Et S.I.Lex devint un livre…
– S.I.Lex – - calimaq, 31/12/2019
L’information a déjà un peu tourné sur les réseaux sociaux, il y a quelques jours, mais je tenais à la diffuser également sur ce blog, in extremis avant que l’année ne s’achève. En février 2018, j’avais écrit un billet pour relayer un appel à contributions lancé par les Presses de l’ENSSIB (Ecole Nationale Supérieure des Sciences de l’Information et des Bibliothèques). Le projet, initié par Muriel Amar, directrice de la collection La Numérique, consistait à réaliser un livre à l’occasion des 10 ans de ce blog, mais en faisant appel non pas à son auteur, mais à ses lecteurs. La démarche m’avait paru excellente, notamment parce qu’elle utilisait pleinement la liberté de réutilisation que j’offre en publiant les contenus de ce site sous licence libre (CC0). Un certain nombre de personnes ont manifesté leur intérêt pour cette entreprise et une équipe s’est rassemblée pour réaliser l’ouvrage, sous la direction de Mélanie Leroy-Terquem et Sarah Clément. Un an et demi plus tard, le pari a été tenu et le livre « S.I.Lex, le blog revisité. Parcours de lectures dans le carnet d’un juriste et bibliothécaire » est paru au mois de décembre dernier.
Le principe de la collection La Numérique étant de proposer des ouvrages au format électronique uniquement et en Libre Accès, vous pouvez accéder gratuitement au livre à la fois sur le site de l’ENSSIB et sur la plateforme OpenEdition. Je vous recommande aussi d’aller lire cet article « Comment refaire collectif à partir d’un Commun ? » publié par Muriel Amar dans la revue Sens Public, qui explique la démarche ayant conduit à ce projet (et qui aurait d’ailleurs pu figurer dans le livre).
Il est extrêmement difficile pour moi d’écrire à propos de cet ouvrage, car c’est une expérience vraiment très étrange de lire un livre dont on est soi-même le sujet, qui plus est à travers le regard de lecteurs dont je connais personnellement une bonne moitié pour les avoir croisés au cours de ces dix dernières années, à la faveur de rencontres souvent déclenchées par ce blog… Je me retrouve dans une situation un peu vertigineuse de mise en abîme qui ne me place pas dans la meilleure des positions pour émettre un jugement et je préfère confier cet exercice à d’autres lecteurs qui auront la curiosité d’aller voir cet ouvrage.
Je saluerai simplement le choix d’avoir réalisé un ouvrage « hybride » qui n’est pas une simple compilation de billets tirés de ce blog, mais des regroupements opérés par une quinzaine de lecteurs qui commentent leur choix en l’expliquant par le biais d’un texte original. Cela aboutit à créer autant de « chemins de traverses » à l’intérieur des contenus de ce blog, en respectant la logique hypertextuelle du matériau d’origine. On aurait pu aller plus loin encore et ne faire figurer les billets que sous la forme de liens renvoyant vers les textes sur S.I.Lex. Mais l’équipe a choisi de les inclure dans le corps même de l’ouvrage et cette option me paraît intéressante, car outre que les billets sont ainsi « redocumentarisés » sous une nouvelle forme, les éditeurs ont décidé de garder in extenso les commentaires qui les accompagnaient. Je trouve que c’est un choix très cohérent pour un projet qui met finalement autant en avant l’auteur que ses lecteurs, sachant que la discussion sous les billets a toujours été un des aspects importants de la vie de ce blog.
