Actions sur le document

Rapt et torture : Les Etats-Unis pris la main dans le sac

Actualités du droit - Gilles Devers, 3/01/2013

Avec l’affaire Khaled El-Masri, la Cour Européenne des Droits de l’Homme...

Lire l'article...

Avec l’affaire Khaled El-Masri, la Cour Européenne des Droits de l’Homme met en évidence les crimes de torture et de détention arbitraire commis par les Etats-Unis sur le sol européen, ici avec la complicité de la Macédoine.

Khaled-el-Masri.jpg

Les Etats-Unis sont un Etat voyou qui ne perdure que par sa force armée et l’impunité qu’il s’est créé. Tout le monde le sait, et c’est la même chanson depuis la guerre du Vietnam. Ce petit pays de 320 millions d’habitants, une bricole sur les 7 milliards que connait la planète, assume 45 % des dépenses militaires dans le monde pour imposer sa puissance économique, au service de ses seuls intérêts. C’est la plus grande dictature du monde.

A ce niveau, les méthodes sont les pires : détention arbitraire, torture, absence de recours, atteinte à la vie, violation de souveraineté. Ses dirigeants, qui ordonnent la torture et les assassinats, mériteraient tous de passer devant un tribunal pénal et de finir leurs jours en prison. Mais ils ont deux atouts : leur argent, avec lequel ils corrompent tout ; leur système judiciaire, avec leur très blanche « Cour suprême », qui est la garantie suprême de leur impunité. Et pour blinder le système, ils refusent tout contrôle d’une juridiction internationale. C’est la mécanique du crime incestueux.

Heureusement, il reste l’analyse juridique qui permet de montrer comment tout est fait pour protéger la violence inouïe du système gouvernemental états-unien. De vrais prédateurs.

Heureusement aussi, il reste quelques failles judiciaires. Khaled El-Masri, citoyen allemand, a été arrêté en décembre 2003 à la frontière macédonienne en vertu d’un ordre de la CIA, du fait la proximité de son nom patronymique avec une personne recherchée. Il a été séquestré, battu, violé, emprisonné de manière clandestine en Afghanistan, maintes fois maltraité, pour être finalement relâché en mai 2004.

La réponse judiciaire est très simple :

- la Cour suprême des US a refusé d’examiner sa plainte ; 

- la CEDH a reçu cette plainte, et démontre tout le mécanisme.

La procédure a été dirigée contre le complice, la Macédoine, la CEDH ne pouvant rien faire contre l’auteur principal, les Etats-Unis.

En toute logique, le gouvernement allemand devrait engager des mesures de rétorsion contre le gouvernement états-unien qui maltraite ainsi ses ressortissants… 

Vous rappelez du sinistre John Kennedy et son « Ich bin ein Berliner »… Quelle plaisanterie…  

Voici ci-dessous le résumé de l’affaire par le greffe de la Cour. Je reproduis ce document tel que, hormis de minimes questions de présentation.

 

when_mistaken_identity_leads_to_torture.jpg

I – Les faits

1 – L’arrestation (31 décembre 2003)

Le requérant, Khaled El-Masri, est un ressortissant allemand d’origine libanaise né en 1963 et résidant à Ulm (Allemagne). La police macédonienne l’a arrêté le 31 décembre 2003, à son arrivée en bus en « ex-République yougoslave de Macédoine ». Des policiers l’ont emmené dans un hôtel à Skopje, où il a été enfermé pendant 23 jours et interrogé en anglais, malgré sa maîtrise limitée de cette langue, sur ses liens présumés avec des organisations terroristes. On lui a refusé tout contact avec l’ambassade d’Allemagne. Lorsqu’un jour il déclara qu’il avait l’intention de partir, on le menaça de l’abattre.

2 – Les tortures et le transfert par la CIA

Le 23 janvier 2004, menotté et les yeux bandés, M. El-Masri fut emmené en voiture à l’aéroport de Skopje, où il fut alors roué de coups par des hommes masqués. Il fut déshabillé de force et sodomisé avec un objet. On lui mit une couche et on lui enfila un survêtement bleu foncé à manches courtes. Enchaîné et encapuchonné, soumis à une privation sensorielle totale, il fut traîné de force jusqu’à un avion de la CIA qui était encerclé par des agents de la sécurité macédonienne. Une fois à bord de l’avion, il fut jeté à terre, attaché et mis de force sous sédatifs.

