Travail dissimulé et caractérisation de l’élément intentionnel
K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Stéphane Bloch et Nathanaël Place, 2/07/2012
Par un arrêt du 23 mai 2012, n°10-20.638 , la Chambre sociale de la Cour de cassation souligne que, pour établir le caractère intentionnel du délit de travail dissimulé, les juges du fond doivent démontrer que l’employeur a « délibérément » agi dans le but de se soustraire aux obligations légales imposées par le code du travail. Cette décision s’inscrit dans la jurisprudence de la Chambre sociale relative à ce sujet, la Chambre criminelle persistant, quant à elle, à faire prévaloir l’absence réelle de qualification de l’élément « intentionnel » et l’existence d’une véritable présomption de culpabilité de l’employeur.
Pour mémoire, selon l’article L.8221-3 du code du travail, « est réputé travail dissimulé par dissimulation d'activité, l'exercice à but lucratif d'une activité de production, de transformation, de réparation ou de prestation de services ou l'accomplissement d'actes de commerce par toute personne qui se soustrait intentionnellement à l’une des obligations suivantes :
- immatriculation au répertoire des métiers ou au registre du commerce et des sociétés (ou poursuite d’une activité après refus d'immatriculation ou après une radiation) ;
- déclarations légales aux organismes de protection sociale et à l'Administration fiscale ».
Par ailleurs, en application de l’article L.8221-5 du code du travail, se rend coupable de dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur, intentionnellement, de :
- ne pas effectuer les formalités de déclaration préalable à l’embauche ;
- ne pas délivrer ou de délivrer un bulletin de paie irrégulier;
- ne pas effectuer la déclaration des salaires et des cotisations.
En substance, ces incriminations ont traditionnellement pour objet de réprimer ce que l’on a coutume d’appeler le « travail clandestin » ou le « travail au noir » mais peuvent aussi trouver matière à s’appliquer dans des domaines moins manifestement « délictueux », laissant une marge d’appréciation plus importante à la caractérisation de l’infraction, comme dans l’espèce ayant donné lieu à l’arrêt du 23 mai 2012.
- immatriculation au répertoire des métiers ou au registre du commerce et des sociétés (ou poursuite d’une activité après refus d'immatriculation ou après une radiation) ;
- déclarations légales aux organismes de protection sociale et à l'Administration fiscale ».
Par ailleurs, en application de l’article L.8221-5 du code du travail, se rend coupable de dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur, intentionnellement, de :
- ne pas effectuer les formalités de déclaration préalable à l’embauche ;
- ne pas délivrer ou de délivrer un bulletin de paie irrégulier;
- ne pas effectuer la déclaration des salaires et des cotisations.
En substance, ces incriminations ont traditionnellement pour objet de réprimer ce que l’on a coutume d’appeler le « travail clandestin » ou le « travail au noir » mais peuvent aussi trouver matière à s’appliquer dans des domaines moins manifestement « délictueux », laissant une marge d’appréciation plus importante à la caractérisation de l’infraction, comme dans l’espèce ayant donné lieu à l’arrêt du 23 mai 2012.
En l’espèce, un salarié responsable d’agence a saisi le Conseil de prud’hommes d’une demande de dommage intérêts pour travail dissimulé en reprochant à son employeur d’avoir mentionné sur ses bulletins de paie un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement effectué.
Il faut savoir que le travail dissimulé est certes un délit pénal susceptible de conduire un employeur devant le Tribunal correctionnel, dont les peines encourues sont notamment : un emprisonnement maximum de trois ans et une amende pouvant aller jusqu’à 45 000 euros pour une personne physique et 225 000 euros pour une société, mais aussi des peines complémentaires comme la fermeture de l’établissement ou encore l’interdiction temporaire ou définitive d’exercer. Mais c’est aussi un manquement aux règles du code du travail qui peut servir de fondement à une action en dommages-intérêts devant le juge naturel du contrat de travail qu’est le conseil de prud’hommes.
