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Marché global ou allotissement

K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - , 20/01/2015

Le juge administratif apprécie concrètement le bien-fondé du choix du marché global et la réalité des motifs techniques et économiques justifiant la dérogation à la règle de l’allotissement sous l’empire de l’article 10 du code des marchés publics
Référence : TA de Châlons-en-Champagne, ordonnance du 16 octobre 2014, SAS Domiserve, n° 1401944

Par une ordonnance du 16 octobre 2014, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a censuré le conseil général de la Marne qui avait opté pour une acquisition globale, à la fois, des prestations d’émission et de distribution de chèques « emploi-service » préfinancés (CESU) et de chèques d’accompagnement personnalisé (CAP). Les opérateurs habilités à gérer les CAP sont autorisés à gérer également les CESU. Différemment, la gestion des CESU ne permet pas d’intervenir pour les CAP. Tout opérateur du secteur des CESU était contraint d’intervenir en cotraitance avec l’un des acteurs des CAP, qui n’avaient aucun intérêt à une telle coopération compte tenu de leur capacité sur les deux segments différents.

La procédure de passation a été annulée en référé précontractuel au motif que les prestations du marché global auraient dû faire l’objet d’un allotissement.

Il est jugé que le conseil général n'établit pas que des motifs techniques et/ou économiques justifiaient qu’il soit dérogé au principe de l’allotissement des marchés posé par l’article 10 du code des marchés publics qui dispose notamment, après avoir posé le principe de l’allotissement (les soulignements sont ajoutés) : « Le pouvoir adjudicateur peut toutefois passer un marché global, avec ou sans identification de prestations distinctes, s'il estime que la dévolution en lots séparés est de nature, dans le cas particulier, à restreindre la concurrence, ou qu'elle risque de rendre techniquement difficile ou financièrement coûteuse l'exécution des prestations ou encore qu'il n'est pas en mesure d'assurer par lui-même les missions d'organisation, de pilotage et de coordination. (…) ».

De façon classique, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne recherche si le marché est composé de prestations distinctes qui auraient conduit à l’obligation d’allotir et constate que les prestations CESU et CAP diffèrent par leur nature, leurs bénéficiaires et leur mode de paiement.

Puis, la juridiction détermine si, en dépit de ces différences qui les rendent distinguables, le recours au marché global est justifié. L’allotissement restreindra-t-il la concurrence ? Rendra-t-il l'exécution du marché techniquement difficile ou financièrement coûteuse ? Imposera-t-il des tâches de conduite de l’exécution contractuelle que l’acheteur public n’est pas à même de remplir ?

Ici, l’allotissement pouvait être vu comme rendant la concurrence plus intensive en l’ouvrant aux émetteurs de CESU, privés de la capacité d’émettre des CAP, sans la restreindre aux seuls émetteurs de CAP aptes à intervenir sur les deux produits. Pour pouvoir véritablement se prononcer sur cet aspect, il aurait fallu, sans doute, s’interroger sur les causes et les finalités des régimes différents d’habilitations des opérateurs.

La défense de l’acheteur public fondée sur le surcoût qui serait généré par l’allotissement, est écartée. Sur l’argument des coûts internes de fonctionnement supplémentaires générés par l’existence de lots distincts, l’ordonnance considère que : « les coûts allégués concernent exclusivement des frais de personnels pour des réunions supplémentaires alors que la collectivité n’en justifie pas la réelle augmentation du seul fait de la présence de deux interlocuteurs au lieu d’un pour des prestations qui sont, en toutes circonstances, de natures différentes » et que : « le conseil général de la Marne ne justifie pas que le surcoût en cause, à le supposer établi, ne serait pas amorti sur la durée réelle des marchés qui sont renouvelables d’année en année ni que l’expérience de ses interlocuteurs n’amènerait pas une réduction progressive du temps qui leur sera consacré par ses propres services ». Ce faisant l’ordonnance entre dans le détail de l’organisation de la collectivité, sans s’attarder aux termes des dispositions de l’article 10 du code des marchés publics. Celles-ci renvoient à l’appréciation propre portée par le pouvoir adjudicateur appelé à « estimer » un bilan coût/avantage.

Faut-il penser que cette motivation procède d’un contrôle juridictionnel d’autant plus poussé (prenant en compte l’expérience à venir qui devrait être acquise par les services de l’acheteur public ou i[« la multiplication (…) des échanges dématérialisés [qui] est de nature, contrairement à ce qu’elle [la collectivité] fait valoir à faciliter les contacts avec ses interlocuteurs », ]ique le dossier de consultation ne faisait pas apparaître les justifications techniques et économiques auxquelles invitent les disposition déjà rappelées de l’article 10 du code des marchés publics ?

Voici illustré le caractère concret du contrôle effectué par le juge administratif sur le recours au marché global, qui va jusqu’à la pesée des modalités d’organisation de l’administration, si celle-ci n’a pas pris le soin d’établir en amont un solide argumentaire pour asseoir sa décision de recourir à un marché global.

Il en ressort que l’acheteur public doit absolument éviter de renvoyer la question à un traitement défensif dans l’hypothèse future d’un recours contentieux. Tout à l’inverse, il lui faut bâtir son argumentaire et une démonstration détaillés, bien en amont, au moment du lancement de sa procédure de passation, en présentant et en hiérarchisant les motifs techniques, financiers et organisationnels qui fondent le recours au marché global (voir pour cette approche Qui dit prestations distinctes dit allotissement, M#jesuischarlie, Achatpublic.com, mis en ligne le 09/01/2015). Pour les collectivités territoriales, la substance de cet argumentaire et de cette démonstration devrait être reprise ou suffisamment reflétée dans les actes des organes délibérants. Une pareille démarche volontariste, à laquelle invite implicitement l’ordonnance champenoise, s’écarte de la pratique assez bien établie mais à proscrire ici consistant à ne pas répondre aux questions qui ne sont pas posées.


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