Le traitement auquel il fut soumis, très probablement par une équipe de remise spéciale de la CIA, avant de monter dans l’avion à l’aéroport de Skopje présente une ressemblance frappante avec celui décrit dans un document récemment publié par la CIA, qui détaille le protocole à suivre pour le traitement du « choc de capture » (« capture shock »treatment).

3 – La détention et les interrogatoires en Afghanistan

M. El-Masri fut emmené par avion dans un pays où il faisait plus chaud qu’à Skopje, ce qui lui suffit pour conclure qu’il n’avait pas été renvoyé en Allemagne, comme on le lui avait promis. Il déduisit par la suite qu’il se trouvait en Afghanistan. Selon lui, il fut emprisonné pendant quatre mois dans une petite cellule en béton, sale et sombre, dans une briqueterie près de Kaboul, où il dit avoir été battu à coups de pied et de poing et menacé à plusieurs reprises au cours d’interrogatoires. Le requérant demanda plusieurs fois mais en vain à rencontrer un représentant du gouvernement allemand. Il entama en mars 2004 une grève de la faim pour protester contre sa détention sans inculpation. En avril 2004, 37 jours après le début de sa grève de la faim, il a été nourri de force au moyen d’un tube qui l’a rendu gravement malade et l’a cloué au lit pendant plusieurs jours. En mai 2004, il a entamé une seconde grève de la faim.

4 – Le retour en Allemagne (28 mai 2004)

Le 28 mai 2004, il fut transporté par avion, menotté et les yeux bandés, tout d’abord en Albanie puis en Allemagne. Il pesait alors 18 kilos de moins.

II – Les procédures

Immédiatement après son retour en Allemagne, il prit contact avec un avocat, et il a engagé depuis lors plusieurs actions en justice.

1 – En Allemagne : le secret

En 2004, une enquête fut ouverte en Allemagne sur les allégations du requérant selon lesquelles celui-ci avait été illégalement enlevé, détenu et soumis à des sévices.

En janvier 2007, le procureur de Munich émit des mandats d’arrêt à l’encontre de plusieurs agents de la CIA, dont les noms ne furent pas rendus publics, en raison de leur implication dans la remise alléguée du plaignant !

2 – Aux Etats-Unis : le rejet de la procédure

La plainte déposée en décembre 2005 aux Etats unis par l’Union américaine pour les libertés civiles contre l’ancien directeur de la CIA et des agents non identifiés de la CIA a été rejetée. Selon la décision, qui devint définitive avec le refus de la Cour suprême américaine de contrôler l’affaire en octobre 2007, l’intérêt de l’Etat à préserver les secrets d’Etat primait l’intérêt individuel du requérant à obtenir justice.

3 – En Macédoine : le rejet de la plainte

M. El-Masri a déposé une plainte pénale en octobre 2008 en « ex- République yougoslave de Macédoine » contre des membres non identifiés des forces de l’ordre pour détention et enlèvement illégaux fut rejetée par le procureur de Skopje en décembre 2008.

Selon la version du gouvernement de « l’ex-République yougoslave de Macédoine », M. El-Masri serait entré sur le territoire de ce pays le 31 décembre 2003, aurait été interrogé par la police au motif qu’il était soupçonné de voyager avec de faux papiers, aurait été autorisé à entrer sur le territoire et aurait quitté celui-ci en franchissant la frontière vers le Kosovo, ce qui un mensonge grossier.

4 – Enquête du Conseil de l’Europe : le rapport Marty

Le cas de M. El-Masri a été discuté dans le contexte d’enquêtes internationales concernant des allégations de « remises extraordinaires » en Europe et l’implication des Etats européens. En particulier, en 2006 et 2007, la Commission des Affaires juridiques et des droits de l’homme de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, qui désigna le sénateur suisse Dick Marty en tant que rapporteur, enquêta sur ces allégations.

Le rapport Marty de 2007 conclut que le cas du requérant était un « exemple documenté de remise », et que la version des faits du gouvernement macédonien était « indéniablement devenue insoutenable ».

