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Le Sénat des collectivités locales grapille quelques euros aux pauvres (524)

Droits des enfants - jprosen, 7/04/2013

Le 28 mars dernier, le Sénat n’a pas hésité à adopter une proposition de loi UMP par laquelle les prestations sociales ouvertes du chef d’un enfant « placé » par un juge des enfants devront a priori être versées au service départemental … Continuer la lecture

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Le 28 mars dernier, le Sénat n’a pas hésité à adopter une proposition de loi UMP par laquelle les prestations sociales ouvertes du chef d’un enfant « placé » par un juge des enfants devront a priori être versées au service départemental de l’Aide sociale à l’enfance.

Dans une période où les budgets publics, notamment les budgets sociaux des départements sont tendus, il n’y a pas de petites économies ! Les sénateurs, souvent présidents de conseils généraux ou conseillers généraux, ne s’en sont pas cachés. Ils observent que normalement les allocations familiales et l’allocation de rentrée scolaire doivent être versées à l’institution ou à la personne qui accueille physiquement les enfants et en tout cas qui supportent ses frais (art. L 521-2 code de la sécurité sociale), mais que les juges y font obstacle trop souvent. On retirera donc ce pouvoir aux magistrats.

On sait aussi que le juge peut mettre une contribution financière à charge de la famille. Même symbolique – quelques dizaines d’euros par mois versée à la personne morale ou physique qui accueille -- cette somme peut marquer, pour le présent et pour l’avenir, que les parents assument dans tous les sens du terme la charge de leur enfant. Reste, et je peux en témoigner, que cette décision financière n’est pas aussi facile à  prendre qu’on le croit pendant le débat où se décide l’orientation de l’enfant avec une forte charge affective. Mal présentée cette contribution financière peut cabrer la famille et se retourner contre l’enfant.

Ordonques a priori, en l’état du droit, dans sa décision le juge peut conserver les prestations sociales à la famille.

Bien évidemment des cas impliquent nécessairement le retrait de cet argent social ou l’impossibilité d’en rétablir le bénéfice aux parents comme la gravité de la situation – des faits de maltraitance -, la durée prévisible de l’accueil ou le relâchement des liens avec l’enfant. 

A l’inverse, le juge les maintiendra ou les rétablira s’il est relevé des relations suivies avec l’enfant, les parents le recevant pour les week-end ou les vacances – il s’agit d’éviter la perte du logement - ou quand ils assument régulièrement des frais pour lui. On doit être d’autant plus sensible à cet aspect que les familles concernées sont parmi les plus précaires de France et que, pour elles, un euro pèse un euro, mais encore parce que l’accueil d’un enfant par l’ASE est censé être provisoire et en tous cas ne pas entraîner une rupture des relations entre parents et enfant.

Les sénateurs avancent que l’exception – le maintien ou le rétablissement - est devenue la règle. Ils exagèrent puisqu’eux-mêmes avancent que c’est dans 40% des cas. Et de fait on peut se demander pourquoi une famille toucherait l’allocation de rentrée scolaire quand ces frais sont pris en charge par le conseil général.

Pour les conseils généraux exsangue, il fallait réagir et ne pas passer à côté d’un « gisement » avec 140 000 enfants «placés » sur l’année, 110 000 à un instant T. Profitant d’une « fenêtre de tir », le président du conseil du Maine et Loire M. Béchu (UMP) a avancé une proposition de loi qui reprenait les termes d’un texte déjà avancé par un élu socialiste pour couper court aux pratiques judicaires dispendieuses.

Et le Sénat de tailler en pièce le gouvernement qui s’opposait à une initiative tenue pour iconoclaste et contreproductive et de lui infliger un sérieux camouflet. Foin des réserves exprimées par le réseau associatif  - ATD Quart Monde, DEI-France, Apprentis d’Auteuil, FNARS, Secours catholique, Syndicat des médecins de PMI, Association nationale des assistants de service social - (1) devant une initiative qui conduit, certes à sanctionner les familles les plus précaires, mais surtout à accréditer l’idée que ces familles fraudent.

Fort heureusement le bon sens a fini par remonter à la surface en nuançant singulièrement le texte finalement adopté.

