« Le changement, c’est maintenant », versus délinquance juvénile. (469)
Droits des enfants - Jean-Pierre Rosenczveig, 19/05/2012
Pas question d’angélisme comme l’avance le ministre de l’intérieur nouveau ; pas question de laisser les petits caïds faire la loi dans certains quartiers comme l’a dit publiquement le futur président de la République et dans un courrier adressé le 28 avril dernier à l’Association française des magistrats de la jeunesse (1). Comment ne pas approuver ces propos ?
L’importance de la délinquance des moins de 18 ans est une réalité : comme la délinquance des adultes elle a augmenté en quantité ces dernières années, mais en proportion elle décroit depuis 2000, soit rappelons-le depuis le gouvernement Jospin avec M. Vaillant D. comme ministre de l’intérieur et Mme E. Guigou comme ministre de la justice après le colloque de Villepinte. La délinquance des adultes a plus augmenté sur 10 ans que celle des enfants. Dont acte ! Cette donnée est importante à conserver en mémoire même si l’essentiel est ailleurs.
En effet, il faut malheureusement observer que la délinquance des jeunes est désormais généralement plus violente. Je ne nie pas que la manière de saisir dans les statistiques les infractions relevées accentue cette réalité. On parlera aujourd’hui d’agression quand dans le passé on parlait de vol. Reste que les faits sont têtus : plus souvent que par le passé, toutes proportions gardées, la violence est associée à une délinquance d’appropriation. On casse la vitre de la voiture pour prendre un sac à main quand la conductrice est au volant. La victime vivra d'autant plus mal ce vol que s’y associe le ressenti du choc de la vitre qui explose soudainement, d’un bras qui pénètre dans la voiture, d’un visage qui s’avance plus ou moins masqué, etc. Cette violence est parfois un rite initiatique quand elle n’est pas banalisée : on fait un sac en allant à l’école !
Ne parlons pas des violences qualifiées de «gratuites» au prétexte qu’elles n’ont pas pour objectif de se faire de l’argent. Des armes blanches, quand ce n’est pas des armes à feu - vraies ou fausses -, sont fréquemment sorties. Je ne néglige pas les violences sexuelles de toutes natures dont on ne connait que quelques-unes quand l’immense majorité reste tue par des victimes qui n’osent toujours pas se révéler. Et je ne parle pas de la violence morale infligée au quotidien à trop jeunes filles niées dans leur droit à la féminité. Il faudrait encore insister sur tout ce qui se joue autour du trafic de la drogue, fléau majeur lié au grand banditisme dont nous ne voyons que l’écume de la mer.
Tout cela étant acquis, et bien d’autres illustrations pourraient être prises, que faire de plus ou d’autre que ce qui a été fait ou affiché dans les dernières années sachant que la réponse miracle n’existe pas ?
Il convient ici comme ailleurs de garder la mesure et décomposer un problème complexe pour pouvoir apporter des réponses concrètes.
Des mesures s’imposent à court terme comme autant de messages et actes symboliques ; d’autres viendront plus tard.
Ainsi au niveau des symboles, il faut venir dire aux magistrats, mais déjà aux travailleurs sociaux singulièrement discrédités par Nicolas Sarkozy, que la République leur fait confiance. Faut-il rappeler – chiffre fourni par le rapporteur UMP de la loi de 2011 – que dans 85% des cas un jeune délinquant comme mineur ne l’est plus comme majeur ? La droite se défiait du travail social ; la gauche devrait lui envoyer un message positif.
Ainsi encore sur le plan technique il est urgent dès cet été d’abroger le tribunal correctionnel pour mineurs qui tend à faire juger les plus de 16 ans récidivistes comme des adultes, de même que les dispositions qui retirent systématiquement le bénéfice de l’excuse de minorité aux 16-18 ans ou encore le dispositif de peines-plancher qui, plus que pour les majeurs, est aberrant car il limite le tribunal dans le sur-mesure recherché. Tout cela pour réaffirmer l’idée qu’il faut s’inscrire dans une démarche éducative sur la durée sans négliger, quand il le faut, une réaction ferme. La loi le permet déjà à travers l’incarcération provisoire des plus de 13 ans. Le changement serait net quand depuis 10 ans la droite développait l’idée que la peine ou mieux la perspective d’une punition rapide et sévère, était de nature à dissuader de la récidive, ce discours étant théorisé par le pr Varinard et sa célèbre commission de 2008.