Le rapport se fondait notamment sur les éléments suivants :

- des registres de bord confirmant qu’un avion commercial affrété par l’administration fédérale de l’aviation américaine a atterri à l’aéroport de Skopje le 23 janvier 2004 et a redécollé le même soir pour Kaboul via Bagdad ;

- les registres de bord confirmant qu’un avion affrété par la CIA a décollé de Kaboul le 28 mai 2004 et a atterri à une base aérienne militaire en Albanie ;

- l’analyse scientifique des follicules pileux de M. El-Masri, effectuée au cours d’une enquête pénale menée en Allemagne, qui accrédite le récit du requérant concernant son séjour dans un pays d’Asie du Sud et sa privation prolongée de nourriture ;

- les enregistrements géologiques qui corroborent ses souvenirs concernant des tremblements de terre de faible amplitude survenus pendant sa détention alléguée en Afghanistan ;

- les croquis de la prison afghane dessinés par le requérant, qui ont permis à une autre victime d’une « remise », détenue elle aussi par des agents américains sur le territoire afghan, de reconnaître immédiatement les lieux.

4 – Le Bundestag : une enquête parlementaire

En avril 2006, le Bundestag allemand institua une commission d’enquête en vue d’examiner les activités des services secrets. Cette commission entendit M. El-Masri.

Dans son rapport, elle conclut notamment que le récit qu’avait fait l’intéressé de son emprisonnement en « ex-République yougoslave de Macédoine » et en Afghanistan était crédible.

5 – La saisine de la CEDH : la Macédoine reconnait le rôle de la CIA

Dans le cadre de la procédure devant la Cour européenne des droits de l’homme, M. H.K., qui fut ministre de l’Intérieur de l’ex-République yougoslave de Macédoine à l’époque de la détention de M. El-Masri, fit une déposition écrite en mars 2010.

Il y confirmait en particulier que les autorités macédoniennes, agissant en vertu d’un mandat d’arrêt international valablement émis par les autorités américaines, avaient appréhendé le requérant puis l’avaient détenu au secret et sous la surveillance constante d’agents des services secrets de l’Etat quelque part à Skopje. Il ajoutait que l’intéressé avait ultérieurement été livré à une « équipe de remise » de la CIA à l’aéroport de Skopje et avait quitté le territoire macédonien à bord d’un avion affrété par la CIA.

 

torture,etats unis,cour suprême,cedh

III – Décision de la Cour

1 – Traitements inhumains et dégradants

La force physique n’a pas été employée contre M. El-Masri pendant son séjour à l’hôtel. Toutefois, sa mise à l’isolement pendant 23 jours dans cet hôtel, dans le cadre d’une opération secrète, dans un état d’angoisse permanent du fait de l’incertitude qui entourait le sort qui lui serait fait pendant les séances d’interrogatoire, n’a pu manquer de susciter chez lui un sentiment de détresse émotionnelle et psychologique. Ces traitements lui ont été infligés intentionnellement, afin de lui extorquer des aveux ou des renseignements sur ses liens présumés avec des organisations terroristes. De plus, la menace selon laquelle il serait abattu s’il tentait de quitter l’hôtel revêtait un caractère réel et immédiat.

Compte tenu de tous ces éléments, la Cour estime que l’épreuve infligée à M. El-Masri pendant son séjour à l’hôtel s’analyse à plusieurs égards en des traitements inhumains et dégradants contraires à l’article 3.

2 – Torture

Le traitement subi par M. El-Masri à l’aéroport de Skopje alors qu’il se trouvait aux mains d’une équipe de remise spéciale de la CIA – qui l’a roué de coups, sodomisé, enchaîné et encapuchonné et soumis à une privation sensorielle totale – l’a été en présence de fonctionnaires de « l’ex-République yougoslave de Macédoine » et sous la juridiction de celle-ci. La responsabilité du gouvernement macédonien était donc engagée concernant ces actes commis sur son territoire par des agents d’un Etat étranger. Il n’a présenté aucun argument propre à expliquer ou justifier l’intensité de la force utilisée contre le requérant ou la nécessité des mesures invasives et potentiellement dégradantes prises à son encontre. Ces mesures ont été employées avec préméditation dans le but d’infliger à M. El-Masri des douleurs ou souffrances aiguës pour obtenir de lui des renseignements.