C’est, en l’occurrence, la voie choisie par ce responsable d’agence qui a vu néanmoins sa demande de condamnation écarter par les juges du fond aux motifs « qu’au regard des conventions conclues entre la société AVS Concept et Monsieur X. concernant un calcul théorique d’heures de travail en fonction du volume de la marge bénéficiaire générée par l’activité du salarié sans prise en compte des heures de travail effectivement accomplies par l’intéressé bénéficiant d’une large autonomie d’organisation, il faut considérer que la société AVIS Concept n’a pas délibérément dissimulé une partie du temps de travail réalisé par le salarié ».
En d’autres termes, l’élément matériel du travail dissimulé était certes présent (bulletin de paie irrégulier) ; en revanche, il n’était pas établi, selon les juges du fond, que ce manquement était « délibéré », que l’employeur avait sciemment choisi de violer la loi.
La Chambre sociale de la Cour de cassation approuve ce raisonnement en soulignant que « si le contrat de travail du salarié prétendument à temps partiel avait été conclu irrégulièrement et justifiait à ce titre une requalification en contrat de travail à temps plein, il n’était pas pour autant établi que l’employeur avait délibérément dissimulé une partie du temps de travail du salarié ».
En cette matière, la Chambre criminelle et la Chambre sociale n’ont pas la même exigence quant à la détermination de l’élément intentionnel de l’infraction.
La jurisprudence de la Chambre criminelle se borne à exiger « la constatation de la violation, en connaissance de cause, des prescriptions législatives ou réglementaires ».
La formule « violation en connaissance de cause » semble être apparue dans la jurisprudence au cours des années 2000 postérieurement à plusieurs arrêts dont la formulation a paru hésitante sur la qualification de l'élément intentionnel.
Il faut savoir que le travail dissimulé est certes un délit pénal susceptible de conduire un employeur devant le Tribunal correctionnel, dont les peines encourues sont notamment : un emprisonnement maximum de trois ans et une amende pouvant aller jusqu’à 45 000 euros pour une personne physique et 225 000 euros pour une société, mais aussi des peines complémentaires comme la fermeture de l’établissement ou encore l’interdiction temporaire ou définitive d’exercer. Mais c’est aussi un manquement aux règles du code du travail qui peut servir de fondement à une action en dommages-intérêts devant le juge naturel du contrat de travail qu’est le conseil de prud’hommes.
C’est, en l’occurrence, la voie choisie par ce responsable d’agence qui a vu néanmoins sa demande de condamnation écarter par les juges du fond aux motifs « qu’au regard des conventions conclues entre la société AVS Concept et Monsieur X. concernant un calcul théorique d’heures de travail en fonction du volume de la marge bénéficiaire générée par l’activité du salarié sans prise en compte des heures de travail effectivement accomplies par l’intéressé bénéficiant d’une large autonomie d’organisation, il faut considérer que la société AVIS Concept n’a pas délibérément dissimulé une partie du temps de travail réalisé par le salarié ».
En d’autres termes, l’élément matériel du travail dissimulé était certes présent (bulletin de paie irrégulier) ; en revanche, il n’était pas établi, selon les juges du fond, que ce manquement était « délibéré », que l’employeur avait sciemment choisi de violer la loi.
La Chambre sociale de la Cour de cassation approuve ce raisonnement en soulignant que « si le contrat de travail du salarié prétendument à temps partiel avait été conclu irrégulièrement et justifiait à ce titre une requalification en contrat de travail à temps plein, il n’était pas pour autant établi que l’employeur avait délibérément dissimulé une partie du temps de travail du salarié ».
En cette matière, la Chambre criminelle et la Chambre sociale n’ont pas la même exigence quant à la détermination de l’élément intentionnel de l’infraction.
La jurisprudence de la Chambre criminelle se borne à exiger « la constatation de la violation, en connaissance de cause, des prescriptions législatives ou réglementaires ».
La formule « violation en connaissance de cause » semble être apparue dans la jurisprudence au cours des années 2000 postérieurement à plusieurs arrêts dont la formulation a paru hésitante sur la qualification de l'élément intentionnel.