Il faut se méfier ici des réponses simplistes, spécialement du réflexe institutionnel auquel cède régulièrement tout nouveau gouvernant d'apporter une réponse structurelle à tout problème rencontré. Le projet de création de 50 nouveaux Centres Educatifs Fermés (CEF) avancé par le candidat à la présidence de la République peut être ici très réducteur. Tout au plus 1200 à 1500 jeunes seraient concernés pour 180 000 mis en cause. Il l’a bien compris quand il apporte les précisions qui s’imposaient dans son courrier à l’AFMJ : il ne doit s’agir que d’équipements parmi d’autres. On relira avec intérêt cette lettre sur ce point.
Personnellement je n’ai rien contre ces structures. Je rappelle que nous avons porté le débat des 1995 sur la contrainte éducative pour réagir à l’atmosphère soixante-huitarde dépassée. En 1997, nous avons contribué à créer des nouvelles structures (Centre de placement immédiat, Centre éducatif renforcé, etc.) quand la droite au pouvoir laissait la PJJ mourir de sa belle mort et fermer les structures existantes. Les CEF ont aujourd’hui leur place dans la palette des réponses possibles. Ce ne sont que des instruments éducatifs utiles pour certains jeunes.
Un crayon ou un stylo ne sont pas critiquables en soi, avec l’un comme avec l’autre on peut écrire un chef-œuvre ou une daube. La question première est bien celle du projet pour le jeune. En quoi le séjour en CEF peut-il être utile? Quels objectifs vise-t-on ? Quelle sera la suite de la prise en charge car il est utopique de penser que 6 mois ou 12 mois de séjour dans ce type de structure vont régler les problématiques personnelles, familiales ou sociales dans lesquels le jeune est englué.
Constatons-le : la gauche comme la droite modérée vit mal l’incarcération des mineurs. La posture est plutôt saine quand on voit ce qui se passe de par le monde. Mais au risque de surprendre ceux qui me taxent de laxiste dans la foulée de l’ex-président de la République, j’ose affirmer qu’il est des situations dans lesquelles les magistrats ne doivent pas hésiter à recourir à l’incarcération en centre pénitentiaire.
Ce sera parfois en réflexe, après l’arrestation et le défèrement, une détention provisoire quand un jeune réitère des agressions ou s’inscrit, échappant à toute autorité, dans le grand banditisme du trafic de drogue. Il faut marquer un coup d’arrêt net et franc. Il est capable d’entendre. Cela ne suffira pas ; il faudra assurer un service après-vente, spécialement un éloignement du quartier sur deux ou trois ans, mais il ne faut pas hésiter. Personnellement je n’hésite jamais, même sans réquisitions du parquet, à saisir un juge des libertés et de la détention.
De la même manière au moment de juger il n‘est pas possible de dire à un jeune que ce qu’il a fait est grave – on devrait d’ailleurs être plus prudent quand on manie cette idée - sans le sanctionner réellement. Le sursis ne suffit pas. A défaut le jeune ne comprend pas ce qu’il tient pour un double discours et il attend la sanction. Comme ce jeune que j’ai vu avoir été condamné à 3 mois de prison avec sursis pour avoir involontairement tué son frère et qui attendait encore d'être puni pour pouvoir tourner la page.
Il faut que la gauche assume la prison pour les enfants ! Ce doit être exceptionnel et dans des conditions répondant aux standards internationaux avec le souci d’éviter la promiscuité avec les adultes. Ce n’est pas une fin en soi, mais un temps de la réaction etc., mais ne nous voilons pas la face. En revanche, une démarche éducative est une démarche de risques comme toute éducation. En d’autres termes, un centre éducatif fermé n’est pas une pseudo-prison, mais d’abord un lieu éducatif. Les jeunes ne s’y trompent pas qui préfèrent la vraie prison. Pas plus qu’une prison ne peut pas être une école, même si elle ne doit pas renoncer à tout projet éducatif comme c’est encore le cas trop souvent !
J’en veux à la droite d’avoir revalorisé l’idée qu’un placement en institution est une sanction quand, pour nous professionnels, accueillir un jeune dans une structure c’est une aide et non pas une punition.
Il faut des actes et des messages symboliques montrant la foi dans la démarche éducative et dans ses acteurs, il faut de la clarté au lieu la confusion dans laquelle N. Sarkozy nous avait installés, mais il convient aussi s’attaquer aux causes pour à terme réduire les opportunités de voir des enfants être en conflit avec la loi.
Là encore il faut décortiquer le sujet si l’on entend être efficace.
