Après Fillon, Juppé ?
Justice au singulier - philippe.bilger, 3/12/2013
Nicolas Sarkozy a beau dire ou faire dire, il a beau faire, il ne pourra pas revenir tranquillement. Il devra se battre. Après sa défaite, le roi était déjà nu. Depuis, son comportement de vaincu à la fois revanchard et maladroit a dissipé beaucoup d'illusions chez ceux qui espéraient une plus grande dignité de la part de notre ancien président.
Il y a eu d'abord François Fillon qui a ouvert la voie et creusé une brèche. Certaines de ses déclarations ont été mal comprises par une UMP préférant se draper dans sa pudibonderie politique plutôt que profiter de l'opportunité intelligente que lui offrait l'ancien Premier ministre en privant la gauche de son prétendu magistère moral au sujet du FN.
Ensuite, François Fillon a sans doute mal géré sa volonté de demeurer le serein, le lucide et le poli qui plaisaient et en même temps de manifester un courage, une audace et une provocation qui ne lui étaient pas apparemment familiers. Constatant qu'il avait déstabilisé plus que rassuré ses partisans, il est revenu quasiment à sa ligne initiale en cessant de critiquer Nicolas Sarkozy, en tentant de faire preuve de solidarité et en adoptant un profil bas tranchant avec l'image perturbatrice d'il y a quelques semaines. Cette évolution, cette rétractation, ces hésitations n'ont pas favorisé, quelles que soient ses qualités indéniables d'homme d'Etat, la lisibilité de sa stratégie.
Alain Juppé. L'obstacle est de taille qui se dresse sur la route de Nicolas Sarkozy. Un Sarkozy qui brûle d'en découdre à nouveau avec un Hollande qu'il sera plus facile de ridiculiser en chanson que dans une future joute présidentielle, même si c'est Raymond qui mène la danse !
Alain Juppé a tout connu, a tout vécu, le pire comme le meilleur. Il a été Premier ministre et il n'a plus envie de l'être. Seule compte, dorénavant, la fonction de président de la République. Son caractère fait de densité froide et réfléchie et d'un immense orgueil habilement dissimulé en sagesse d'attente et en empirisme calculateur ne se laissera pas réduire aussi aisément par Nicolas Sarkozy parce qu'à la différence de Fillon, Juppé ne nourrit aucun complexe à son égard sinon de supériorité. L'ambition aujourd'hui déterminée du maire de Bordeaux ne sera plus apaisée par des hochets ministériels ou autres ou des éloges coulant sur lui comme du miel.
Tout ce qui vise à laisser accroire qu'il y a eu une entente entre Nicolas Sarkozy et lui et qu'il se serait engagé à se retirer si l'ancien président se déclarait non seulement sera sans effet mais probablement très négatif : on donne à Juppé l'envie d'accomplir ce qu'on prétend lui interdire. Sa roideur et son intransigeance seront à hauteur des concessions qu'on exigera de lui et qu'il refusera.
Venir maladroitement susurrer qu'il sera âgé de 71 ans lors de la prochaine échéance présidentielle constitue une inélégance doublée d'une faute. C'est ancrer exactement le contraire dans la tête et l'être d'Alain Juppé : juste derrière Nicolas Sarkozy dans l'estime de l'UMP, il n'a aucun mal à se convaincre que le rôle de "vieux sage" qu'il n'a pas cessé de cultiver lui conviendra encore mieux quand il sera devenu "vieux" sans exclure le bénéfice de la sagesse (Le Monde).
Plus difficile à manier que François Fillon conscient de ce qu'il vaut mais trop fragile.
J'aime que ces irruptions plausibles de candidats dans l'espace de la droite classique manifestent clairement qu'elle n'a plus une posture de révérence et d'inconscience au seul bénéfice du responsable de son fiasco mais qu'au contraire elle relativise les desseins et l'omniprésence de Nicolas Sarkozy.
Le simple fait qu'à la primaire UMP de 2016 - avancée ou non - il y aura des rivaux et des compétiteurs fiables, mécaniquement traduira l'inutilité de donner encore une prime au passé renvoyé aux oubliettes plutôt qu'une chance à un futur heureusement vierge.