Ainsi, un arrêt de la Chambre criminelle du 26 septembre 2000 a confirmé un arrêt de condamnation qui constatait que l’employeur : "de par ses fonctions, ne pouvait ignorer les prescriptions légales ou réglementaires en matière de droit du travail…" et juge "que pour déclarer Pascal Y… (…) coupable de travail dissimulé, la cour d'appel retient par motifs propres et adoptés que le prévenu n'ignorait pas que de nombreux salariés de la société précitée n'avaient pas fait l'objet de déclaration préalable à l'embauche ; qu'en se prononçant ainsi, les juges ont caractérisé à l'encontre du prévenu le délit de travail dissimulé prévu par l'article L 324-10 du code du travail".
De même, par un arrêt du 9 mai 2001 (n° 99-86.365, non publié au Bulletin), la Chambre criminelle jugeait : "en déduisant des éléments de fait contradictoirement débattus, que l'activité de Virginie X… s'analysait en une période de travail, accomplie dans le cadre d'une relation salariée et qu'elle impliquait le respect des formalités prescrites par l'article L 324-10, 2 et 3 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable, la Cour d'appel qui a relevé qu'Yves Y…, compte tenu de sa formation, ne pouvait ignorer ses obligations légales, a caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel le délit reproché" .
Cette jurisprudence , maintenant constante, est contestée par la doctrine qui fait valoir l’absence réelle de qualification de l’élément « intentionnel » et l’existence d’une véritable présomption de culpabilité pesant sur l’employeur qui ne pouvait ignorer ses obligations légales.
La Chambre sociale, se montre pour sa part plus stricte quant à la caractérisation de l’élément intentionnel.
Elle rappelle ainsi très régulièrement que l'élément intentionnel ne peut pas se déduire de la simple constatation de l'élément matériel (« considérant que le caractère intentionnel ne peut se déduire de la seule absence de mention des heures supplémentaires sur les bulletins de paie ») ou même du recours à un contrat inapproprié .
La jurisprudence de la Chambre sociale fait ainsi une distinction entre la simple erreur de gestion et l'omission des déclarations en vue d'éluder les obligations sociales .
De même, par un arrêt du 9 mai 2001 (n° 99-86.365, non publié au Bulletin), la Chambre criminelle jugeait : "en déduisant des éléments de fait contradictoirement débattus, que l'activité de Virginie X… s'analysait en une période de travail, accomplie dans le cadre d'une relation salariée et qu'elle impliquait le respect des formalités prescrites par l'article L 324-10, 2 et 3 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable, la Cour d'appel qui a relevé qu'Yves Y…, compte tenu de sa formation, ne pouvait ignorer ses obligations légales, a caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel le délit reproché" .
Cette jurisprudence , maintenant constante, est contestée par la doctrine qui fait valoir l’absence réelle de qualification de l’élément « intentionnel » et l’existence d’une véritable présomption de culpabilité pesant sur l’employeur qui ne pouvait ignorer ses obligations légales.
La Chambre sociale, se montre pour sa part plus stricte quant à la caractérisation de l’élément intentionnel.
Elle rappelle ainsi très régulièrement que l'élément intentionnel ne peut pas se déduire de la simple constatation de l'élément matériel (« considérant que le caractère intentionnel ne peut se déduire de la seule absence de mention des heures supplémentaires sur les bulletins de paie ») ou même du recours à un contrat inapproprié .
La jurisprudence de la Chambre sociale fait ainsi une distinction entre la simple erreur de gestion et l'omission des déclarations en vue d'éluder les obligations sociales .
L’on a pu se demander, en début d’année, si à l’occasion d’un arrêt du 28 février 2012, n°10-27.839, la Chambre sociale n’amorçait pas un revirement de jurisprudence afin de s’aligner sur la Chambre criminelle.
En effet, dans cette espèce, la Cour d’appel de Lyon a condamné un employeur au paiement d’une indemnité pour travail dissimulé en relevant que les heures travaillées par un cadre au-delà de la durée légale du travail n’étaient pas mentionnées sur ses fiches de paie.
Dans son pourvoi, l’employeur faisait grief aux juges du fond « de ne pas avoir recherché, comme il l’y avait pourtant invité, si compte tenu de l’autonomie de Monsieur X. dans l’organisation de son temps de travail, il n’avait pu ignorer le dépassement de la durée légale du travail par le salarié, ce qui excluait nécessairement une volonté de dissimulation de sa part ».
