Les enfants étrangers isolés retombés dans l’oubli (446)
Droits des enfants - Jean-Pierre Rosenczveig, 7/12/2011
La paix règne en Seine-Saint-Denis. L’Aide sociale à l’enfance et le tribunal ont retrouvé leur quiétude après 6 semaines épiques à la suite de la décision du président du Conseil général de ne plus accueillir d’enfants étrangers isolés tant que l’Etat n’aurait pas fait un geste significatif pour montrer qu’il entendait assurer sa part du dossier et mobiliser les autres conseils généraux dans une démarche de solidarité nationale.
Il n’est pas inutile de rappeler le dispositif adopté à la mi-octobre.
Les jeunes étrangers qui se présentent dans les services sociaux ou au tribunal sont tous orientés vers une plate-forme d’évaluation gérée par convention avec le Département par la Croix Rouge Française. S’ils sont tenus pour mineurs ils seront hébergés par le deuxième étage du dispositif le temps pour 1 sur 10 d’entre eux d’être orienté vers une structure travaillant pour le compte de l’aide sociale à l’enfance de la Seine Saint-Denis. Les 9 autres feront l’objet d’un signalement d’enfant en danger adressé au procureur de la République qui avec l’appui aujourd’hui de la PJJ, demain de la Croix Rouge, aura le souci de trouver un département d’accueil parmi les 21 retenus par le ministère de la justice dans un rayon de 200 km de Paris pour participer au désengorgement de la Seine-Saint Denis.
Le parquet prend alors une « décision » confiant le jeune à un établissement et transfère sa procédure au procureur dont relève cette structure. Le jeune est alors conduit par un chauffeur de la PJJ – demain de la Croix Rouge – vers son affectation où, dans tous les sens du terme, il y est déposé. Dans l’hypothèse où ce foyer refuse d’accueillir le jeune, il lui revient de saisir le procureur de la République local qui prend toute disposition utile, notamment en saisissant l’Aide sociale à l‘enfance comme pour tout enfant trouvé dans le département.
Cette démarche a le mérite de soulager les services du Conseil général de la Seine-Saint-Denis qui depuis des années n’en pouvaient plus et multipliaient les appels à l’aide. Bien évidemment il s’agit aussi, mais pour important l’enjeu est second, de soulager les finances du département sur lesquelles pese une charge de 45 millions l’an pour un budget global d’aide sociale à l’enfance de 260 millions. Une vraie bouffée d’air. De même pour le tribunal pour enfants qui en était arrivé à fonctionner sur une base de 500 situations nouvelles chaque année, la chute est sensible.
En revanche, force est de constater, mais ordre public oblige, que dans cette stratégie de contournement de la Seine-Saint-Denis et du Tribunal pour enfants de Bobigny, la charge du parquet est maximale. Il lui a fallu mobiliser la Direction Territpoiriale de la PJJ, service déconcentré du ministère de la justice à qui il revient jusqu’à la mise en place de la convention passée le 1er décembre avec la Croix Rouge Française de téléphoner aux foyers, aux conseils généraux, aux tribunaux pour les informer au cas par cas du cadeau qui leur est adressé.
Il va sans dire, mais mieux en le disant puisque là est le problème que les accueils sont mitigés même si la vérité veut de relever que des établissements ou des services départementaux ont un reflexe légaliste et acceptent d’absorber ces situations. Certains n’apprécient pas la méthode qui veut que, sans concertation, ils ont été choisis comme terre d’accueil ; d’autres ne se sentent pas près pour investir dans les problèmes qui posent ces jeunes, certains n’hésitent pas à avancer que l’on obère ainsi des places d’accueil réservées aux enfants en danger de France. Bien évidemment, les conséquences financières de cette orientation ne leur échappent pas. On voit se multiplier les actes de résistance notamment de présidents de conseils généraux à l’égard d’un dispositif qui leur a été imposé, mais d’aucune manière concerté.
