Courroye, premier de cordée
Actualités du droit - Gilles Devers, 13/07/2012
Une première, c’est une manière d’entrer dans l’histoire, alors je salue notre procureur alpiniste, Philippe Courroye, qui inaugure la procédure disciplinaire devant le CSM sur plainte des justiciables.
S’agissant des affaires judiciaires, je reste stupéfait du décalage entre les excitations de l’opinion, qui doivent tout aux angoisses existentielles d’une presse dépressive, et la vraie vie.
L’excitation angoissée, c’est cette chanson : « les magistrats sont irresponsables ». Ce qui est parfaitement idiot, car ils connaissent le même régime de responsabilité que les autres agents publics : responsabilité pénale en cas de commission d’infractions, responsabilité pour faute civile engageant le service, et responsabilité disciplinaire.
Depuis la nuit des temps, cette procédure disciplinaire était gérée par les chefs à plumes, soit le Garde des sceaux et la hiérarchie de la magistrature.
La réforme constitutionnelle de 2008, réformant l’article 65 de la Constitution, complétée par la loi organique n° 2001-830 du 22 juillet 2010, a ouvert la procédure aux plaintes des particuliers. Un bon point pour mon ami Sarko.
C’est l’article 63 de la loi : « Tout justiciable qui estime qu’à l'occasion d'une procédure judiciaire le concernant le comportement adopté par un magistrat du parquet dans l'exercice de ses fonctions est susceptible de recevoir une qualification disciplinaire peut saisir le Conseil supérieur de la magistrature ».
Pour que ça ne devienne pas du tir au pigeon, la loi a institué un filtre et la plainte est examinée par une « commission d'admission des requêtes ».
Si la plainte est nullarde, la commission la déclare irrecevable. Dans le cas contraire, elle en informe le magistrat, qui est invité à comparaître devant la commission. Si la commission estime que les faits sont susceptibles de recevoir une qualification disciplinaire, elle renvoie l'examen de la plainte au Conseil Supérieur de la Magistrature. Là, c'est chaud.
Je lis que 421 plaintes ont été fracassées, car elles mettaient en cause les appréciations des magistrats et non leur comportement professionnel. Ce qui rend d’autant plus intéressante la première procédure transmise au CSM.
Il s’agit d’une plainte déposé par Le Monde et deux de ses journalistes, Gérard Davet et Jacques Follorou. Ils soutiennent que Philippe Courroye a commis « une intrusion illégale dans leur vie personnelle et professionnelle ». Motif : en septembre 2010, le proc aurait demandé que des investigations soient menées sur les conversations téléphoniques de Gérard Davet et Jacques Follorou, qui enquêtaient alors sur l’affaire Bettencourt.
Selon la plainte, le proc « a espionné la vie personnelle et professionnelle des deux journalistes », portant atteinte « à leur vie privée et au secret des sources ». Pour les plaignants, ces faits sont « contraires aux devoirs de loyauté, de légalité et de délicatesse qui s'imposent aux magistrats ».
C’est l’affaire des fadettes, ces listings d’appel depuis les téléphones portables, au total 700 feuillets pour petit curieux. François Saint-Pierre, l'avocat non fatigué du fatigué Le Monde estime « le procès indispensable » car « il faut que le CSM se prononce sur des pratiques qui relèvent d'un abus de pouvoir caractérisé et, au-delà du cas de Monsieur Courroye, examine le fonctionnement d'un système ».
Pour ces faits, Philippe Courroye avait été mis en examen en janvier 2012 pour « collecte illicite de données à caractère personnel par un moyen frauduleux, déloyal et illicite », mais la chambre de l’instruction de Paris a annulé cette mise en examen en mars. La Cour de cassation a été saisie d’un pourvoi.
On verra, mais en toute hypothèse, il y a un monde entre le pénal, calé sur le Code, et le disciplinaire, qui ignore le principe de légalité des délits et des peines et doit analyser, à partir de faits prouvés, le comportement du professionnel concerné.
Selon la procédure disciplinaire, le CSM après une audience tenue dans le cadre du débat contradictoire, rendra un avis, et la décision reviendra au garde des sceaux. Donc, tout dépend des consignes données à Taubira par le conseiller spécial de l’Elysée.
Le bonheur est dans la fadette… Mais qui peut soutenir qu'une procédure sérieuse puisse dépendre des fadettes ? Quelle blague... Les fadettes, ce sont les cailloux du Petit Poucet. Or un procureur doit chercher les crimes, pas les cailloux.