La Chambre sociale a écarté ce moyen et rejetait le pourvoi en soulignant que « …la Cour d’appel, qui a constaté que l’employeur avait appliqué au salarié le système du forfait en jours sans qu’ait été conclue une convention de forfait en jours et relevé que ce cadre travaillait régulièrement plus de dix heures par jour, a fait ressortir le caractère intentionnel de l’absence de la mention, sur les bulletins de salaire, de toutes les heures accomplies au delà de la durée légale ».
Fait ici défaut, alors que la Chambre sociale y est traditionnellement attachée, la référence à la circonstance que l’employeur doit avoir délibérément agi dans le but d’échapper aux obligations prévues par le code du travail en matière d’établissement des bulletins de salaire.
Peut-être la Chambre sociale a-t-elle considéré ici que l’intention d’éluder la loi en matière de temps de travail était évidente et que le caractère délibéré de la fraude s’inférait de la simplicité du contexte : absence pure et simple de convention de forfait et travail régulier du cadre bien au-delà de la durée légale du travail.
Quoi qu’il en soit, dans son arrêt du 23 mai 2012, la Chambre sociale réaffirme avec force la nécessité de la démonstration d’une violation délibérée de la loi, creusant un peu plus le fossé qui la sépare de la Chambre criminelle.
En réduisant l’élément intentionnel des délits incriminés par les dispositions des articles L.8221-3 et L.8221-5 du code du travail à la seule constatation de « la violation en connaissance de cause des prescriptions en la matière », les dispositions en cause portent à notre sens, par leur imprécision, une atteinte excessive au principe de légalité des crimes et délits, d’une part, et à la liberté d’entreprendre, d’autre part.
Cette question pourrait bientôt être évoquée dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité.
A suivre….
En effet, dans cette espèce, la Cour d’appel de Lyon a condamné un employeur au paiement d’une indemnité pour travail dissimulé en relevant que les heures travaillées par un cadre au-delà de la durée légale du travail n’étaient pas mentionnées sur ses fiches de paie.
Dans son pourvoi, l’employeur faisait grief aux juges du fond « de ne pas avoir recherché, comme il l’y avait pourtant invité, si compte tenu de l’autonomie de Monsieur X. dans l’organisation de son temps de travail, il n’avait pu ignorer le dépassement de la durée légale du travail par le salarié, ce qui excluait nécessairement une volonté de dissimulation de sa part ».
La Chambre sociale a écarté ce moyen et rejetait le pourvoi en soulignant que « …la Cour d’appel, qui a constaté que l’employeur avait appliqué au salarié le système du forfait en jours sans qu’ait été conclue une convention de forfait en jours et relevé que ce cadre travaillait régulièrement plus de dix heures par jour, a fait ressortir le caractère intentionnel de l’absence de la mention, sur les bulletins de salaire, de toutes les heures accomplies au delà de la durée légale ».
Fait ici défaut, alors que la Chambre sociale y est traditionnellement attachée, la référence à la circonstance que l’employeur doit avoir délibérément agi dans le but d’échapper aux obligations prévues par le code du travail en matière d’établissement des bulletins de salaire.
Peut-être la Chambre sociale a-t-elle considéré ici que l’intention d’éluder la loi en matière de temps de travail était évidente et que le caractère délibéré de la fraude s’inférait de la simplicité du contexte : absence pure et simple de convention de forfait et travail régulier du cadre bien au-delà de la durée légale du travail.
Quoi qu’il en soit, dans son arrêt du 23 mai 2012, la Chambre sociale réaffirme avec force la nécessité de la démonstration d’une violation délibérée de la loi, creusant un peu plus le fossé qui la sépare de la Chambre criminelle.
En réduisant l’élément intentionnel des délits incriminés par les dispositions des articles L.8221-3 et L.8221-5 du code du travail à la seule constatation de « la violation en connaissance de cause des prescriptions en la matière », les dispositions en cause portent à notre sens, par leur imprécision, une atteinte excessive au principe de légalité des crimes et délits, d’une part, et à la liberté d’entreprendre, d’autre part.
Cette question pourrait bientôt être évoquée dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité.
A suivre….