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Vraiment désolé, la prison est occupée !

Justice au singulier - philippe.bilger, 6/08/2013

Qu'attend le président de la République pour, face au duo Valls-Taubira, choisir la fermeté républicaine, le discours cohérent, l'action efficace, et, parlons net, pour promouvoir, en matière de sécurité et de justice, le premier et "remanier" la seconde ?

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A nouveau, les ministres Taubira et Valls qui, paraît-il, s'entendent si bien jouent une partition dissonante. A propos de la remise en liberté de trois délinquants qui auraient dû être placés sous écrou à Chartres pour exécution de leur peine.

Le ministre de l'Intérieur s'est ému, "se déclarant très surpris de cette décision et inquiet de ses conséquences". La garde des Sceaux, elle, enquête (Le Figaro, 20 minutes).

Un remarquable Directeur de l'Administration pénitentiaire, Henri Masse, que Christiane Taubira avait eu la sagesse de maintenir à son poste, vient de partir à la retraite. Il a été remplacé par une femme, Isabelle Gorce, qui semble parfaitement accordée à la ligne de mansuétude dogmatique prônée par la ministre et dont le titre de gloire essentiel tient au fait que Michèle Alliot-Marie l'a sanctionnée.

Un commandant de police, numéro deux du commissariat de Dreux, avait adressé à sa hiérarchie, le 1er août, un rapport protestant contre l'élargissement de ces trois condamnés au prétexte que la maison d'arrêt de Chartres était pleine et que, selon le substitut de permanence, "il ne fallait plus mettre en exécution le moindre écrou jusqu'au moins au 1er septembre".

Il ne s'agissait pas seulement de différer l'exécution des sanctions mais de les "remettre tout simplement dehors". Vraiment désolé, la prison est occupée !

Manuel Valls a appelé personnellement cet officier tandis que sa collègue, empruntant la voie la plus lente et la plus lourde, demandait au parquet général de Versailles ce qu'il en était alors qu'on aurait gagné un temps précieux en prenant langue directement avec le procureur de Chartres ou le magistrat faisant fonction.

Certes, il y a actuellement dans les prisons françaises 68 500 détenus pour 57 300 places. Mais cette surpopulation ne saurait justifier, alors que 100 000 peines de prison ferme sont non exécutées, qu'on relâche purement et simplement dans la nature des personnes qui ont été difficiles à retrouver et à interpeller et qui s'empresseront peut-être, à leur manière, de bénéficier de cette aubaine.

Comment ne pas approuver Patrice Ribeiro, Secrétaire Général de Synergie-Officiers, qui dénonce "ces décisions de justice dévastatrices localement" ?

Ce n'est pas parce que le pouvoir d'hier n'a pas brillé en matière d'exécution des peines - la déplorable loi Dati permettant d'aménager immédiatement toute sanction inférieure ou égale à deux ans, ce qui réduisait à rien la portée du jugement correctionnel ! - que l'opposition n'a pas le droit aujourd'hui de s'en prendre à cette aberration de Dreux et de craindre qu'il y en ait d'autres.

Ainsi, le Secrétaire National de l'UMP chargé de la sécurité, Bruno Beschizza, qui certes n'a jamais abusé de la nuance, est tout de même digne d'intérêt quand il fait référence aux policiers "qui confirment ce que nous dénonçons depuis des mois : l'impunité institutionnellement instaurée". Christian Estrosi, député maire UMP de Nice, pas davantage porté à la modération, s'est affirmé "indigné et révolté" et a écrit au garde des Sceaux "pour lui demander des explications".

Ce couac que j'ose à peine qualifier de pénitentiaire suscite d'autant plus d'interrogation que le parquet de Chartres n'a pas adopté une démarche de numerus clausus, du type de celle que le Syndicat de la magistrature réclame : un sortant de prison, un entrant ! En effet, les condamnés en comparution immédiate n'ont pas bénéficié du même laxisme.

Il faut donc admettre que l'application de la circulaire de politique pénale du 19 septembre 2012, avec ses vives recommandations pour l'aménagement des sanctions - "une priorité à décliner lors de l'audience, après le prononcé de la condamnation et lors de sa mise à exécution" - est responsable de ce grave incident qui manifeste à quel point les parquets ne savent plus comment se gouverner entre les devoirs de leur mission et les orientations peu structurantes et fiables qu'on leur enjoint d'observer.

Le député UMP Eric Ciotti peut conclure que "cette affaire n'est pas un fait isolé mais la conséquence inévitable de la politique pénale de Mme Taubira depuis maintenant plus d'un an".

A considérer la réalité d'aujourd'hui, on ne peut manquer d'être frappé par, d'une part, l'idéologie molle et exclusivement compassionnelle qui nourrit les concepts et, d'autre part, les impuissances concrètes qui, laissant les choses en l'état, n'améliorent pas la condition pénitentiaire, ne luttent pas contre la surpopulation et n'osent pas la construction nécessaire de nouvelles prisons.

Le paradoxe est qu'on rêve d'une politique sans enfermement quand un enfermement digne et maîtrisé reste plus que jamais un outil fondamental que seuls des utopistes ou des naïfs mettent en cause.

Cette bévue signifiante de Dreux et de Chartres fait osciller entre le ridicule et la colère.

Qu'attend donc le président de la République pour, face à ce duo Valls-Taubira, choisir la fermeté républicaine, le discours cohérent, l'action efficace et, parlons net, pour promouvoir, en matière de sécurité et de justice, le premier et "remanier" la seconde ?


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