1) Dans le texte initial les allocations étaient automatiquement retirées aux parents sans que le juge des enfants auteur de la décision de placement ait son mot à dire. Il lui fallait attendre que le Conseil général le saisisse - sic ! - pour rétablir ces prestations quand aujourd’hui il peut le faire à la demande du conseil général, mais également proprio motu. Sur amendement le texte Béchu a été adouci : le juge pourra toujours maintenir les allocations, soit d’office, soit sur saisine du conseil général au vu d’un rapport établi par l’ASE. Mais il ne pourra au mieux que rétablir 35% des sommes concernées à la famille !

2) On a aussi avancé à juste titre qu’il y avait une contradiction entre ces dispositions et les termes même de la loi du 5 mars 2007 sur la protection de l’enfance qui vise à ce qu’un placement dure le moins longtemps possible.

Les associations ne faisaient-elles pas observer que « la confiscation des allocations familiales d’une famille de deux enfants ne rapporterait que 1 524 euros au conseil général quand un placement d’un enfant lui coûte 34 000 euros par an » ! En l’espèce l’usage du mot confiscation est abusif, mais le calcul économique bien réel.

Pour répondre à cette critique sérieuse, les allocations familiales ne seront donc retirées qu’au bout du quatrième mois de placement, sauf décision du juge.

 Tout en comprenant les difficultés financières des départements, le risque est majeur avec des dispositions de cette nature de donner l’impression qui allait jusqu’à faire payer les plus pauvres des pauvres pour combler les déficits des budgets sociaux. A fortiori, quand après 10 mois de législature il n’y a toujours eu aucun texte d’envergure sur la politique familiale ou sur la protection de l’enfance !

Il faut espérer aujourd’hui que l’Assemblée nationale n’adoptera pas ce texte ou en tout cas, pas en l’état. Dans tous les sens du terme il est symbolique : économiquement il ne rapportera pas grand-chose ; il est politiquement choquant. Et encore plus dans le temps où l’ex ministre du budget est poursuivi pour fraude et évasion fiscale

Bien évidemment l’allocation de rentrée scolaire doit être versée aux parents ou à la personne physique ou morale qui assume ces frais de rentrée scolaire sachant que, dans certains départements comme la Dordogne, on veille à ce que les parents soient en première ligne sur ce point très mobilisateur.

Quant aux allocations familiales il doit être réaffirmé que certes elles sont acquises à la structure ou personne qui accueille l’enfant, mais qu’elles peuvent être intégralement maintenues sur décision de justice à la famille par une décision motivée susceptible d’appel.

Pour avoir suivi partiellement le débat parlementaire retransmis par LCP on a été affligé du niveau d’(in)culture de nos élus sur les réalités de l’Aide sociale à l’enfance et sur les enjeux humains qu’elle recouvre. Certains admettaient même leur ignorance voire la revendiquaient en se positionnant comme purs gestionnaires de l’argent public. Certes on ne peut pas négliger les difficultés financières des collectivités locales qui, dans et par-delà la dotation globale de fonctionnement versées par l’Etat, dépensent aujourd’hui 6,5 milliards d’euros par an pour les 450 000 enfants suivis : un tiers hébergés, un tiers vivant chez eux suivis par des éducateurs, un tiers aidés financièrement.

Mais on aurait aimé que le sujet de la protection de l’enfance dont certains appellent à ce qu’il soit remis sur le chantier, ne fut-ce que pour faire le bilan de l’application de la loi du 5 mars 2007, soit abordé dans sa plénitude.

Au lieu de cela on a vu une vingtaine de sénateurs et sénatrices y compris de gauche étriller technocratiquement une ministre de la famille - Mme Bertinotti - bien esseulée au banc du gouvernement et soutenue par la seule sénatrice PS Michèle Meunier de la Loire Atlantique. Au final, seul une trentaine de sénateurs s’opposèrent à l’initiative de leurs collègues ! L’échec infligé au gouvernement était cinglant et rarissime, mais révélateur d’une époque.

Le malaise était réel à suivre un débat de cette nature quand on est confronté au quotidien à des situations plus dramatiques les unes que les autres. Ce ne sont pas des élus qui ont décidés sur leurs valeurs et conviction, mais des gestionnaires de départements. Le Sénat n’a jamais autant mérité son appellation de chambre des collectivités locales. Ce 28 mars 2013 il n’était pas le Sénat de la République.

 

(1(1) ASH du 15 avril 2013


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