La France est écoutée !
Justice au Singulier - philippe.bilger, 24/06/2015
La France est écoutée.
Mais de quoi se plaint-elle alors ?
Les présidents Chirac, Sarkozy et Hollande l'ont été par la NSA américaine.
Les révélations, en l'état, ne sont pas bouleversantes car elles ne nous apprennent rien que nous ne sachions déjà sur leur psychologie, leurs hésitations et la compétence relative de tel ou tel ministre (France Inter, Libération, Le Figaro, Le Monde).
Il n'empêche que, même si on peut jouer à l'esprit fort en affichant le cynisme de celui qui est au fait des réalités et des pratiques internationales, on a le droit de s'étonner. Certes, on n'a jamais cru que le monde était celui de Bisounours et que des alliés, surtout dans un rapport inégal de puissance et d'influence, n'étaient mus que par l'amitié et la solidarité en oubliant la gestion de leurs intérêts.
De là, cependant, à dire comme Jean-David Levitte que pour sa part il avait intégré, dans sa carrière diplomatique, le principe des écoutes et qu'il avait donc toujours pris ses précautions sur ce plan, il y a une marge. C'est prétendre normal et quasiment licite ce qui à l'évidence ne l'est pas, ne devrait pas l'être !
Que ce système ne date pas d'aujourd'hui et que les pouvoirs publics ne le découvrent pas est plus que probable. Cela ne doit pas nous interdire de poser quelques questions au demeurant basiques.
Jamais notre République, aussi imparfaite qu'elle ait été ou qu'elle soit, ne se serait permis d'adopter une telle démarche maligne et déloyale à l'encontre des Etats-Unis d'Amérique.
Je ne suis pas persuadé que ceux-ci, à supposer les techniques d'écoutes suffisamment fiables alors, aient risqué de mettre en branle un tel processus sous les présidences de Charles de Gaulle et de François Mitterrand. Je me trompe peut-être mais il y avait là des personnalités qui auraient rendu trop désavantageux le rapport entre les avancées secrètes et la riposte politique.
Dans ce scandale qui ne semble en définitive guère émouvoir - un Conseil de Défense réuni à l'Elysée et le président va téléphoner au président Obama - en dépit des réactions indignées de quelques-uns dans la classe politique, il me semble qu'on trouve, à l'égard de la France, un sentiment mélangé de la part du pouvoir américain.
A la fois une sorte d'agacement, voire d'irritation amusée et, clairement, de la condescendance, la certitude que notre pays pèse peu et qu'ainsi on peut tout se permettre avec lui parce qu'il n'a pas d'autre choix que de tout tolérer avec une réplique seulement symbolique.
Cette France turbulente, imprévisible, capable du meilleur comme du pire, ne cessant d'invoquer une grandeur au-dessus de ses moyens, cocardière et limitée, contente d'elle et en retard, prête à donner des leçons à l'univers mais ne s'appliquant guère à elle-même les enseignements qu'elle dispense, pas vraiment dangereuse ni importante mais à surveiller d'un oeil : elle pourrait finir, à force de se le répéter, par ressembler à une nation qui compte.
En même temps, cette France avec ses présidents, l'un confit dans un immobilisme qui le rendait sympathique parce que les Français adorent la promesse du mouvement mais la réalité du surplace, l'autre si convaincu de sa supériorité qu'il en oubliait de la démontrer pour son pays et ses concitoyens, le troisième élu depuis seulement trois ans et déjà en campagne pour 2017 - cette France, elle est un peu ridicule avec ses rêves de gloire et sa médiocrité sociale et économique. Avec ce gouffre entre ses ambitions et son présent.
On peut en faire ce qu'on veut, la traiter avec une feinte délicatesse, pas crûment comme un vassal mais pour un Etat négligeable. Qu'on va calmer avec des tendresses qui vont la flatter.
Et on recommencera.
Sauf si un jour on s'aperçoit qu'elle est vraiment présidée, que sa force n'est plus seulement verbale et son action vaine. Qu'il faut, enfin, la prendre au sérieux.
Alors, la France sera vraiment écoutée.