Antoine Sollacaro : Le Bâtonnier met en cause la Justice
Actualités du droit - Gilles Devers, 17/10/2012
Les choses vont mal en Corse : quinze assassinats depuis le début de l’année, et cette fois-ci, le grand avocat Antoine Sollacaro... Tout le monde a souligné la gravité exceptionnelle de cette exécution. Antoine Sollacaro a été abattu car il faisait son métier : défendre. Debout face à l’accusation, face aux verdicts déjà faits, refusant toute simplification. La défense depuis la terre corse.
Elu bâtonnier du Barreau d’Ajaccio, il avait lors d’une manifestation officielle dénoncé les pratiques publiques tolérant la corruption, devant un préfet Bonnet furieux, qui avait quitté la salle. On sait comment l’histoire s’est ensuite écrite. Le grand public avait découvert cet avocat qui n’avait pas froid aux yeux dans la défense d’Yvan Colonna, mais il était un homme de l'engagement permanent.
Je l’avais entendu et avais été bluffé par ses capacités argumentaires lors du procès de la prison d’Ajaccio, qui s’était tenu à Lyon en 1985. Un commando de trois militants nationalistes s’était introduit dans la prison pour abattre deux hommes qu’ils estimaient être les assassins de Guy Orsoni (Des faits qui, par parenthèse, rappellent ce qu’est l’action des vrais groupes armés, je ferme la parenthèse). La défense, pour ces assassinats revendiqués, avait arraché une peine ramenée à huit ans. L’histoire de la Corse était passée sur la Cour d’assises et avait tout emporté…
Hier, le Barreau d’Ajaccio était réuni, et le Bâtonner Maroselli a rendu hommage à « cette figure de ce barreau depuis plus de trente ans, certainement le meilleur de nous tous ». Dénonçant « l'escalade et la folie meurtrière qui ensanglantent la Corse » le Bâtonnier s’est engagé à la fidélité : « Nous poursuivrons l'œuvre d'Antoine, nous porterons la voix des justiciables, sans concession et sans se laisser intimider par les lâches qui l'ont assassiné ».
Jusque-là, tout est dans les clous. Mais la suite est bien différente, car le Bâtonnier, faisant état d’une délibération du conseil de l’ordre, a directement mis en cause la Justice.
« L'ordre des avocats se constituera partie civile et demande le dessaisissement de la JIRS (juridiction inter-régionale spécialisée) de Marseille au profit du juge naturel, c'est à dire d'un juge d'instruction du tribunal de grande instance d'Ajaccio ». Rappelant qu'Antoine Sollacaro était « le plus fervent pourfendeur des JIRS », il déploré « la tragique ironie » voulant que l'enquête soit confiée à la JIRS de Marseille », pour conclure : « En sa mémoire, parce que c'est l'essence même de notre métier, nous continuerons sans relâche à plaider, dénoncer les injustices et les incohérences d'une certaine justice. Je veux parler là des JIRS qui depuis quelques années se sont emparées des dossiers corses en mettant en œuvre des mesures liberticides, favorisant les antagonismes et, par-là, des drames ».
Quelle charge ! Le Bâtonnier, pleurant la mémoire d’un confrère exécuté, accuse la JIRS de Marseille, comme injuste et incohérente, agissant par des mesures liberticides et favorisant les antagonismes, au risque assumé de drames...
Les JIRS ont été créées par la loi du 9 mars 2004, et sont au nombre de huit : Paris, Lyon, Marseille, Lille, Rennes, Bordeaux, Nancy et Fort de France. Elles regroupent des magistrats du parquet et de l’instruction dotés de moyens adaptés pour lutter contre la criminalité organisée (CPP, art. 706-73) et la délinquance financière (CPP, art 704) dans des affaires présentant une grande complexité.
Le Bâtonnier Maroselli met en cause, et dans les termes les plus accusateurs, les magistrats de ce service spécialisé, dépendant du TGI de Marseille. Ce n’était pas l’émotion, car la délibération du Barreau annonce des actes de procédure, qui seront motivés et justifiés par des pièces. Et il y a tout un débat en Corse pour dénoncer cette « juridiction d’exception ».
Lourde ambiance entre Ajaccio et Marseille… Si la Garde des Sceaux entend défendre ses services, c’est maintenant.
Le Palais de Justice d'Ajaccio