Fausse analyse : on n’en a pas fini avec la rétention administrative des enfants ! (479)
Droits des enfants - Jean-Pierre Rosenczveig, 8/07/2012
Comme François Hollande s’y était engagé durant la campagne, le ministre de l’intérieur a signé le 6 juillet une circulaire visant à restreindre le recours à la rétention administrative des familles - parents et enfants - trouvées en situation irrégulière en France.
Immédiatement la plupart des médias titre sur la fin la rétention des enfants étrangers en France.
Double erreur par excès de simplification.
D’abord s’agissant des enfants accompagnés de leurs parents, les mots ont un sens, le ministère de l’Intérieur n’interdit pas la rétention administrative qui se pratiquait jusqu’à peu à tour de bras, mais il tient à ce que cette pratique devienne exceptionnelle. L’assignation à résidence dans un hôtel ou un domicile privé devra être privilégiée. Il recommande même de privilégier les aides au retour, "avant même de prononcer l'assignation".
La rétention en centres de rétention administrative (CRA) sera spécialement réservée au cas où les parents déjà interpellés n’auraient pas respecté l’assignation à résidence ainsi qu’«en cas de fuite d’un ou plusieurs membres de la famille ou en cas de refus d’embarquement». Ainsi lorsque la famille «s’est volontairement soustraite à l’obligation de quitter le territoire français», elle sera, dès interpellation, mise en rétention.
Non seulement la rétention administrative, c’est-à-dire la privation de la liberté d’aller et venir pour des gens qui ne sont pas des délinquants, est contraire à nos valeurs, mais elle est inutile. L’immensité de ces familles refugiées en France n’a aucun intérêt à disparaitre. Elles visent au contraire à être régularisées en France. Elles resteront donc en relation avec l’administration française ; il y va même de leur intérêt.
La France «met fin à une situation injuste», indique-t-on au ministère de l’Intérieur. «L’idée, c’est que la lutte légitime contre l’immigration irrégulière doit être menée dans le respect des personnes, et surtout des enfants», précise un conseiller de Manuel Valls». Le ministre lui-même dans sa circulaire vise la Convention internationale sur les droits de l’enfant du 20 novembre 1989 en avançant que les pouvoirs publics prennent en compte « l’intérêt supérieur de l’enfant « (art-. 3). Il aurait pu ajouter que la même Convention ajoute que l’enfant ne doit pas privé arbitrairement de liberté.
Ayons par ailleurs en mémoire que cette pratique de la rétention administrative a valu à la France d’être condamnée le 19 janvier 2012 janvier par la Cour européenne des droits de l’homme. (Voir mon blog 448, La France condamnée sévère) pour « traitement inhumain et dégradant". Dominique Baudis, le Défenseur des droits, avait demandé au M. Valls d'émettre de nouvelles instructions.
Ajoutons que le champ d’application de ce texte est limité.
Explicitement cette nouvelle circulaire ne s’applique pas à Mayotte tenue pour le gouvernement comme une «situation territoriale d’exception », « un cas singulier et préoccupant ». Dans ce département d’outre-mer, qui a compté, en 2011, 21 762 expulsions, soit près de 14% de la population de l’île, selon la Cimade, la pratique de la rétention pour les familles perdurera. Selon l’observatoire de l’enfermement (OEE) qui regroupe une quinzaine d’associations, «pas moins de 5.389 enfants y ont été privés de liberté en 2011».
Il faut donc saluer, pour s’en réjouir comme il se doit, mais sans déformer, l’avancée notable que les nouvelles instructions gouvernementales. Il est inexact de titrer sur la fin de la rétention administrative des enfants étrangers étant rappelé qu’en France on appelle enfant la personne de moins de 18 ans.
On oublie en effet que chaque année nombre d’enfants qui arrivent isolés à nos frontières sont placés en zone d’attente sur décision préfectorale, puis si nécessaire par décision judiciaire après un passage au tribunal devant le Jugez de la liberté et de la détention.
