Mediapart a-t-il raison ?
Justice au singulier - philippe.bilger, 20/02/2012
Je n'aime pas être en désaccord quand des liens m'unissent à ce que pour le moins je discute. Il n'est jamais évident de faire comprendre que l'estime intellectuelle, voire professionnelle, l'amitié même ne sont pas incompatibles avec le désir de vérité et l'exigence de rigueur. Ce préambule pour signifier que je vais consacrer ce billet pour l'essentiel à Mediapart et accessoirement à Audrey Pulvar, la compagne d'Arnaud Montebourg que j'apprécie beaucoup, aussi bien l'avocat qu'il a été que le brillant politicien controversé qu'il est depuis des années.
Mediapart récemment a publié des entretiens avec les candidats à la présidence de la République. Avec presque tous, puisque Marine Le Pen en a été exclue avec une argumentation biaisée qui ne m'a pas convaincu. Mediapart, je l'ai déjà écrit, a accompli et accomplit un formidable travail d'enquête et d'information. Sur le plan judiciaire, il est irremplaçable et on ne compte plus les avancées vers la vérité qu'il a permises, notamment grâce aux investigations jamais lassées de Laurent Mauduit sur l'affaire Tapie-Lagarde.
Je n'en suis que plus à l'aise pour mettre cette dérangeante contradiction à jour. Refuser l'accès de Marine Le Pen à Mediapart par idéologie, alors qu'on affirme jouer, sur ce registre et pour tous ses adversaires, une mission salubre et bienfaisante pour la démocratie relève de l'équilibrisme et, si j'osais, de la mauvaise foi. Il est paradoxal d'invoquer sans cesse, et à juste titre, le pluralisme de l'information pour en fuir les contraintes quand celles-ci vous imposent de traiter à armes égales un adversaire politique pourtant, que je sache, admis dans l'espace républicain. Devant cette inéquité que la dialectique souvent brillante et évidemment progressiste de Mediapart a, pour beaucoup, occultée, j'ai pour la première fois publié sur ce site un commentaire pour protester contre cette démarche pétrie de trop de bonne conscience. Pour être sincère, dans le flot d'interventions j'étais très minoritaire.
Cependant, je persiste et continue d'affirmer qu'il y a un insupportable hiatus entre le pluralisme de l'information sans cesse invoqué, la liberté d'expression célébrée sans relâche d'un côté et ce qu'il faut bien appeler le sectarisme de l'opinion et de l'exclusion de l'autre. Penser contre soi est le minimum civique et professionnel qu'on puisse attendre d'un journaliste. Il y a quelque chose d'infiniment choquant dans ces protestations de vertu démocratiques et dans leur mise en parenthèses à l'égard d'une seule. Que l'idéologie évidemment partisane puisse venir rompre, selon le bon plaisir militant, le cercle enchanté de l'information est proprement scandaleux.
Pour me faire mieux comprendre, prenons l'exemple de ONPC de Laurent Ruquier (France 2). La dernière invitée était Marine Le Pen et on sait qu'elle n'a été accueillie qu'à cause des règles de la campagne présidentielle. Elle est demeurée fidèle à elle-même, Natacha Polony a eu un comportement convenable qui a suffi d'ailleurs pour mettre en difficulté la candidate du FN sur l'éducation. Laurent Ruquier a été correct. La seule qui a tranché dans le mauvais sens est Audrey Pulvar qui a manifesté, par ses mimiques entendues (comme si elle en savait long et qu'elle ne pouvait pas tout dire !) à chacune de ses questions, ce qu'elle pensait de Marine Le Pen mais qui surtout lors de sa dernière intervention l'a réduite à une diatribe contre Nicolas Sarkozy et la politique du gouvernement. Elle n'était clairement plus journaliste, à cet instant, mais la compagne engagée d'Arnaud Montebourg. Déviation, détournement, information dégradée en dénonciation, inéquité : autant de dysfonctionnements qui ne peuvent qu'alerter un citoyen de bonne foi.
Il n'y a pas de différences profondes, pour ces attitudes, entre celle de Mediapart et celle plus personnelle d'Audrey Pulvar. Qu'on exclue ou qu'on accuse, c'est la même transgression d'un devoir capital : informer sans partialité et quoi qu'il en coûte. Sinon, qu'on ne pense pas sous le beau pavillon de la liberté pour dériver avec l'étiquette du militantisme. Le militantisme, il y a des partis pour cela !
A la suite de cette rebuffade de Mediapart et par mesure de rétorsion, le Front national a décidé d'interdire à certains de ses journalistes l'accès à une convention qu'il tenait. Edwy Plenel qui est la parfaite illustration de la schizophrénie de Mediapart - éperdu de République et de liberté pour sa part de lumière et tenté par les voluptés de l'étouffement ciblé pour sa part d'ombre ! - a refusé l'assimilation, en effet contestable, entre le refus de Mediapart et celui du FN. Il n'empêche que le droit d'informer, d'avoir toute licence et toute latitude pour investiguer a évidemment un rapport avec le droit correspondant de communiquer et avec celui d'être informé. Un parti qui est écarté du débat médiatique par un décret d'autorité - le fait du prince Mediapart ! - doit-il obligatoirement se féliciter du cadeau républicain d'un reportage et d'une enquête sur lui quand à vie il sera mis en quarantaine, malgré l'égalité souhaitable des armes et des débats, par ce média ? Mediapart aurait le droit d'être sadique et sa victime le devoir d'être masochiste ?
On pourrait concevoir que, dans ces conditions, Mediapart s'interrogeât, à cause des conséquences néfastes de sa démarche, sur la validité de celle-ci. Je ne suis pas sûr qu'on aille dans ce sens.
Pour résumer ma pensée, à l'égard de ce que la République n'a pas interdit, je ne sais pas ce qu'est la liberté d'expression sauf ! Le pluralisme de l'information sauf !