Comme je l’avais expliqué dans le billet relayant l’appel à contributions de l’ENSSIB, il a toujours existé une forme de « malédiction » à propos du lien entre ce blog et le livre comme support. Au cours de ces 10 dernières années, on a bien dû me proposer quatre ou cinq fois de réaliser un livre à partir des contenus de ce site, soit sous forme de compilation, soit avec une autre formule. Mais aucun de ces projets n’a pu aboutir, d’abord parce que je n’ai jamais réussi à dégager le temps nécessaire pour les réaliser et ensuite, parce qu’il y avait chez moi une vraie réticence à opérer ce changement de format, sans doute liée à une méfiance viscérale vis-à-vis du processus éditorial lui-même. C’est donc avec une forme de soulagement que je vois à présent ce projet de livre se concrétiser en me disant que le « signe indien » a été conjuré et, finalement, confier la réalisation de ce livre à ses lecteurs était la bonne solution, car la plus en phase avec les valeurs que j’ai essayées de défendre sur ce blog durant ces dix dernières années. Pour parodier le titre d’un (excellent) film sorti récemment, ce livre n’est pas une « oeuvre sans auteur », mais une « oeuvre sans l’auteur » et c’est très bien ainsi !
Par ailleurs, je tiens à saluer Muriel Amar, Mélanie Leroy-Terquem et Sarah Clément pour avoir respecté le souhait que j’avais émis de ne pas être directement associé à la réalisation de ce livre. C’était pour moi extrêmement important, étant donné que j’ai choisi pour mes textes la licence CC0 (Creative Commons Zero) qui implique une liberté totale de réutilisation et un renoncement de l’auteur à exercer ses droits, y compris le droit moral. Je voulais que ce blog appartienne dès l’origine au Domaine Public Vivant et c’est bien à partir du Domaine Public Vivant que ce livre est né. J’ai certes eu des échanges avec les initiateu-rices du projet ou certain-e-s des contributeu-rices lors des derniers mois, mais tout le monde a joué le jeu et j’ai eu le plaisir de découvrir les contenus comme tout le monde lors de la publication en ligne du livre.
Je vais terminer en disant quelques mots de l’avenir de ce blog, puisque que les lecteu-rices attentif-ves n’auront pas manqué de remarquer que l’année 2019, qui était donc celle des dix ans de S.I.Lex, aura été un peu particulière. Je n’ai écrit en effet que 14 billets cette année sur ce blog, chiffre le plus bas depuis sa création, avec une parution complètement irrégulière, qui s’est même interrompue complètement depuis 6 mois. Plusieurs personnes m’ont d’ailleurs écrit pour prendre des nouvelles et me demander si j’allais bien, ce que j’ai trouvé assez touchant.
Il s’avère en réalité que l’année 2019 aura été pour moi assez complexe pour plusieurs raisons. La principale est que depuis maintenant plus d’un an, j’ai quitté le monde des bibliothèques où je travaillais auparavant pour devenir directeur adjoint scientifique de l’Institut des Sciences Humaines et Sociales du CNRS. Cette nouvelle fonction – passionnante, mais particulièrement exigeante – a bouleversé l’équilibre fragile qui permettait à S.I.Lex d’exister jusqu’alors, sans que je trouve jusqu’à présent le moyen de me redonner la marge nécessaire pour poursuivre l’alimentation de ce blog. La grande différence entre ce poste et les précédents que j’ai pu occuper est qu’il a provoqué chez moi une forme de « réalignement des planètes » puisque j’ai eu la chance de rejoindre le CNRS au moment où se déploie en France depuis plus d’un an une politique de Science Ouverte qui rejoint par de nombreux aspects des combats antérieurs que j’ai pu mener en faveur des Communs de la Connaissance. C’est en réalité la première fois que j’ai l’occasion de travailler au sein d’une institution et dans un contexte qui me permettent la mise en cohérence de ces différentes facettes qui restaient jusqu’à présent dissociées.