Ils y seront retenus le temps de l’organisation de rechercher leur réacheminement vers le pays de départ. Si à l’issue du délai donné par le juge – 20 x 2 jours au maximum qui s’ajoutent aux 5 décidés par le préfet - ils ne sont pas partis – soit faute d’avoir accepté d’embarquer, soit par faute de visa pour rejoindre le pays de départ ou leur pays d’origine -, ils seront « libérés ». Ils seront alors dans la situation de mineurs donc de personnes non expulsables, mais sans titre de séjour.
En d’autres termes, la circulaire Valls ne vise que les enfants accompagnés de leurs parents. De ce point de vue elle ne dépasse pas l’engagement du candidat François Hollande (voir mon blog 460).
La vérité veut d’observer que la rétention administrative des enfants étrangers isolés n‘est pas une question facile à gérer.
Il va de soi que ce séjour dans les locaux administratifs des aéroports ou ports est difficile à vivre, surtout pour les enfants de plus de 13 ans qui ne bénéficient quasiment pas d’avantages. Ils demeurent jour et nuit avec des adultes, alors que les moins de 13 ans sont généralement dans une structure hôtelière réquisitionnée par le préfet.
Les faire sortir de zone d’attente pour les orienter vers des établissements d’accueil pour enfants peut être la meilleure ou la pire des choses.
La meilleure des choses si le jeune accepte cet accueil que souvent, avec sa famille, il recherchait. Nombre d’enfants sont en effet envoyés en Europe pour y suivre des études, se former et travailler et au final pour aider leur famille restée au pays ; d’autres sont envoyés à l’étranger pour fuir les persécutions politiques, religieuses ou communautaires. Tous ces enfants sont demandeurs de protection à quel que prix que ce soit.
Reste que d’autres jeunes arrivent ici sous la coupe de filières mafieuses qui s’apprêtent à les exploiter, soit dans la prostitution, soit dans des ateliers clandestins. Sitôt ouverte la porte de la zone de rétention, les filières qui tournent autour du tribunal, happent à nouveau leurs proies pour poursuivre la route à laquelle elles sont vouées, parfois sans le savoir. Ainsi force est d’observer qu’environ 40% des mineurs fuguent à la sortie de la zone d’attente.
Nous sommes alors devant un dilemme : priver un enfant de liberté certes pour le protéger du pire, mais dans un lieu qui souffre, qu’on le veuille ou pas, malgré les efforts des personnels, de nombreuses critiques au regard des standards humanitaires !
La circulaire Valls ne dit pas un mot sur ce problème qui est l’une des difficultés posées par le dossier des « Mineurs étrangers isolés » en France dont nous sommes de nombreux à affirmer depuis des années qu’il faut enfin le traiter (voir mes nombreux papiers sur le sujet) avec lucidité.
Bien évidemment se pose cette question de la privation de liberté à l’arrivée, mais aussi celle du refoulement qui peut se pratiquer à la passerelle sans même que l’enfant entre en zone d’attente quand, rappelons-le, l’expulsion d’un mineur étranger est illégale.
C’est aussi la question de la clarification et de l’articulation des responsabilités respectives de l’Etat et des collectivités locales avec à la clé le délicat problème du finalement des mesures (250 millions d’euros chaque année pour les 6000 mineurs environ pris en charge par les conseils généraux à la demande des tribunaux pour enfants ou des juges aux affaires familiales.
C’est encore le problème de la régularisation de ces jeunes sachant que tous ne pourront pas l’être, sauf à créer un « appel d’air » s’il était dit que tout enfant qui pose un orteil en France, donc en Europe, y sera régularisé, mais qui pour autant seront très peu nombreux à repartir dans leur pays même formés.
C’est enfin la question de la prise en charge au-delà de la majorité quand budgets sociaux en difficultés les conseils généraux se recroquevillent quand l’Etat et sa PJJ a déserté.
Saluons donc la circulaire Valls comme une bouffée d’oxygène par rapport à la période antérieure, avec l’espoir que le politique va enfin s’attacher à traiter simplement et rationnellement le problème des enfants étrangers présents en France « dans leur intérêt supérieur », sachant que pays y a aussi tout à gagner.
Un sujet difficile qu’il faut traiter d’urgence avec humanité et sans démagogie, sous le regard de la communauté internationale. Tous les éléments de reponse sont sur table si l’on veut bien être modeste et déjà rétablir la confiance entre l’Etat, les conseils généraux et les associations.