Un président qui contraint à la nuance citoyenne !
Justice au Singulier - philippe.bilger, 29/09/2020
Rien ne m'énerve plus que d'être questionné ainsi : alors tu es pour ou contre Emmanuel Macron ?
Parce qu'il me faut alors répéter que je déteste les inconditionnalités en bloc ou les détestations sans rémission mais que je préfère m'accorder le droit d'appréhender le parcours de notre président comme je l'entends, ses paroles et ses actes comme j'en ai envie.
J'aurais vraiment l'impression d'être un obtus si je m'abandonnais à la facilité d'une totale négativité alors qu'Emmanuel Macron est justement agaçant parce qu'il ne la permet pas si on est de bonne foi. Je sais aussi que notre société est devenue tellement malade que pour beaucoup, avant même d'examiner, il convient de déclarer son hostilité et de ne jamais en changer.
Alors que le président nous conduit à varier notre regard, à fluctuer dans nos appréciations et à instiller de l'approbation dans la critique de la veille. Cette obligation qu'il nous impose et qui devrait représenter la base de la courtoisie républicaine - celle qu'on lui doit, celle qu'on se doit - n'est pas incompatible avec le choix qu'on a peut-être déjà programmé pour 2022 mais elle l'entoure d'un halo, d'un climat qui interdit au citoyen d'être bêtement péremptoire, aux opposants d'être unilatéraux et à la France d'être humiliée.
Récemment j'ai ressenti cette distorsion entre ma dénonciation de la faiblesse régalienne du président, un manque essentiel, et mon envie de le défendre sur un point certes mineur mais qui à mon sens l'accable injustement.
En effet j'ai parfaitement compris, contrairement au fin Arnaud Benedetti (Valeurs actuelles), qu'Emmanuel Macron ne se soit pas exprimé après l'attentat islamiste du 25 septembre. Il ne m'a pas semblé mériter le reproche d'être sur ce plan "à contre-temps, tout le temps" alors qu'en d'autres circonstances, notamment pour son appréhension des Gilets jaunes, on pouvait lui imputer ce grief.
Par ailleurs, l'émotion politique et médiatique a été légitimement à son comble après la commission de ces crimes et une surenchère présidentielle - il n'a pas à commenter mais à agir, encore une pierre dans le jardin déjà empli de François Hollande ? - aurait été inutile. Surtout, le 2 octobre, Emmanuel Macron présentera enfin ses grandes orientations contre le séparatisme et nul doute que la malfaisance de ce faux mineur y aura une petite place.
On pourrait considérer que, pour une approbation aussi minime, je devrais m'abstenir et ne pas tenter de favoriser, malgré tout, une équité. Mais c'est mon tempérament et, sans présomption, on ne se refait pas !
Peut-être y a-t-il même davantage dans cette démarche qui ne me quitte jamais au point de me faire qualifier par les adeptes du systématisme d'incertain, de mou, d'opportuniste. Alors qu'il me semble que c'est l'inverse. Sans doute suis-je plus épris de ma propre mobilité qu'obsédé par la volonté de démontrer à toute force que je serais capable de m'enkyster à vie, contre toutes les évidences contraires, dans une position rigide.
Ce mouvement qui m'anime m'est d'autant plus précieux que tout, aujourd'hui, prédispose, sur le plan politique, à récuser le sommaire d'affirmations expéditives.
Les candidats pour 2022 se multiplient - Rachida Dati vient de déclarer qu'elle est partante, et pour gagner ! - et à gauche les ambitions, à la recherche de l'oiseau rare qui la réunirait tout entière, ne se dissimulent pas, bien au-delà de Yannick Jadot et de Jean-Luc Mélenchon.
Qui peut être suffisamment assuré de ses certitudes pour ne pas avoir l'honnêteté de reconnaître que le Macron de la politique internationale n'est pas le même que celui qui laisse l'identité française en déshérence et sous-traite à d'autres ce qui pourtant relève de sa responsabilité fondamentale ? Le premier est respectable quand le second ne cesse pas de décevoir. Faut-il pourtant occulter la lumière contre l'ombre ?
Cette inaptitude à un fixisme qui me paraîtrait plutôt faire douter de l'intelligence que la démontrer ne concerne d'ailleurs pas que le présent mais incite à réviser le passé par comparaison. Si j'avais à écrire aujourd'hui un livre sur le bilan présidentiel de Nicolas Sarkozy, je m'attacherais moins à ses vulgarités choquantes et à son emprise politique sur le judiciaire "sensible" qu'à l'élan et à l'énergie d'un quinquennat globalement sans médiocrité.
Que notre président de la République nous incite à une nuance citoyenne est, dans tous les cas, même si la France, pour l'instant, en est aux antipodes, une chance. Introduire dans notre monde démocratique le contraire de ce que le quotidien nous offre, d'un Bigard infiniment grossier à un Mélenchon dont les masques successifs troublent et égarent, n'est pas négligeable.
Dans l'isoloir, le citoyen oubliera la nuance et tranchera.