Et puis il y a aussi ces conseils généraux qui demandent à bénéficier du même sort que la Seine-Saint-Denis. Ils estiment aussi supporter une charge financière démesurée sur leur budget au nom de la collectivité nationale. On pense à Paris, mais plus surprenant à l’Ille-et-Villaine. Il n’est pas rare que le coût de la prise en charge des mineurs étrangers isolés représente 15% des budgets d’aide sociale à l’enfance.
Lorsqu’il a cherché – avec succès – à dégonfler la situation en Seine-Saint-Denis le ministre de la justice s’était engagé sur une démarche de négociation entre l’Etat et les départements pour rechercher un meilleur équilibre que l’actuel. Il va de soi que la responsabilité sur les jeunes ne doit pas peser sur le seul Etat ou les seuls conseils généraux. La responsabilité est conjointe.
L’Etat est en charge des frontières et de la délivrance des titres de séjour; il doit assumer les personnes sans domicile fixe ; par la police et la justice il doit veiler protéger des enfants en danger. Tout simplement ces enfants ne sont pas des enfants du 93, de Paris ou de Rennes. Ils sont venus en France, souvent pour y séjourner, parfois pour transiter. Peu importe leur point de chute. L’accueil qui leur est ménagé n’est pas un accueil sequanodionisien, parisien ou rennais ; il l’est au nom de la France. C’est l’Etat d’ailleurs qui devra, en son nom, rendre des comptes à la communauté internationale.
Maintenant il est vrai que l’action sociale relève des conseils généraux qui disposent de budgets à cet effet. La loi du 5 mars 2007 rappelle bien cette compétence.
Dès lors que chacun est compétent où placer le curseur qui verra les conseils généraux prendre le relais de l’Etat ? A priori quand la situation administrative aura été réglée. Autorisé à demeurer en France le jeune devient un enfant de France et doit être pris en charge comme tout enfant de France. L’Etat aurait donc intérêt à régler au plus tôt la question du titre de séjour pour que le relais soit pris par un conseil général. Jusque là il pourra le mobiliser quitte à lui rembourser les frais engagés. Telle était la piste retenue parle rapport Landrieu de 2004. On peut trouver d’autres clés de répartition comme le propose le rapport Debré de 2010..
A défaut de pouvoir s’accorder entre eux, les conseils généraux aujourd’hui demandent à l’Etat, d’introduire au moins une péréquation entre départements pour que les 100 départements, qu’ils soient en première ligne ou pas, participent. Certains avec l’ADF en tiennent seulement pour une péréquation financière ; d’autres attendent aussi que chacun s’ouvrent à ces enfants en les accueillant. Cette divergence doit pouvoir être dépassée.
La situation actuelle dans cette période qui plus est pré-électorale ne peut pas perdurer. La réunion promise s’impose. Un département comme l’Ille-et-Villaine menace d’ores et déjà d’adopter la stratégie de la Seine-Saint-Denis si l’Etat ne fait pas un geste en sa direction. D’autres vont suivre.
En tous cas on ne pourra pas se satisfaire du dispositif actuel où l’on impose des jeunes à des structures ou départements qui n’y sont pas prêts, voire même qui le refusent ces situations appellent un fort investissement original. Ces jeunes déposés tels des paquets seront certes hébergés correctement, mais ne verront pas leur situation traitée. Peu ou pas grand-chose sera fait pour rechercher leur régularisation : or un titre de séjour conditionne leur formation professionnelle. Ils n’auront a fortiori aucune perspective de prise en charge une fois devenus jeune majeur : rien n’ayant été vraiment fait durant la minorité, la majorité acquise, le conseil général ne proposera pas de s’investir jusqu'aux 21 ans comme on l’a fait dans le passé récent permettant ainsi à nombre des jeunes de réussir leur intégration dans leur intérêt mais aussi dans l’intérêt du pays.
