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Un Laval à admirer

Justice au singulier - philippe.bilger, 30/07/2013

Mais je tiens à terminer sur ce qui est incontestablement le caractère admirablement politique de ce superbe livre. Un hommage, un adieu à l'ancienne France, un chant empli de nostalgie crépusculaire, une caresse éblouissante, malgré la fureur de la guerre, à la France des clochers et des traditions, du travail bien accompli et des devoirs, une lumière, déjà voilée par l'avenir menaçant, sur des vertus et des principes exaltés par Péguy, une sorte de tombeau dressé à une France d'honneur, de grandeur, de gloire et de respect. Disparue.

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Il y a des années, une vive altercation judiciaire m'a opposé à Bobigny à Me Michel Laval.

Puis, beaucoup plus tard, il a écrit un livre remarquable sur Robert Brasillach, dans un tout autre registre que le mien.

Je l'ai félicité par courrier et nous sommes devenus vraiment des amis : complices et proches, même sans nous voir beaucoup.

Il a encore consacré un ouvrage - primé - à Arthur Koestler et si nous attendions ensuite le meilleur de lui, nous n'osions pas espérer le coup de tonnerre qu'il nous a réservé au début de l'année 2013 avec la publication de ce chef d'oeuvre.

L'Académie Française, qui ne se trompe pas toujours, lui a d'ailleurs décerné son Grand Prix à l'unanimité.

"Tué à l'ennemi - La dernière guerre de Charles Péguy" est un Récit qui passionne, séduit, convainc, possède et envahit.

Ce monument historique fort de 393 pages serrées est incomparable.

Le destin collectif de la France, durant le premier mois de la guerre de 14-18, s'y mêle intimement, charnellement, avec celui singulier de Charles Péguy qui va mourir héroïquement le 5 septembre 1914. Dans cette immense fresque menée de main et d'écriture de maître, les masses et les personnes trouvent leur place, les armes et la fraternité, les morts et les survivants, le courage, la douleur et la France comme idéal porté dans le coeur et à sauvegarder à tout prix.

Un lecteur superficiel pourrait être étourdi par cette profusion minutieuse et grandiose qui ne nous laisse ignorer aucun détail de ce terrible et admirable premier mois de la guerre où, au bord du gouffre, notre pays s'est relevé, précisément parce que l'ennemi le croyait déjà anéanti alors que, pour le sursaut victorieux de la Marne, il bandait son énergie et ses forces.

Cette Somme compacte, sans paragraphes, totalité intégrant sans faiblesse ni relâchement munitions, uniformes, déplacements, portraits, psychologies, élans, illusions, déceptions et arrogance, la France et l'Allemagne dans une lutte sans merci, Charles Péguy et ses beaux textes, Charles Péguy et ses poèmes, ce monde où pas un souffle d'air ne passe et où toute facilité aurait été une trahison, nous jette de plain-pied dans la fournaise et les tourments au quotidien. Le malheur n'est pas que la guerre mais ce qui est aussi autour d'elle et qu'elle fait culminer.

L'allégresse guerrière de la France, la joie de Paris certain de la reconquête, la mobilisation en chantant, le peuple dans l'amour de ses soldats, les embrassades émues et fières des départs, le triomphe allemand, la stratégie et la tactique teutonnes à la fois éclatantes mais incroyables, l'aveuglement initial et entêté de Joffre puis sa géniale et patiente retraite à la Koutouzov, les marches épuisantes, les pieds blessés, les chevaux affaiblis, l'odeur pestilentielle, la rude solidarité de ceux qui vivent en sachant que la mort les accompagne de près, les chefs qui donnent l'exemple, la guerre, ses affres et ses étranges vertus, Péguy rameutant, encourageant, stimulant, persuadé de coïncider avec lui-même, avec ce qu'il avait toujours voulu, Péguy debout sous l'incessante mitraille et prenant, comme une offrande à son audace insensée, une balle en plein front, un désastre, une espérance.

Juste avant la bataille de la Marne.

Péguy a regagné la terre qu'il avait magnifiée, terre pour les vivants et terre des morts.

Michel Laval, pour cette épopée multiforme, a inventé un style.

A aucun moment, même au comble de la tension historique, militaire et de l'horreur, celui-ci ne semble dépassé, décalé, ordinaire. Quand la langue française est exploitée ainsi comme un capital, un trésor, quand les mots viennent somptueusement se ranger dans la coque des sentiments, des idées et des réalités, quand de surprenantes douceurs viennent irriguer l'airain de phrases construites à l'antique, lorsque la poésie discrète donne un charme triste à des séquences où domine pourtant le belliqueux, on ne peut que s'émerveiller devant un tel talent et un art aussi affirmé, affiné.

Dès que j'ai eu terminé ce puissant exercice de littérature et d'Histoire, j'ai songé, même si la comparaison peut apparaître immédiatement écrasante, à Août 14 de Soljénitsyne. Pour montrer à quel niveau on se place et quelle est l'originalité de cet ode funèbre à Charles Péguy.

Mais je tiens à terminer sur ce qui est incontestablement le caractère admirablement politique du livre. Un hommage, un adieu à l'ancienne France, un chant empli de nostalgie crépusculaire, une caresse éblouissante, malgré la fureur de la guerre, à la France des clochers et des traditions, du travail bien accompli et des devoirs, une lumière, déjà voilée par l'avenir menaçant, sur des vertus et des principes exaltés par Péguy, une sorte de tombeau dressé à une France d'honneur, de grandeur, de gloire et de respect.

Disparue.


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