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Au four et au Molins...

Justice au Singulier - philippe.bilger, 27/11/2015

Il est bon d'avoir à changer d'avis quand pour une fois l'impression du pire est effacée par le constat du meilleur.

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Il y a deux magistrats dont on parle beaucoup depuis le 13 novembre.

Marc Trévidic parce qu'il se morfond à Lille et qu'il voudrait revenir à Paris pour continuer à s'occuper des dossiers de terrorisme.

François Molins, le procureur de la République à Paris, dont les interventions et la maîtrise, dans le domaine de la lutte contre le terrorisme, sont remarquées et remarquables (Le Monde).

Il a fallu que je fasse au sujet de ce magistrat une révision déchirante qui n'est pas dans mes habitudes.

Procureur de la République à Bobigny, il était, paraît-il, adoré par son équipe mais j'avoue que les rares incursions qui m'avaient mené dans cette juridiction, pour y tenir le siège de ministère public à la cour d'assises, m'avaient laissé une impression forte de délabrement et de morosité et il était difficile d'induire, à partir de ce tableau, une pratique judiciaire exemplaire, exaltante.

Ensuite, il a été choisi comme directeur de cabinet par la garde des Sceaux Michèle Alliot-Marie. Il paraît que ses bonnes relations avec la police - notamment avec Frédéric Péchenard et Frédéric Veaux - n'ont pas été pour rien dans cette affectation qui a évidemment accéléré le développement de sa carrière.

Pourtant il a eu la malchance de devoir travailler avec le pire ministre de la Justice du quinquennat de Nicolas Sarkozy. Je lui en ai voulu à l'époque car je lui prêtais un rôle décisif pour la gestion de certains dossiers. En particulier le calamiteux et scandaleux traitement de l'affaire Woerth-Bettencourt avec ses multiples ramifications.

J'étais persuadé aussi, après avoir lu un ouvrage apparemment bien informé, qu'il avait inspiré à MAM l'appel délirant dans la procédure concernant Youssouf Fofana et autres à la suite, pourtant, d'un arrêt incontestable en premier ressort.

Par la suite, un autre livre a fait apparaître - ce qui en effet était plus plausible - que MAM terrorisée par l'ex-président de la République avait obtempéré sans broncher quand celui-ci lui avait donné l'ordre de faire relever appel sous l'influence néfaste du CRIF.

François Molins n'avait donc pas été impliqué dans cette choquante entreprise. Selon David Sénat, "il a eu l'extrême intelligence de ne pas se mêler des dossiers les plus délicats" et Michel Mercier, qui a succédé à MAM comme garde des Sceaux, ajoute "qu'il ne se laisse pas impressionner par la politique".

Quand il a quitté la direction du cabinet de MAM pour la même fonction auprès de Michel Mercier, j'ai d'abord été étonné car j'avais tendance à considérer que la médiocrité de la première avait forcément gangrené son directeur et que le second prenait des risques en le choisissant.

Mais Michel Mercier connaissait François Molins depuis trente ans, il l'appréciait et il avait obtenu gain de cause en permettant plus tard sa nomination comme procureur de la République à Paris, poste dans lequel Christiane Taubira a eu la sagesse et l'habileté de le maintenir. Le président Hayat et lui-même constituent un duo de haute volée.

Michel Mercier, dont les imbéciles se sont moqué, a tenté comme il a pu d'apaiser l'effervescence judiciaire et il a eu d'autant moins de mal à le faire qu'il avait une personnalité radicalement différente de Rachida Dati festive, caractérielle et parfois utile et de Michèle Alliot-Marie d'une roideur sans idées ni courage. Le temps des réformes était révolu et le couple Mercier-Molins n'avait qu'à attendre la fin du quinquennat en jetant sur une justice à feu et à sang des pelletées de sérénité.

Le hasard a voulu que nous soyons, lui par fonction, moi par la grâce de Christian Vigouroux, dans le Conseil d'administration du nouveau Palais de justice. J'ai pu ainsi l'écouter quand à bon escient il posait une question ou émettait un avis.

François Molins, procureur, a révélé, surtout dans les périodes de crise et de terrorisme, où la justice en première ligne aurait pu être mal perçue, des qualités d'animation, d'information et d'explication, assez exceptionnelles.

A mon sens il a révélé, lors de ses conférences devenues fameuses de 18h30, un double talent.

Une capacité à s'en tenir au factuel, à l'objectif et au certain sans s'abandonner à des interprétations fumeuses et en veillant, en dépit de la gravité des sujets qu'il abordait, à ne pas diffuser de l'angoisse au-delà de l'inquiétude inévitable que ses compte rendus ne pouvaient que susciter.

Une absence totale de vanité. Pas l'ombre d'une arrogance. Ce procureur n'est jamais en représentation, toujours en mission. Jamais il ne joue un rôle : celui du magistrat en charge d'affaires médiatiques et qui le sait trop. C'est ce partage formidablement opératoire et pédagogique entre ce qu'il a à accomplir et à dire en sa qualité de procureur et ce qui pourrait relever, poussé à l'extrême, d'un narcissisme agaçant que François Molins a su parfaitement maîtriser avec compétence, conscience et simplicité.

Il est bon d'avoir à changer d'avis quand pour une fois l'impression du pire est effacée par le constat du meilleur.


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