Résultat : ces jeunes qui ne repartiront pas dans leur pays – leur famille ou leur village ont trop misé sur eux et il peut y avoir une grosse dette à rembourser – sont voués à plonger dans la clandestinité, ce qui nous étions parvenus à singulièrement réduire pour les jeunes pris réellement en charge. Pendant des années ces jeunes seront voués aux exploiteurs de tous genres dans cette phase très dure de leur vie.
Détail : nombre des jeunes (de 40% à 60%) qui se présentent sont aujourd’hui éconduits parce que l’on conteste leur minorité ou la compétence de la Seine-Saint-Denis. Quels recours sont ouverts pour garantir les droits de ceux qui réellement sont mineurs ? Qu’est-ce qui empêcherait légalement certains de se présenter dans un tribunal pour demander protection ? Comment tourneront les recours engagés contre l’Etat ou contre le Conseil général ? Une réponse politique et administrative a été construite à la hâte - avec succès - pour résoudre à un problème d’ordre public. Ses fondements juridiques ne sont pas solides et en tous cas sont source d’insécurité pour les intervenants et, bien sûr, les principaux concernés.
Oui la paix règne en Seine Saint Denis, mais à quel prix ?
Un plan national s’impose avec le souci de prendre en compte la spécificité des problèmes posés par ces jeunes, y compris la preuve de leur identité sachant qu’ils ne sont pas tous nécessairement majeurs. Il doit être coordonné par l’Etat – ministère de la justice - qui y sera d’autant plus légitime qu’il mettra lui-même la main à la poche comme il le fait déjà. Il lui revient ensuite de coordonner au nom de la France les interventions des conseils généraux. Faut-il que tous les départements où se présentent des jeunes se dotent de cellules d’accueil et d’orientation ? Non. Peut-être serait-il opportun de se doter de 4 ou 5 plates-formes régionales qui réunissent les savoirs-faire nécessaires indispensables : entretiens avec interprètes et examens spécifiques, recherche des parents disparus, préconisations d’orientation, traitement du statut juridique avec la question de papiers, mais déjà celle de la tutelle ou de la délégation d’autorité parentale, orientation scolaire ou professionnelle vers des filières où ces jeunes ont des chances d’être qualifiés dans des domaines où le chômage est inexistant pour faciliter le titre de séjour, etc.. Doit-on rappeler les dernières instructions pour la régularisation au compte-gouttes des diplômés ? Les tribunaux pour enfants peuvent jouer un rôle comme les juges aux affaires familiales joueraient le leur.
A l’Etat de faciliter l’accord qui s’impose pour ensuite le mettre en forme à travers des instructions nationales où chacun y trouverait son compte et d’abord la reconnaissance à laquelle il aspire sur un sujet particulièrement ingrat.
La fin d’année étant une période de vœux, on veut espérer que cette démarche se concrétise rapidement.
Rien n‘est moins sûr. La paix qui règne est sans doute et malheureusement très provisoire si le politique ne fait pas son office.
Au nom d’un objectif juste - obtenir une réponse nationale à un problème qui n’est pas celui des départements - on a pris le risque d’ouvrir une phase d’incertitude qui ne se traduira pas nécessairement par une meilleure réponse apportée à des jeunes qui, a priori, sont des enfants et doivent être traités comme tels, en tous cas plus comme des enfants que comme des étrangers. Qui plus est des enfants qui ont été précipités en France par des circonstances économiques ou politiques délicates. Comment leur apporter des réponses de qualité, tenant compte de nos moyens et, tout simplement, qui ne nous mettent pas dans des contradictions insupportables comme c’est aujourd’hui le cas ?
Oui nous sommes instrumentalisés, mais n’est-ce pas le lot de nombreuses situations que nous devons vivre régulièrement lors que nous assumons des responsabilités politiques, associatives ou professionnelles. A nous de nous élever et d’avoir une réponse sereine et nationale conforme à nos valeurs communes, sans angélisme.
PS Dois-je préciser que ces jeunes avides d'apprendre et de travailler ne commettent aucun délit ?