prévisibles qu'elles confinent à la bêtise même pas supérieure. Moralité : accueillons pour discréditer !
Et Taddéï a bien fait. Il a le droit de le faire venir dans son émission et s'en indigner montre le degré de domestication où on souhaiterait voir l'audiovisuel arriver. Il y a des résistants et puisque Patrick Cohen est devenu le chouchou, qu'on laisse au moins Frédéric Taddéï continuer à jouir de sa singularité royale attendue, chaque semaine, avec ferveur par un public choisi.
Apparemment, on n'en est plus à l'extrémité crainte. Les réactions ont eu leur effet. On proposerait seulement un changement d'horaire et c'est Alessandra Sublet qui occuperait le créneau de 22 heures 30 (Bd Voltaire). Mais lui, où irait-il ?
Selon Thierry Thuillier, rien à voir avec une censure ou, pire, une sanction.
Si celui-ci n'était pas un homme de qualité, je serais inquiet de l'entendre déclarer "C'est l'honneur de l'émission de Taddéï de recevoir des points de vue très différents", tant, en général, les adhésions affichées ne sont qu'un moyen pour faire passer sans douleur les exils prémédités et injustes (Le Parisien).
A vrai dire, je ne suis pas rassuré. A la télévision, les bruits de disgrâce sont généralement fondés. La rumeur prépare la chute.
J'espère seulement que Thierry Thuillier, dans sa réflexion, a intégré, pour une fois et pour toujours, cette bienfaisante interdiction : Pas touche à Taddéï !