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Nicolas Sarkozy a-t-il réussi la rupture ?

Justice au singulier - philippe.bilger, 1/06/2012

François Hollande reprend le cours d'une V° République ayant recouvré son sang-froid et sa maîtrise. On est rentré chez nous.

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Certes, on n'en est pas encore à le regretter.

Pour ma part, d'ailleurs, je n'imagine pas pouvoir un jour être atteint par ce virus nostalgique qui fait aimer les présidents quand leur absence est acquise et définitive.

Cette association des "amis de Nicolas Sarkozy", créée pour des motifs affectifs selon Brice Hortefeux - il y a quelque chose de trop contradictoire dans cette explication  !-, est composée de personnalités dont la plupart vous détourneraient plutôt d'une fidélité même hypocrite qu'elles ne vous attireraient.

Il n'empêche qu'au quotidien je suis étonné par beaucoup de réactions qui, tout en critiquant les débuts de François Hollande, viennent au secours de Nicolas Sarkozy moins pour le fond de sa politique durant le quinquennat qu'à cause de l'irrespect notamment médiatique et judiciaire dont il aurait été l'objet. En gros, les médias l'auraient honteusement traité et les magistrats dans leur ensemble auraient abandonné leur devoir de réserve en s'engageant résolument contre lui jusqu'à souhaiter ostensiblement la victoire de son adversaire socialiste. Elles prennent l'ancien président de la République pour une victime.

Je ne me moque pas de ces analyses d'autant moins que, par ailleurs, elles ne sont pas loin d'intégrer le fait qu'au moins durant deux ou trois années Nicolas Sarkozy a lui-même dégradé l'image présidentielle. Pourtant, même en validant cette donnée incontestable, elles s'élèvent avec vigueur contre le peu de considération qui aurait été attaché à la fonction présidentielle au-delà de la personne de Nicolas Sarkozy.

Le débat, en réalité, consiste à s'interroger sur la nature de ce quinquennat et sur son appréhension au regard des pratiques singulières de Nicolas Sarkozy. Ces cinq ans, aussi discutables qu'ils aient pu être, s'inscrivent-ils dans la continuité politique, démocratique et institutionnelle de la V° République, Nicolas Sarkozy est-il un successeur, atypique certes mais en définitive dans une sorte de norme, de ses si différents et contrastés devanciers ou bien son quinquennat sort-il de toute épure, relève-t-il de l'inédit ?

Si on opte pour la première branche de l'alternative, il va de soi que les débordements de l'ancien président n'auraient jamais dû conduire aux débordements médiatiques et judiciaires, à commencer par les miens, qu'on a connus. Il aurait fallu continuer à percevoir ce quinquennat, malgré ses dérives et ses étrangetés, comme une période ordinaire où à toute force le statut présidentiel devait être préservé. Nicolas Sarkozy, pour les tenants de cette thèse, n'aurait jamais totalement réussi sa rupture pour le pire et derrière l'apparence agitée, la majesté et la sérénité de la République étaient, en dépit de tout, sauvegardées. Le président demeurait sauf malgré l'être Sarkozy et les médias et les juges auraient dû se résoudre à respecter le premier coûte que coûte. Pour le présent comme pour l'avenir. Rien d'absurde dans cette conception classique du pouvoir qui, pourtant, en l'occurrence, ne peut avoir mon agrément.

Répondant en effet à mes contradicteurs en référence à la seconde branche de l'alternative, j'alléguais que pour les journalistes comme pour les magistrats, le fauteur initial des troubles avait été le président de la République. Ayant lui-même transgressé, en de multiples occasions, les vertus et les principes consubstantiels à une démarche présidentielle acceptable sans être forcément exemplaire, ayant violé les règles d'équité, d'urbanité et d'impartialité à maintes reprises, il avait naturellement contribué à ce que les ripostes soient parfois démesurées, outrancières, toujours vives en tout cas. Ne se comportant pas en président, il ne pouvait guère espérer qu'on le créditât du respect et de la modération qu'un autre aurait suscités. Les institutions, les corps, les diplomates, les services publics, devant ses agressions inadmissibles qui n'avaient pas attendu d'être justifiées par quoi que ce fût pour jeter leur venin, pouvaient à juste titre, avec bonne foi, invoquer une légitime défense républicaine qui appelait des excès inconcevables en d'autres temps et sous d'autres latitudes présidentielles. La démocratie mise à mal par celui qui aurait dû en être le garant naturel était fondé à se rebeller. Les obligations de réserve pèsent peu quand la réserve présidentielle est abandonnée avec une sorte de volupté quii montre comme on est heureux de briser et d'offenser.

Pour les magistrats : petits pois, amitié judiciaire ostensible pour Philippe Courroye, détestation revendiquée de Renaud Van Ruymbeke, hostilité affichée pour les juges et les diplomates, le premier Président de la Cour de cassation convoqué deux fois à l'Elysée et y allant!, gestion orientée et partisane des dossiers politiques, démarches erratiques sur le fond manifestant sa désinvolture et son mépris pour la substance et l'élaboration des réformes, narcissisme du bon plaisir mêlé à des approximations techniques... Je pourrais continuer la litanie.

A mon sens, ce quinquennat n'est pas une continuité mais une rupture réussie pour le pire. Même si François Hollande ne s'était pas revendiqué "normal", après Nicolas Sarkozy n'importe qui serait apparu comme un restaurateur bienfaisant. Sans paradoxe, Nicolas Sarkozy qui nous avait promis une rupture pour le meilleur ne nous l'a offerte que de manière négative et destructrice. Son quinquennat sera une parenthèse trop extra-ordinaire à cause de sa personne, de son absence délibérée et provocatrice d'allure, de ses actes, de son talent vibrionnesque et impulsif pour qu'on puisse craindre la réitération de comportements judiciaires et médiatiques de ce type qui pouvaient choquer. Il n'y aura plus de président comme lui. Heureusement. Il n'y aura plus de médias et de juges obligés en permanence de se défendre.

François Hollande reprend le cours d'une V° République ayant recouvré son sang-froid et sa maîtrise. On est rentré chez nous.


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