De l’avis de la Cour, pareil traitement s’analyse en torture et emporte violation de l’article 3.

3 – « Remise extraordinaire » : le rapt international

La Cour estime que la responsabilité du gouvernement de « l’ex-République yougoslave de Macédoine » est engagée pour avoir exposé M. El-Masri à un risque d’autres traitements contraires à l’article 3 en le remettant aux autorités américaines. Elle relève que rien ne prouve que le transfert du requérant ait été effectué en vertu d’une demande légitime d’extradition. Il ressort à l’évidence des registres d’aviation que les autorités macédoniennes connaissaient la destination de l’avion. De plus, des documents rendant compte de pratiques employées par les autorités américaines pour interroger les personnes soupçonnées de terrorisme, qui sont manifestement contraires aux principes de la Convention, étaient déjà dans le domaine public.

Dès lors, les autorités macédoniennes savaient ou auraient dû savoir à l’époque des faits qu’il y avait un risque réel que le requérant fût soumis à des traitements contraires à l’article 3. Or elles n’ont demandé aux autorités américaines aucune assurance propre à éviter au requérant un tel risque. Pour la Cour, le transfert du requérant s’analyse en une « remise extraordinaire ».

Dans une de ses précédentes décisions, (Babar Ahmad et autres c. Royaume-Uni, nos 24027/07, 11949/08 et 36742/08 6 juillet 2010), la Cour a défini la notion de « remise extraordinaire », utilisée par les services secrets britanniques et le Conseil de sécurité, comme désignant le « transfert extrajudiciaire d’une personne de la juridiction ou du territoire d’un Etat à ceux d’un autre Etat, à des fins de détention et d’interrogatoire en dehors du système juridique ordinaire, la mesure impliquant un risque réel de torture ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants ».

4 – Mauvais traitements et absence de recours

La Cour observe que le requérant a porté ses allégations de mauvais traitements à l’attention du ministère public macédonien, en les étayant par des éléments venus au jour dans le cadre des enquêtes menées au niveau international et dans des Etats étrangers. L’Etat avait donc l’obligation de mener une enquête effective sur ces griefs.

Or, hormis une demande d’informations adressée au ministère de l’Intérieur, la procureure chargée de l’affaire n’a pris aucune mesure d’investigation relativement aux allégations du requérant avant de décider de rejeter la plainte pour insuffisance de preuves. En particulier, elle n’a pas entendu M. El-Masri ni le personnel qui travaillait à l’hôtel à l’époque où celui-ci y aurait été détenu. Elle n’a pas davantage pris de mesure pour établir le but de l’atterrissage de l’avion dont on soupçonnait qu’il avait été utilisé pour transférer le requérant vers l’Afghanistan, ou pour établir l’identité du passager qui se trouvait à bord de l’avion cette nuit-là.

L’attitude de la procureure qui s’est fondée exclusivement sur les informations données par le ministère - dont les agents étaient soupçonnés d’avoir participé au mauvais traitement allégué par M. El-Masri - n’est pas conforme à ce que l’on pouvait attendre d’une autorité indépendante. Dans ses observations, le Gouvernement admet aussi que l’enquête menée par les autorités de poursuite n’a pas été effective, mais il impute cette carence au retard avec lequel le requérant aurait présenté sa plainte pénale et au fait que celle-ci aurait été déposée contre X.

La Cour souligne la grande importance de la présente affaire non seulement pour M. El-Masri mais également pour les autres victimes de crimes similaires et pour le grand public, qui ont le droit de savoir ce qui s’est passé. Elle conclut que l’enquête sommaire qui a été menée dans cette affaire ne saurait être considérée comme une enquête effective propre à conduire à l’identification et à la punition des responsables des événements allégués et à l’établissement de la vérité. Dès lors, il y a également eu violation de l’article 3 en raison du défaut d’enquête effective sur les allégations de M. El-Masri.

5 – Satisfaction équitable

La Cour dit que « l’ex-République yougoslave de Macédoine » doit verser au requérant 60 000 euros (EUR) pour dommage moral.

 

torture,etats unis,cour suprême,cedh

Respect


Retrouvez l'article original ici...

Vous pouvez aussi voir...