L’autre raison qui a rendu plus difficile l’alimentation de ce blog, c’est que l’année 2019 aura constitué une période de questionnements et de remises en question assez radicales. J’avais déjà commencé en 2017 et 2018 à élargir les sujets que je traitais sur S.I.Lex, notamment en abordant des thématiques comme celle de la protection des données personnelles, des droits culturels ou du droit social. En 2019, j’ai commencé pour la première fois à aborder des questions écologiques, avec une série de billets consacrée en début d’année aux relations entre les Communs et les Non-Humains (que je n’ai hélas pas pu terminer en tant que telle, mais à laquelle j’ai pu apporter des compléments en conférence notamment. Voir ici). Ces premiers essais m’ont fait prendre conscience que j’avais besoin de réexaminer en profondeur la manière dont je concevais la question des Communs, qui constitue en réalité le fil conducteur unissant toutes les thématiques que je traite sur S.I.Lex.
Il est difficile de continuer à écrire lorsque l’on sent que les bases sur lesquelles on s’appuie sont devenues plus fragiles ou que l’on éprouve le besoin d’en changer. C’est d’autant plus vrai que l’écriture à flux tendu n’est pas réellement compatible avec l’étude et j’ai eu besoin en 2019 de faire des lectures qui manquaient dans mon parcours et qui m’ont aidé à y voir plus clair dans les questions que je me posais. Je ne dirais pas que je suis venu à bout de cette démarche de renouvellement de la conception des Communs, mais disons que je pense avoir pu poser quelques repères pour retrouver un sol plus stable (et je n’emploie pas cette métaphore complètement au hasard ;-).
Qu’en sera-t-il pour S.I.Lex l’année prochaine ? Je ne veux pas me lancer dans des promesses ou me mettre à énoncer de bonnes résolutions de saison que je ne pourrai pas tenir ensuite. J’ai néanmoins parfois comparé l’écriture sur un blog à la pratique d’un sport intensif. S’interrompre six mois n’est pas quelque chose d’anodin et la difficulté de la reprise est toujours proportionnelle à la longueur de l’arrêt. Mais ma volonté est bien de reprendre l’an prochain une publication régulière sur ce blog, car je reste persuadé que cette forme d’expression est importante et qu’elle mérite d’être perpétuée. C’est surtout vrai dans ce moment assez sombre que traverse Internet, travaillé par des processus de recentralisation et de plateformisation qui l’amènent aujourd’hui à un point critique (et peut-être de non-retour ?). « To Blog Or Not To Blog ? » n’est donc pas uniquement une question de convenance personnelle, mais aussi une affaire de principe.
D’une certaine manière, le fait qu’un livre tiré de S.I.Lex soit paru en cette fin d’année me donne l’impression d’un cycle qui se ferme, mais aussi l’envie d’en ouvrir un autre. Reprendre l’écriture ici me demandera une grande réorganisation et une sacrée discipline, mais même en 2019, je ne vois rien qui puisse se substituer à ce qu’un blog apporte, à la fois pour l’auteur et pour les lecteurs. Cela nécessitera peut-être que j’apprenne à revenir aux formats des origines et que j’arrive à nouveau à « bloguer léger », ce qui m’a toujours été difficile. Mais un blog ne peut sans doute pas être une revue académique unipersonnelle ou – du moins -, il ne peut pas le rester éternellement. J’espère donc arriver à renouer avec les formes plus courtes que j’arrivais à produire durant les premières années de ce blog, mais dont je me suis sans doute trop écarté par la suite. Less is more, adage profond, qu’il va falloir me répéter comme un mantra en 2020 !
Je voudrais terminer en remerciant sincèrement l’ensemble des contributeu-rices qui ont participé à ce livre publié aux Presses de l’ENSSIB. Pour ceux que je connais déjà, j’espère que l’année 2020 sera l’occasion de nous recroiser et de prolonger nos échanges et nos actions communes. Pour ceux que je ne connais pas encore, j’espère pouvoir vous rencontrer pour échanger de vive voix, car vos contributions m’ont surtout donné envie de discuter avec vous.
A noter que l’ENSSIB organise le 13 janvier prochain une rencontre-débat autour de la publication de l’ouvrage, à laquelle je participerai et qui me donnera le grand plaisir de vous croiser si vous avez un intérêt pour ce projet.