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Soutine : l'ordre du chaos

Justice au singulier - philippe.bilger, 24/11/2012

J'aime que Soutine, parvenant superbement à concilier l'improvisation et la fulgurance du chaos avec la discipline, le sens et la rectitude de l'ordre, nous adresse un message fraternel, à nous qui sommes composés de nuit et de jour, de terre informe et de riche matière, de rien et de tout. D'ordre et de chaos.

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Qu'on ne se méprenne pas : l'ordre n'est pas celui espéré dans le chaos de l'UMP ou la cohérence souhaitée dans les fluctuations du Pouvoir.

On va quitter le monde médiocre du contingent et du discutable pour prendre une gorgée d'éternité.

Cela fait du bien au coeur, à l'esprit, à l'être, au regard comme aux tréfonds.

Encore et toujours Soutine, mort d'angoisse le 9 août 1943, parce qu'il était juif, et de génie.

Courez pour voir cette splendide exposition au Musée de l'Orangerie qui est présentée sous ce très beau titre : L'ordre du chaos, qui me touche d'autant plus qu'il définit avec une profonde justesse le fragile mais pourtant indéniable équilibre de certaines vies intimes.

Portraits, Paysages, Natures mortes et Figures : tout est à observer dans le détail et à embrasser dans la globalité. Parce que tout embrase.

Même pour le profane que je suis, on ne peut se laisser envahir par cette puissance torturée, cette vision désespérée mais revigorante, comme par tout grand artiste, de l'existence et de notre condition humaine, sans rattacher Soutine à ceux qui l'ont précédé ou suivi. Par exemple, il y a chez lui du Van Gogh mais revisité, réinventé. En d'autres moments, devant des apparences presque réduites à leur essence nue, comment s'empêcher de percevoir déjà du Francis Bacon mais qui aurait su s'arrêter à la porte du difforme et de l'explosé ?

Mais, surtout, Soutine dans une irréductible singularité, tant le génie est précisément ce qui intègre et devance, ce qui constitue son formidable singulier comme un pluriel à la fois métamorphosé et pressenti.

Modigliani, qui n'était pas le plus mauvais pour appréhender les oeuvres de son ami, était d'une extrême lucidité quand il décrivait "Soutine voyant l'invisible derrière l'apparence... peignant la Commedia".

Les Portraits, en effet, sortant des catégories classiques du beau et du laid, bouleversant les âges, offrent une représentation humaine où la jeunesse triste, sérieuse, sans complaisance aucune dans sa figuration, est imprégnée de la sagesse pessimiste et de la mélancolie sombre de ceux qui ont déjà beaucoup vécu. Les petites filles sont effrayantes de maturité et rien ne nous signifie plus et mieux la fatalité de la mort et la finitude de cette coulée indistincte qu'est notre destin que cette obsession de Soutine de ne pas nous laisser croire, un seul instant, qu'un âge serait plus béni qu'un autre. Le temps est un bateau qui sans cesse nous met, se trouve au bord du naufrage.

Encore et toujours Soutine, pour nous nettoyer des miasmes et, paradoxalement, susciter une allégresse, une joie qui naissent de la vérité sans fard sur nous, avec la peur et l'espérance emmêlées au fil des jours.

L'ordre du chaos.

J'aime que Soutine, parvenant superbement à concilier l'improvisation et la fulgurance du chaos avec la discipline, le sens et la rectitude de l'ordre, nous adresse un message fraternel, à nous qui sommes composés de nuit et de jour, de terre informe et de riche matière, de rien et de tout.

D'ordre et de chaos.


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