Quand On ne refait plus le monde...
Justice au Singulier - philippe.bilger, 13/09/2015
Pour me concerner, ce n'est pas un exercice de pur narcissisme.
Il y a des tortures par l'espérance, selon Villiers de L'Isle-Adam, mais aussi des malaises, certes très relatifs, par l'incertitude.
Je n'aurais pas osé écrire ce billet si je n'avais pas eu la chance, grâce à des personnalités que j'apprécie et qui m'ont fait confiance, d'intervenir régulièrement sur Europe 1 et sur le site du Point.
Et de pouvoir participer à des débats, longtemps sur i-Télé, mais surtout sur LCI sous l'égide de Valérie Expert qui parvient à favoriser la totale liberté de ses invités avec l'affirmation de convictions qui n'en fait pas une animatrice ectoplasmique.
De la sorte, me pencher sur cette interrogation fondamentale! qu'est ma disparition de On refait le monde (ORLM) sur RTL ne relève pas de l'aigreur mais du questionnement psychologique et de la curiosité médiatique.
Parce qu'il y a du mystère.
Je ne suis pas de ceux qui considèrent que la liberté d'expression n'a pas de rançon à payer et je ne m'étonnerai jamais de n'être pas convié par Laurent Ruquier puisque, avec une constance qui pourrait m'honorer dans un autre monde, j'ai mis en cause son comportement narcissique, rigolard et promotionnel. Il est tout à fait normal qu'il en ait toujours toujours tiré les conclusions qui s'imposaient - il n'est pas masochiste - même si évidemment me retrouver face à Eric Zemmour, Eric Naulleau, Audrey Pulvar, Natacha Polony et aujourd'hui Yann Moix aurait été un plaisir rare. Je vais au bout de la provocation : j'inclus même Aymeric Caron. Il y a des combats dont j'aurais eu besoin, envie !
Mais, pour ORLM, je ne vois pas.
C'est l'étonnant, courageux et vif Christophe Hondelatte qui le premier avait fait appel à moi quand je n'étais plus magistrat. Un bonheur, des joutes, de la sincérité, de la pugnacité avec, le vendredi, la présence indéniable et la belle voix grave de Bernard Poirette.
Je me suis parfois dit que la radio et la télévision n'étaient pas tout à fait vaines dès lors qu'elles permettaient si vite de créer des liens d'amitié, non seulement avec ceux dont on se sent proche, Rioufol, Thréard, Buisson, PPDA, mais avec d'autres, des contradicteurs intéressants comme, notamment, Clémentine Autain, la gentille Rokhaya Diallo, Philippe Besson, Audrey Pulvar, des publicitaires stimulants ou le regretté Claude Cabanes.
Puis Marc-Olivier Fogiel a remplacé Christophe Hondelatte à la tête de cette émission et je l'ai vu peu à peu prendre de l'assurance et sortir d'un perfectionnisme angoissé pour s'abandonner à une direction souple et équitable du débat.
J'avais l'impression que nos relations étaient bonnes même si à l'évidence MOF était plus familier avec d'autres structures intellectuelles et d'autres visions du monde.
Doucement je me suis raréfié, on m'appelait de moins en moins pour en définitive être retiré de ces 45 minutes où on prétendait refaire le monde alors qu'il aurait déjà fallu, selon l'obsession de Finkielkraut, empêcher qu'il se défasse.
On ne peut pas savoir, on ne sait pas.
Suis-je trop réactionnaire ? Mes amitiés et mon soutien à des personnes constamment et injustement attaquées ont-ils été jugés indécents, en tout cas indignes de cette émission pourtant si châtiée et consensuelle ?
Ai-je trop de sympathie pour les concurrents et suis-je trop présent chez eux ?
Il semble qu'on ait modifié sensiblement la configuration et la composition de ce groupe d'invités en faisant revenir des réputations confirmées - Ivan Levaï, Christine Ockrent, Jean-Claude Dassier, Eric Revel, Roland Cayrol etc. - faisant moins craindre les débordements imprévisibles de natures plus libres et plus impertinentes. Cette émission a pris sans doute "de la bouteille" mais peut-être a-t-elle perdu de l'élan et du punch ? Il y a plus de sages qui feignent le désaccord que d'impétueux.
Ai-je été perçu comme trop atypique, au milieu des journalistes mais sans l'être, électron insaisissable - le plus beau compliment fut celui un jour, ailleurs, d'Yves Calvi me disant qu'il ne savait jamais ce que j'allais dire sur un sujet - et intrus, au fond, dans un univers qui au-delà des antagonismes superficiels est corporatiste, homogène et épris de son entre-soi ?
MOF ne m'a jamais donné les clés même s'il a toujours répondu aimablement à mes SMS.
Le plus navrant - et je me l'impute à charge - est qu'aussi détaché qu'on prétende l'être pour les raisons objectives déjà évoquées, on se sent cependant glisser sur une pente, on disparaît, on en souffre un peu, c'est une petite mort, il y a de la vanité, de la nostalgie, on souhaiterait comprendre.
On est incapable de s'avouer brutalement qu'on ne veut plus de vous.
On n'est pas indispensable ni irremplaçable mais on aurait voulu demeurer dans le je, dans le jeu.
Tant pis.