Procès Agnelet, les leçons d’une tourmente
Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 11/04/2014
Il n'y a plus de mystère Agnès Le Roux. Et c'est cette cour d'assises d'Ille-et-Vilaine, à Rennes, loin très loin de Nice et la Méditerranée qui, trente-sept ans après les faits, l'a levé. Neuf jurés citoyens et trois magistrats professionnels ont donné un linceul à la jeune femme de 29 ans, disparue entre le 27 octobre et le 2 novembre 1977 au volant de son véhicule, en répondant "oui" à la question: "L'accusé Maurice Agnelet est-il coupable d'avoir volontairement donné la mort à Agnès le Roux dans les Alpes-Maritimes (France) et dans la région de Frosinone Cassino (Italie) ?" avec la circonstance aggravante que ce meurtre était prémédité. Ils ont condamné Maurice Agnelet à vingt ans de réclusion criminelle.
Ils ont considéré, comme l'avait fait avant eux en 2007, le jury de la cour d'assises d'appel d'Aix-en-Provence, qu'il existe dans ce dossier suffisamment de charges pour forger leur intime conviction. Ils ont dit aussi à Guillaume Agnelet qu'ils le croyaient. Pas seulement parce que ce fils déchiré par son "cas de conscience" les a bouleversés. Mais parce que le secret de famille qu'il a déposé devant eux, dans un ultime sursaut, à l'aube de la quatrième et dernière semaine d'audience, est venu s'enchâsser parfaitement dans le dossier. Il n'a pas révélé, il a confirmé. Il a éclairé ce qui s'y trouvait déjà. Me François Saint-Pierre, l’avocat de Maurice Agnelet, ne s'y est pas trompé qui n'a pas demandé de supplément d'information comme cela s'impose lorsque des éléments nouveaux, susceptibles de modifier le sens d'une instruction, interviennent en cours de débats.
Ouvrons une parenthèse sur ces heures de tourmente qui ont marqué et marqueront durablement tous ceux qui y ont assisté. Si elles ont produit une secousse aussi forte, c'est parce qu'elles ont projeté dans la lumière crue de la cour d’assises, non pas un accusé, mais des témoins. Les rôles ont été renversés. Maurice Agnelet assistait presque en spectateur au procès en crédibilité, sinon en vérité instruit contre son ex épouse et ses deux fils. Il avait un avocat, eux n'en avaient pas. Plus tard, une voix se lèverait pour le défendre. Seul le silence a accompagné Guillaume et Thomas Agnelet lorsqu’ils s’en sont retournés, chacun de leur côté.
Autre chose encore pour ceux qui ne sont pas familiers de la procédure devant la cour d'assises : l'accusé assiste à tous les débats. Il y a été préparé, tout ce qui est dans son dossier est soumis devant lui au contradictoire. Rien de tel avec les témoins. Consignés dans une salle qui leur est réservée, ils n'entrent dans la cour d'assises qu'au moment où le président le décide. Ils ignorent tout de qui a été dit, avoué ou démenti avant eux.
C'est devant nous que Thomas Agnelet a découvert le témoignage de son frère aîné qui accusait son père d'être le meurtrier d'Agnès Le Roux. Devant nous encore que Guillaume Agnelet a appris que sa propre mère venait de le qualifier de garçon fragile, proche de la folie. Ils nous étaient livrés comme des proies, faisant de chacun - la cour, les jurés, les parties, le public - le voyeur obscène de leur mise à nu. Nous étions là, nous savions que la bombe allait exploser, nous attendions juste de voir comment et jusqu'où elle allait les déchiqueter. Ce sont des moments qui ne passent pas.
Mais ils ne sauraient effacer les trois autres semaines d'une audience qui, paradoxalement, fut la plus apaisée des trois comparutions de Maurice Agnelet devant une cour d'assises. Elles le doivent à un président, Michel Dary, qui a magistralement conduit les débats. A un avocat général, Philippe Petitprez, qui a porté l'accusation sans jamais s'affranchir du respect dû à l'accusé. A deux avocats, Me Hervé Temime, pour la famille Le Roux et Me François Saint-Pierre, pour Maurice Agnelet qui ont su défendre leur vision opposée du dossier sans se démolir.
Le temps perdu pendant l'instruction avait failli emporter l'affaire Agnès Le Roux. Avec ce troisième procès d'assises, il s'est fait pardonner. Maurice Agnelet a été entendu, confronté, loyalement accusé et bien défendu. Et il a été jugé. A celui qui avait griffonné dans un recoin de son dossier, cette phrase empruntée aux Justes de Camus - "J'ai choisi d'être innocent", la justice a répondu que ce n'était pas à lui d'en décider.