Actions sur le document

Les Gilets jaunes c'est nous : une mascarade !

Justice au Singulier - philippe.bilger, 6/05/2019

Si j'étais président, contre une telle tribune, je nouerais un dialogue avec les Gilets jaunes. Je suis sûr que certains en ont assez de ce pavé arpenté chaque semaine. Dialoguer, en plus de ce qui s'élabore dans les ministères, ne serait-ce pas l'arme ultime pour quitter le territoire du mépris et de la haine et rejoindre ce que le président semble enfin avoir compris, un pays en attente de considération et d'écoute ? La France d'après les Gilets jaunes.

Lire l'article...

Le samedi 4 mai, 1 400 représentants du monde de la culture, comédiens, écrivains, dessinateurs, réalisateurs, musiciens, ont publié une tribune de soutien aux Gilets jaunes (Libération).

Faut-il se moquer de ces ouvriers de la 25e heure, de ces défenseurs tardifs d'une cause juste dans son principe il y a presque six mois mais insensiblement dévoyée, de ces citoyens peu ou prou privilégiés venant nous offrir leurs lumières et aussi leurs banalités sur ce "mouvement sans précédent" et sur cette demande de "justice sociale et fiscale", sur ces contempteurs d'une police qu'ils n'ont jamais aimée ni défendue et évidemment "responsable d'une répression qui s'aggrave" ?

Les a-t-on jamais vus auparavant, en dehors d'opérations ponctuelles médiatico- compassionnelles, se pencher sur la France périphérique, celle des oubliés ? Pour certains ils ont écrit sur elle, c'est tout. Mais qui, parmi ces 1 400 si opportunément scandalisés, a accompli vraiment quelque chose de concret et de bienfaisant pour tous ces citoyens avant qu'ils deviennent des Gilets jaunes ? Ils ont la générosité rétrospective et la révolte différée.

Convient-il d'en rire ou d'en pleurer ?

Ce n'est pas parce que Bernard-Henri Lévy (BHL) a mis entre parenthèses son intelligence et sa sensibilité en ce qui concerne ses appréciations sur les Gilets jaunes que nous sommes obligés d'applaudir le délire pontifiant de ces représentants du monde de la culture, comme si nous les avions attendus pour savoir quoi penser. Ce n'est pas parce que BHL s'obstine à n'appréhender les Gilets jaunes que sur le mode de la violence, du racisme et de l'antisémitisme, occultant l'essentiel qu'on l'approuve ou non, que le clan adverse mérite d'être félicité pour une initiative plus ridicule qu'utile.

La dénonciation de la répression n'est que trop fréquente de la part de ces personnages pour indigner, si elle n'avait pas été énoncée, elle nous aurait manqué ! L'incompréhension de ce que subissent les forces de l'ordre harcelées et épuisées depuis tant de samedis est proprement obscène, de même que l'indifférence à l'égard de leurs blessés. Lamentable aussi, la relégation de l'ensemble des dégradations, désordres et préjudices commerciaux, conséquences de ce que nos pétitionnaires ne peuvent tout de même pas imputer à la police.

Cette tribune survient comme un cheveu superfétatoire aujourd'hui sur la soupe démocratique.

A supposer nécessaire une telle démarche, on aurait pu la concevoir sinon à l'origine, du moins quand le gouvernement semblait faire la sourde oreille à cette fronde unique en son genre et qui portait en elle, en effet, une multitude de problématiques et de pistes de réflexion sociales, politiques et démocratiques, du pouvoir d'achat au RIC, voire, honteusement, à l'exigence de la démission ou de la destitution du président de la République.

XVM1a1d878e-6e77-11e9-91e1-c96190258bb7

Quel intérêt peut avoir aujourd'hui cet appel, récapitulant certaines des exigences des Gilets jaunes, semblant oublier le Grand débat national et ses suites pas si dérisoires, feignant de tenir pour rien les avancées mises en oeuvre par le gouvernement ? Quelle justification accorder à cette tribune qui, émanant de personnalités en surplomb, jette de l'huile sur le feu au lieu d'apaiser ou de suggérer un dialogue ?

Celui-ci n'est pas rendu vain par le fait que les ministres travaillent pour concrétiser les engagements pris par le président de la République dont la haine qu'il suscite - au lieu de l'affrontement démocratique avec sa vigueur et ses limites - devrait interpeller tous ces signataires.

Il aurait été beaucoup plus décisif de leur part de rappeler, s'ils y tenaient, la validité initiale de la cause des Gilets jaunes mais aussi, dans un second temps, les exigences de la démocratie qui sont contradictoires avec le "tout ou rien" : alternative qui paraît encore enkystée dans la tête d'un certain nombre de Gilets jaunes. Ils auraient dû transmettre qu'il y a des compromis, des accommodements et qu'accepter de discuter, de gagner mais aussi de perdre, est la base d'une vie collective digne de ce nom.

Non seulement ils sont arrivés trop tard mais ils n'ont pas dit ce qu'il aurait fallu.
A la fois comprendre les Gilets jaunes mais leur conseiller une halte qui n'aurait pas été la victoire d'Emmanuel Macron mais celle d'une République enfin de retour dans ses fondamentaux : on se bat mais au figuré.

L'indécence absolue c'est : Les gilets jaunes c'est nous. Cette solidarité confortable, cette connivence démagogique, cette tentative honteuse de s'affirmer comme du même monde courageux, modeste et difficile que celui des Gilets jaunes, cette appropriation grotesque, cette confusion déshonorante pour les Gilets jaunes authentiques, c'est en effet le pire.

Si j'étais président, contre une telle tribune, je nouerais un dialogue avec les Gilets jaunes. Je suis sûr que certains en ont assez de ce pavé arpenté chaque semaine. Dialoguer, en plus de ce qui s'élabore dans les ministères, ne serait-ce pas l'arme ultime pour quitter le territoire du mépris et de la haine et rejoindre ce que le président semble enfin avoir compris, un pays en attente de considération et d'écoute ?

La France d'après les Gilets jaunes.


Retrouvez l'article original ici...

Vous pouvez aussi voir...