Le premier réflexe même à gauche – conf. Terra Nova – est désormais de mettre le maire au centre du dispositif. Encore une illustration du réflexe institutionnel. Comme si le maire en tant que tel, par magie, allait régler les problèmes. La base de cette démarche ne va déjà pas de soi quand on souhaite que le maire soit le réceptacle de toutes les informations, notamment nominatives, concernant les enfants susceptibles de basculer dans la délinquance, recueillies par les travailleurs sociaux et les juges. Veut-on se souvenir que l’immensité des communes comptent moins de 5000 habitants. Bien évidemment les maires en savent déjà beaucoup sur leurs administrés, mais de là à tout leur dire, il y a une marge. On irait même plus loin que les japonais dans le flicage social. Tout simplement, ce serait condamner les familles les plus fragiles à l’isolement car, de fait, les travailleurs sociaux étant assimilés à des indics, elles s’interdiraient plus que jamais d’être en relation avec eux.
Là encore il va falloir que la gauche sache faire confiance aux professionnels. Bénéficier de leur expertise en les réunissant tous régulièrement autour d’une table sur les enjeux collectifs ne pose pas de problèmes ; en revanche suivre les situations individuelles en temps réel autour du maire n’est pas possible.
Le nouveau gouvernement se doit de percer l’abcès alimenté par les deux lois de 2007 sur la prévention de la délinquance et sur la protection de l’enfance. Une mise à plat doit être commandée pour rechercher l’équilibre qui s’impose. La République, par-delà la gauche, a mis à son pinacle le respect de la vie privée et de l’intimité ; la fin ne saurait justifier les moyens. D’autant plus que des dispositifs existent pour repérer les enfants en difficulté et leur venir en aide. Par exemple, il est temps de développer le service social social et le service de santé scolaire (voir mon blog précédent). V. Peillon semble vouloir s’engager dans cette voie.
Mais le projet de certains socialistes va plus loin : ils veulent amener les juges participer à des instances de gestion de situations individuelles avant même que des jeunes soient passés à l’acte. Comment imagine-t-on que le juge soit ensuite libre de juger s’il y a délinquance ?
Bien sûr il est souhaitable que se redéploye une réelle police de proximité qui rassure chacun. En droit administratif cela s’appelle de la police administrative. Encore faudra-t-il clarifier les compétences de la police d’Etat et de la police municipale.
Au-delà de ce niveau primaire de la prévention, des stratégies plus en profondeur s’imposent. Les termes en sont connus. Le gouvernement Jospin les avaient même mis en exergue pour la première fois dans l’histoire de ce pays dans et après les conseils de sécurité intérieure de 1998 et 1999.
Je tiens l’une pour prioritaire et comme un préalable ... sans coût férir : identifier dans la loi les adultes responsables des enfants. 2 millions d’enfants vivent avec un adulte – un beau-père ou une belle-mère – qui n’est pas leur parent biologique, mais pour autant en assume l’éducation. Volontairement je n’aborde pas ici la question des couples homosexuels qui viendra rapidement sur le tapis, mais doit être traité séparément. Il faut en finir à terme avec le « Qui t’es toi ? t’es pas mon père ? Vas te faire voir ! ». Il faut qu’il soit clair aux yeux de chacun des enfants de France qu’il a l’obligation légale d’obéir à cet adulte. Celui-ci ne remplace pas le père ou la mère biologique, mais sur les actes de la vie courante, il est en droit de se faire obéir comme l’enseignant, le travailleur social ou simplement le voisin ou le passant quand un enfant se met en danger ou commet des actes d’incivilités.
A plus long terme il est évident que le développement économique sera la meilleure manière de lutter contre l’économie parallèle du business comme il est certain qu’une autre politique de l’habitat s’impose une autre politique de l’aménagement de l’espace public, mais encore des rythmes de vie pour permettre de concilier vie professionnelle et vie sociale et familiale. Tout simplement donner espoir et confiance aux enfants et aux jeunes libérera leurs compétences
Tout cela paiera à terme, mais d’ici là il est bien des priorités sur lesquelles le changement se mesurera ou ne se trouvera pas incarné d’ici septembre. Encore faut-il rompre dans nos têtes avec le sarkozysme qui a pénétré bien des esprits et retrouver le bon sens articuler avec quelques valeurs de base.
(1) Un blog 466 : la feuille de route de Mme Taubira
Quelques documents pour approfondir
La position du SM
Terra Nova
Les analyses du PS décryptées dans le JDJ 310 de décembre 2011
Mes propositions