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Le silence, principal condamné au procès de la fusillade de Sartène

Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 23/05/2014

La cour et les jurés d'Ajaccio ont jugé avec ce qu'on leur a donné. Et cela tient en une scène: sur la place Porta de Sartène (Corse-Du-Sud), le 4 septembre 2010, à 8H30 un samedi jour de marché, Pierre Balenci … Continuer la lecture

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La cour et les jurés d'Ajaccio ont jugé avec ce qu'on leur a donné. Et cela tient en une scène: sur la place Porta de Sartène (Corse-Du-Sud), le 4 septembre 2010, à 8H30 un samedi jour de marché, Pierre Balenci a été victime d’une tentative d’assassinat alors qu’il prenait son café. Atteint de cinq balles, il a riposté et touché mortellement l'un de ses agresseurs, Jacques Ettori, pendant que l'autre parvenait à s'enfuir. Sur ce deuxième agresseur, la cour d’assises de Corse-du Sud a mis un nom, celui de François Ettori, frère cadet du premier, et l'a condamné à 18 ans de réclusion criminelle.

Elle a acquitté Pierre Balenci du meurtre de Jacques Ettori en considérant qu’au moment des tirs, il était en situation de légitime défense et n'a retenu contre lui que le port d'armes illégal, sanctionné d'une peine de quatre ans d'emprisonnement assortie d'une interdiction de séjour en Corse de la même durée. Elle a également prononcé l'acquittement du troisième accusé, Jean-Paul Tomasi, auquel il était reproché le délit de recel de malfaiteurs pour avoir accueilli François Ettori chez lui après la fusillade.

Ce verdict, juste reflet de deux semaines d'audience, est une terrible réponse à la chape de silence qui s'est abattue sur les débats. Au principal accusé et aux témoins muets et hostiles, il signifie qu'on ne saurait demander à la justice de comprendre, justifier, ou excuser ce qu'on se refuse à lui expliquer.

Pour la défense de François Ettori, c'est un naufrage. Elle plaidait l'acquittement et elle a échoué à instiller le doute sur l'identité du deuxième tireur. Elle avait annoncé le procès de l'enquête et de l'institution judiciaire mais elle est sortie fragilisée de la confrontation qu’elle avait elle-même sollicitée avec les deux juges qui ont instruit ce dossier, Martial Renaud et surtout Hélène Gerhards. Quant au verdict prononcé, il est presque en tous points conforme aux réquisitions prononcées par les deux avocats généraux, Nicolas Hennebelle et Julie Colin.

Ceux-ci avaient en effet créé la surprise jeudi 21 mai en demandant à la cour de reconnaître à Pierre Balenci le bénéfice de la légitime défense que réclamaient ses avocats. Une initiative qui avait adroitement scindé l’alliance tacite conclue jusque là par les conseils des deux accusés contre l’accusation et donné le coup de grâce à la stratégie de rupture menée, au nom de François Ettori, par Me Jean-Michel Mariaggi.

A l'ouverture de l'audience, le jeu était pourtant ouvert. Des deux hommes assis dans le box, l'un, Pierre Balenci était lesté d'un casier judiciaire déjà bien rempli pour des affaires de vols avec violence et d'une sombre réputation qui liait son nom aux multiples règlements de comptes sur fond de tentatives de prise de contrôle des activités lucratives - camping, projets immobiliers, port de plaisance - de la région de Sartène.

L'autre, François Ettori, était une page presque blanche. Tout comme son aîné, Jacques Ettori, avec lequel il avait repris l'entreprise familiale de bâtiment et de travaux publics. Et le dossier butait sur ce mystère: quelles raisons avaient pu pousser un homme unanimement décrit comme "travailleur" et "honnête" à s’avancer le 4 septembre avec un complice sur la place du marché de Sartène, le visage dissimulé sous un masque en latex et une arme de poing dans chaque main, pour tenter d'assassiner Pierre Balenci ?

De ce dernier, il n'y avait rien à attendre, sauf les dénégations opposées aux questions de la cour sur le "contexte" sartenais et les rumeurs qui le désignaient comme l’un des responsables du racket organisé dans la région. Ses deux avocats, Paul et Anna-Maria Sollacaro - fils et fille d'Antoine Sollacaro, l'ancien bâtonnier d'Ajaccio assassiné en octobre 2012 - veillaient à parer toute velléité du président de la cour Didier Macoin ou des avocats généraux d'écorner l'opportun statut de victime de leur client. Les regards se sont donc tournés de l'autre côté. En vain. A l'ouverture de l'audience, la famille Ettori, dont le fils Jacques était mort sous les balles de Pierre Balenci, renonçait à se constituer partie civile. Quant à François Ettori, il affirmait en réponse aux questions répétées du président, avoir « malheureusement » tout ignoré des motivations de son frère et démentait que son entreprise ait été l’objet d’un racket.

Dès lors, c'est une autre pièce qui s'est jouée devant la cour d'assises. Une pièce à deux scènes, dont l'une se jouait dans le prétoire et l'autre dans le public. Et le silence est devenu bavard. Le contexte sartenais dont on taisait l'existence dans les débats, se lisait  dans le flux et le reflux d'un public, venant apporter son soutien à la famille de Pierre Balenci ou à celle de François Ettori, qui divisait les rangs du public en deux mondes distincts dont les regards ne se croisaient jamais. Il écrasait de remords le troisième accusé, Jean-Pierre Tomasi, acquitté par la cour mais condamné aux yeux de la famille Ettori pour avoir trop parlé en avouant aux enquêteurs que François Ettori était venu se changer chez lui après la fusillade. Il expliquait le départ précipité d'un commerçant de Sartène dont la seule faute est d'avoir crié lorsqu'il a vu s'approcher de la table les deux hommes cagoulés et armés, donnant ainsi à Pierre Balenci la fraction de seconde qui lui a permis de courir et de riposter. "Ce jour là, j'étais au mauvais endroit au mauvais moment, a raconté cet homme. Moi, j'essayais d'être bien avec tout le monde. Mais après cette histoire, les gens sont devenus méfiants et se regardaient en chiens de faïence. Dans un petit village ça devenait très compliqué. " Il a préféré vendre sa boutique et partir s'installer en Alsace.

Le contexte, c'était encore ce défilé de témoins détenus ou mis en examen pour des règlements de comptes qui, tous, avaient pour théâtre Sartène et ses environs. Une sorte de revue muette des forces en présence, dont la résistance aux questions de la justice était jaugée d'un hochement de tête ou d'un regard appuyé sur l'une ou l'autre des deux rives du public. C’était aussi cette déjà longue liste de victimes d'assassinat ou de tentatives d'assassinat dont les noms se rattachaient sans jamais se mêler soit au cercle des proches de François et Jacques Ettori, soit à celui de Pierre Balenci. A égalité de terreur.

Ce sont enfin les cris de haine lancés par la famille Ettori contre la cour et les jurés à l'annonce du verdict qui déclarait leur fils et frère coupable d’avoir voulu assassiner Pierre Balenci et acquittait celui-ci du meurtre en riposte de Jacques Ettori. En regardant vendredi 22 mai, s'éloigner dans la nuit les deux clans lestés de leurs secrets, l'un noyé dans son chagrin et sa colère, l'autre soulagé, s'imposait l'évidence que l’autorité de la décision de justice rendue à Ajaccio ne s’étendrait pas, à soixante-dix kilomètres de là, sur la place Porta.

 

 

 

 


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