Des coupables avant le tueur de Marseille !
Justice au Singulier - philippe.bilger, 3/10/2017
J'espère que le projet de loi contre le terrorisme sera voté. En effet il s'agit d'un texte "équilibré" qui permet à l'état de droit d'aller aussi loin que possible dans le cadre d'une démocratie. Manuel Valls l'a justement rappelé. Je suis heureux que cette voix qui n'a jamais fléchi dans la défense des Français et pour leur sécurité rejoigne la mienne modeste.
(Il vient d'être largement adopté par l'Assemblée nationale).
Ma position démontre que je ne suis pas un adversaire systématique de la loi qui pourtant dans la pratique française cherche trop souvent à donner l'impression d'une action, à simuler un accomplissement. Parce que le réel qu'on doit affronter est dur à gérer et qu'on ne sait pas toujours comment agir. Alors on sort une loi de son carquois politique et cela suffira durant un certain temps.
Je n'ai pas envie de jeter une pierre facile et rétrospective à ceux qui au pouvoir, après chaque tragédie terroriste, de Toulouse à Marseille, de Merah au tueur de Marseille, ont cherché à la fois à prouver leur résolution et à rassurer les Français. Les lois, tels des armes et des boucliers.
Mais à bien y regarder, en n'étant pas tétanisé par la peur de devoir incriminer, pour expliquer l'horreur, des responsabilités professionnelles, techniques, humaines, des carences individuelles, des négligences singulières, de scandaleuses retenues d'information, il est irréfutable qu'en amont de chaque massacre, quelle qu'ait été l'ampleur de sa dévastation, il y a eu des causes qui ont tenu à une incurie au quotidien. A chaque fois, dans le surgissement et l'apparente imprévisibilité des horreurs terroristes, il y a eu, avant, un fiasco minime, discret ou éclatant qui, s'il n'avait pas existé, aurait empêché le crime, détourné son cours qui de l'extérieur pouvait sembler irrésistible, fatal.
Avec le double assassinat de Marseille, nous avons une double preuve de ce que j'avance. Une lumière crue sur des dysfonctionnements lyonnais au niveau policier et sur le plan administratif pour la préfecture du Rhône. Si, pour le premier, l'argumentation en défense est recevable, pour le second, sauf à tout justifier, l'impossibilité de faire advenir une rétention, le samedi 30 septembre, pour ce clandestin, multirécidiviste, parce que le fonctionnaire compétent et de permanence n'était pas présent dépasse l'entendement (Le Figaro).
Je suis persuadé que comme souvent les responsables ciblés se défausseront sur d'autres et que par exemple l'indisponible du samedi soutiendra que de toutes façons il n'y aurait plus eu de place pour la rétention. Le processus est classique et sert beaucoup. Il n'empêche que pour cet assassin, la simple normalité d'une pratique professionnelle et d'un dévouement ordinaire aurait à l'évidence évité le pire.
Il n'est plus possible, sauf à banaliser honteusement la mort de ces deux jeunes victimes marseillaises avec de ridicules arguties, de continuer à tourner en rond, de cultiver des abstractions, de mettre en cause des généralités, de proférer des "il n'y a qu'à " alors qu'on a l'opportunité, de manière claire et nette, de cibler des défaillances personnelles, des imperfections individualisées et qu'il suffit au pouvoir d'en tirer vite les conséquences.
Je vais finir par croire que, même si c'est paradoxal, l'Etat est moins courageux pour stigmatiser les faillites identifiées graves que pour se dresser sans trembler face au terrorisme qui en a profité. Ce n'est plus du déni mais une répugnance à accabler le singulier quand le collectif indistinct laisse chacun indemne.
Cela aurait pu m'arriver hier dans un autre registre et j'aurais été coupable.
Avant le tueur de Marseille, il y a eu des coupables. Les sanctionner enlèvera au terrorisme cette force délétère et déstabilisante d'apparaître comme inéluctable.
Puisqu'il y a toujours eu des fautes évitables avant les crimes.